Les retraites, encore et encore

mis en ligne le 17 mai 2010
Je reviens sur le problème des retraites. Le Conseil d’orientation des retraites (COR, au pied, ici, couché) vient de pondre son rapport pour le gouvernement. Il est encore difficile d’accès et je ne l’ai pas lu en entier ; je n’ai qu’un résumé. Ce qui en a transpiré est à la hauteur des espérances d’épiméthée Ier. Fastoche : sa composition a été décidée par le pouvoir et sa présidence confiée à un Medef pur jus. Il a donc été scénarisé pour alarmer le bon peuple et lui faire accroire qu’il allait devoir se serrer la ceinture. Le meilleur scénario (4,5 % de taux de chômage dès 2015, 1,8 % de productivité par an) prévoit un trou de 310 milliards d’euros en 2020 et 570 en 2050, soit 13,7 % du PIB et 16 contre 12,8 aujourd’hui. Pour combler le trou, le besoin de financement supplémentaire serait de 0,8 point de PIB en 2020 et 3,1 en 2050. Il est curieux que des gens qui ne peuvent prévoir le déficit annuel de la France puissent augurer pour quarante ans plus tard. Les syndicalistes ne veulent pas entendre parler de la modification de l’âge officiel de départ en retraite, 60 ans depuis Tonton (tu m’acoutes ?), ni de l’allongement de la durée des cotisations (quarante et un ans en 2012, ce qui veut dire qu’en dessous de quarante et un ans il y a décote sur le montant de la retraite versée). Le Medef s’oppose à toute cotisation patronale supplémentaire et à toute assiette nouvelle assise sur les bénéfices des entreprises (et celles qui n’en font pas ou les dissimulent dans les paradis fiscaux), ou le chiffre d’affaires ou les revenus financiers. Or les syndicats prônent de taxer les intéressements et participations ou plans d’épargne d’entreprise et les stock-options. Ils proposent d’élargir la base des cotisations aux revenus du capital, dont les stock-options introduites en France par DSK, socialiste en peau de lapin. Évidemment, cela suppose de nouveaux impôts, ce qui heurte la doctrine de Sarkozy qui a promis de ne pas les augmenter (et même de les baisser pour les riches, ce qui a commencé sous Fabius), et encore de diminuer de 4 points de PIB les prélèvements obligatoires (cela vient, grâce à la crise : on est descendu de près de 44 % du PIB à moins de 42, plus que 2 points à grappiller). Il est clair que les solutions comptables envisagées (âge et durée des cotisations) heurtent le fait que l’âge réel de départ hors l’emploi est de 58 ans, mais l’âge de liquidation de la retraite est de 61,5. Rallonger les choses consiste à laisser plus de gens dans l’entre-deux (entre retraite et perte d’emploi, compte tenu de ce qu’il n’y a aujourd’hui que 38 % des 55-64 ans qui sont au turbin). Rallonger la durée de cotisation implique donc que le taux de remplacement du salaire par la pension sera diminué, ce à quoi il faut ajouter les effets désastreux des carrières incomplètes (périodes de chômage, de temps partiel, de fonctions moins bien payées) sur le montant des retraites. Le gouvernement dit qu’il ne veut en aucun cas d’une diminution des retraites. Il parle d’or et cela d’autant plus facilement que la réforme Balladur de 1993, puis la réforme Fillon de 2003, entraînent déjà pour un avenir proche, mais que le peuple n’a pas encore senti, une baisse de 20 % des retraites. Si on se contente de modifier ces deux paramètres (durée de cotisation et âge de départ), le processus de perte de pouvoir d’achat pour les futurs retraités ne peut que s’accélérer. On peut prévoir pour 2030 la réapparition des vieux pauvres faute de retraites suffisantes. C’est pourquoi, le Nicktalope, l’obscur-voyant, a fait « acter » que l’on pouvait cumuler une retraite et une rémunération d’activité (salaire ou revenu « d’auto-entrepreneur »). On pourra donc travailler jusqu’à 80 ans comme aux États-Unis et chez les Gibbies. Pour rire, jaune, signalons qu’un socialiste de salon vient de proposer de faire payer les retraités car ils sont, en moyenne, aujourd’hui plus riches que les jeunes actifs. Il a droit à une grosse bise de Mme Parisot.
On réfléchit aussi à transformer le système de répartition en imitant celui des « comptes notionnels » suédois (ressemblant un peu au système par points de l’Agirc ou de l’Arcco), lequel a été négocié entre l’État et les partenaires sociaux pendant plus de dix ans, à comparer aux six mois du calendrier et de la consultation sarkozystes. Le système suédois procède par accumulation de placements à un compte individuel de chaque futur retraité en fonction de son salaire ; une partie des sommes est capitalisée, l’autre sert à payer les pensions en cours. Lors de la liquidation des droits à retraite, le retraité ne sait pas de combien sera sa pension puisque les sommes placées feront l’objet d’une péréquation en fonction de la situation économique du pays, de la croissance, du nombre des retraités et d’actifs, du niveau des retraites et que la partie capitalisée dépendra des cours de la Bourse à ce moment-là. Le compte est « notionnel » parce que le capital accumulé est théorique jusqu’à la liquidation. M. Chérèque en pince pour cette démarche qui peut procurer, le moment venu d’avoir les doigts de pied en éventail, des chè (rè) ques en bois…
Le pouvoir s’oppose à la taxation des revenus financiers pour cause de « perte de compétitivité » de la France s’il le faisait. Bref, le problème ressemble assez à la quadrature du cercle tant que l’on reste dans la mondialisation libérale sans règles. Rappelons que ne sont pas pour rien dans les déficits de la protection sociale les exonérations de cotisations sociales en dessous de 1,6 Smic ou sur les heures sup – 33 milliards en 2009 –, ainsi que les exonérations pour les boîtes qui ne travaillent qu’en France et sont hors de la compétition internationale, comme les restaurateurs qui, en plus, ont vu leur taux de TVA passer à 5,5 % au lieu de 19,6, soit 3 milliards de moins pour les caisses de l’État. Soulignons que les exonérations pour les plans d’épargne d’entreprises et autres épargnes salariales ont substitué à des salaires fixes des revenus variables exonérés. Il y a là quand même du grain à moudre, notamment parce que ne pas faire payer les entreprises hors concurrence internationale ne se justifie pas du point de vue de la compétitivité. Ni le fait que l’épargne individuelle remplace peu à peu les contributions socialisées, sauf évidemment pour les libéraux pour lesquels tout ce qui individualisé et capitalisé apporte de l’eau au moulin du casino financier qui pourtant vient de s’écrouler comme un château de cartes. Gageons cependant que le gouvernement va lâcher sur les retraites des salariés ayant commencé tôt et effectué des travaux pénibles.
Sur le fond, je me demande comment le COR a bien pu traiter les problèmes suivants. D’abord, ce qui compte, c’est le nombre de personnes qui ne travaillent pas par rapport à la population active : femmes au foyer, enfants, étudiants (on dit que 23,5 % de la classe 18-24 ans sont au chômage, mais si on enlève les étudiants cela ne fait plus que 13 à 15 %), retraités, handicapés ne pouvant pas travailler. Or, il semble bien que l’on ne fasse que le rapport retraités sur actifs, qui se dégrade fortement compte tenu de l’espérance de vie ; on va déjà vers 1,5 actif pour 1 retraité, ratio qui peut s’améliorer avec l’immigration – momentanément, car les immigrés vieillissent aussi ; et pas sûr car leurs enfants pèsent sur le ratio inactifs/actifs. En France, le taux d’emploi des femmes est déjà plus que convenable. Et on y fait encore des enfants, presque au niveau du remplacement des générations soit 2,1 enfants par femme, mais cela altère le ratio inemployés/actifs et c’est tant mieux. Notons que le gouvernement s’emploie à faire baisser la natalité en remplaçant les crèches par des « jardins d’enfants », en plafonnant le quotient familial (sous les socialos) et en n’augmentant pas les allocations familiales en fonction de l’inflation.
Le niveau de chômage (à ne pas confondre avec la précarité des emplois) est une variable clef, car celui-ci est pris en compte dans les calculs prospectifs mais pas forcément dans les politiques, par exemple industrielles. D’ailleurs, peut-on prévoir le taux de chômage dans quarante ans ? Reste aussi les étudiants, mais là aussi il faut se féliciter d’en avoir beaucoup car c’est l’avenir qui se prépare avec eux. Si donc l’on comparait les ratios inemployés/actifs dans les pays européens, je ne suis pas sûr que la France serait dans une position si défavorable. De façon générale, le taux d’emploi de la population ne peut s’améliorer que si le chômage se réduit. Bref, au lieu d’une approche comptable du problème, il faudrait se focaliser sur les dimensions sociétales et politiques du chômage et du problème des retraites.
Une variable fondamentale est le taux de croissance afin d’établir le niveau du PIB en 2050. Le COR (poration) a émis plusieurs scénarios. Apparemment, il suppose que le taux de croissance est identique à celui des progrès de productivité. Rien n’est moins sûr car si la productivité est supérieure à la croissance, alors c’est le chômage qui augmente. L’enjeu est d’importance car les comptables raisonnent en part du PIB consacrée aux retraites.
Prenons les choses autrement, car ce qui importe le plus, c’est la façon de compter. Supposons que le taux de croissance soit de 7 % ; au bout de dix ans, le PIB a doublé, ce qui veut dire que si ledit PIB est de 1 000, en 2009, le prélèvement est de 130 sur 1 000. Cela, ce sont les versements aux retraités, à ne pas confondre avec les cotisations. Supposons que le taux des cotisations soit d’environ 10 % du PIB comme aujourd’hui, en moyenne. On aurait donc 100 milliards de cotisations en 2009, pour 130 milliards de versements, donc 30 milliards de déficits. En 2020, dix ans après, il y aurait, à taux de cotisations égal, 200 milliards de recettes, ce qui permettrait d’accepter facilement 100 milliards de versements en plus. Où serait le trou ? Certes l’hypothèse d’un taux de croissance de 7 % par an sur dix ans est irréaliste mais ceci est dit pour illustrer un autre mode de réflexion. Qu’en serait-il de 1,8 % sur quarante ans, meilleure hypothèse du COR ? À peu près pareil, le PIB aurait doublé. Le taux de croissance, nonobstant son caractère destructeur de la planète, est la variable clef, s’il est identique à celui des progrès de productivité. La question devient : comment le COR a-t-il fait ses petits calculs de croissance et donc de politique industrielle et commerciale du pays ? Est-ce que la recherche-développement et l’investissement en France seront exonérés d’impôts et les bénéfices non réinvestis des entreprises surtaxés ? Cela fait partie de la politique industrielle. Comment le COR (y dort ?) l’a-t-il pris en compte ?
Une autre variable réside dans le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital. Le salariat touchait environ 65 % de celle-ci en 2007, en baisse de 8 points au profit du capital par rapport à la période glorieuse de l’État-providence. Si on retrouvait, par le salaire différé des retraites, la part d’antan, le problème serait sans doute résolu. La question ne sera pas évoquée car il s’agit de la compétitivité de la France par rapport à tous les pays moins-disant (Chine en tête) en matière de protection sociale et, du reste, pour tout (fiscalité, social, santé, environnement, etc.). La solution sarkozienne sera donc imposée par l’état de concurrence mondialisée dans laquelle le pays s’est mis avec l’Union européenne (déjà sous le curé Delors), l’OMC, le libéralisme sans contraintes sur la libre circulation des marchandises et des capitaux. Car ce qui est en concurrence, ce sont aussi des modèles sociaux, des types de sociétés. Mais alors à quoi sert un gouvernement si c’est le système commercial et financier qui prend les décisions automatiquement ? À rien, et c’est bien ce que disent les libéraux qui, paradoxalement, essaient avec succès de faire accéder « démocratiquement » leurs copains politiciens au pouvoir. C’est un paradoxe apparent car la détention du pouvoir sert justement à faire passer toutes les règles qui profitent aux riches et à taper sur le crâne obtus des prolos s’ils s’avisent de contester.
Cela signifie que si l’on reste dans le système capitaliste concurrentiel, le libéralisme du « marché total », on ne fera jamais payer le capital et on continuera de détruire le système de répartition au profit de la capitalisation individuelle. Ceux qui vont payer, ce sont les futurs retraités, soit par une baisse très conséquente de leur pension, soit en se payant une complémentaire (avant une totale) individuelle. Ce ne sera, dans ce cas, que chez les riches que, du reste, on exonère déjà (assurances-vie) pour qu’ils s’y rallient. Adieu la maigre égalisation actuelle et la solidarité entre générations et membres d’une même classe d’âge… Certes, officiellement, on ne cassera pas la répartition car il faudrait que les politicards fussent « sévèrement burnés » au lieu d’être Tapie dans l’ombre. Mais avec ruse et progressivité, on continuera de s’appliquer à la rendre non désirable, pour years later et dans la vieille stratégie « pas vus, pas pris », pour enfin la supprimer.