La désindustrialisation en France

mis en ligne le 16 juin 2010
L’industrie en notre beau pays ne représente plus que 15 à 16 % du PIB, encore moins qu’en Grande-Bretagne (cependant, l’industrie british est davantage détenue par l’étranger que la française). Et le mouvement de perte des industries continue inlassablement, malgré les rodomontades de notre « motodidacte » sous-ministre de l’Industrie et les effets de toge de l’avocat-président. Déjà 75 % des véhicules Renault (50 % des Peugeot) sont produits à l’étranger (et aussi les pièces fournies par des sous-traitants), ce qui fait que maintenant, acheter chez ce constructeur contribue à dégrader la balance commerciale. Et le terroriste industriel Carlos Ghosn veut produire la Clio new look en Roumanie !
M. Christophe (eh oui, comme le saint patron des voyageurs et des automobilistes) de-la-Marge-Qui-Rit, PDG de Total, veut fermer les raffineries de pétrole (leur essence découle de leur existence comme disait Sartre), sachant que la firme s’est bien gardée d’investir dans la production de gasoil que le France importe largement, bien que 53 % des véhicules y utilisent désormais ce carburant. Le pingouin aux moustaches en balayette de chiottes a bien compris l’intérêt financier de Total. C’est facile et n’importe quel agent comptable le comprendrait aussi. En effet, les marchés se développent en Asie et dans certains autres pays en voie de développement. Parallèlement, le marché français baisse par suite de la crise, des biocarburants et des véhicules moins énergivores. Ensuite, les raffineries produisent à bien moindre coût dans les pays exotiques à salaires et prestations sociales compressées, sans protection de l’environnement et à fiscalité légère. Enfin, ces usines sont à la fois polluantes, émettrices de dioxyde de carbone et dangereuses. Autant les situer dans des pays où les habitants ne peuvent pas protester, car s’ils le font la police est aussitôt là pour les matraquer, la « justice » pour les condamner et des nervis pour les zigouiller. On se souvient d’ailleurs que Total est du dernier bien auprès de la junte birmane – avec la bienveillance de Kouchner. Il en découle que La-Marge-de-Riz (auto) a intérêt à délocaliser les raffineries pour faire de la marge, de la « valeur pour l’actionnaire », désormais privé, alors qu’avant c’était une firme d’État.
Il est jouissif de constater la politique de gribouille (à discours électoral en vue des régionales) du gouvernement : je te favorise le biocarburant, je te mets des supertaxes sur le carburant, je crée une écotaxe (abandonnée pour l’instant) et on veut pourtant maintenir les raffineries ! Or, dans le contexte général du libre-échange mondialisé, la désindustrialisation a trois causes : l’automation et la robotisation qui détruisent les emplois pour cause de productivité exponentielle quand les marchés n’absorbent pas la production, le commerce extérieur soumis à la concurrence et à la compétitivité (en baisse continue pour les « parts de marché » de la France, avec aujourd’hui 3,8 % du commerce mondial), l’externalisation des activités de service, soit de faible valeur ajoutée (le ménage…), soit de recherche-développement-invention.
Et, évidemment, tous les PDG raisonnent de la même manière ; c’est normal, car c’est la logique même du système capitaliste qui régit leurs décisions. C’est à cela que l’on peut voir que la personne des dirigeants, pourtant remarquablement bien récompensés pour des décisions que n’importe qui prendrait, n’a aucune importance. C’est le système qui impose sa logique « rentabiliste ». Et c’est ce qui explique que, via les délocalisations et les prises de participation dans l’industrie chinoise, actuellement 40 % des exportations sinisées proviennent en fait de firmes occidentales implantées dans l’Empire du Milieu où elles ne sont pas bridées. On sait aussi que plus de 60 % des échanges mondiaux sont le fait de transferts internes aux multinationales entre leurs filiales et avec la maison mère. C’est aussi ce qui fait le succès des exportations teutonnes dont les produits sont réalisés à bas coût en Europe de l’Est dans les pays récemment entrés dans l’UE. Ah, cette chère (et onéreuse) Allemagne qui mène depuis longtemps une stratégie non coopérative négative pour ses prétendus partenaires européens en délocalisant à l’Est, en instaurant une TVA « sociale » et en serrant le kiki à ses salariés et à ses chômeurs (lois Hardt 4 sous le socialiste Schröder). Excusons-la car dans l’UE, tous les pays ont été mis en concurrence sauvage et ne cherchent qu’à tirer leur épingle du jeu en jouant solo. L’Irlande avec son taux d’impôt sur les sociétés à 12,5 % (30 % en moyenne UE), la Grande-Bretagne avec sa finance « paradis fiscalisée » (15 % de son PIB) et sa dévaluation de la livre, l’Espagne avec sa spéculation immobilière pour touristes, son agriculture hors-sol avec immigrés sous-payés et le déficit de sa balance commerciale, l’Italie avec son économie souterraine, la Grèce avec ses tricheries sur l’état de ses finances, la France avec ses déficits structurels depuis trente ans, etc. On observe au passage que les dirigeants ne sont plus responsables de quoi que ce soit puisque c’est la mécanique fatale du système qui leur impose leurs décisions.
Alors que peut faire Rodomont en tant que dirigeant politique contre cette logique ? Réponse : rien, malgré son agitation médiatique et ses convocations bidon de manageurs en chef dans les palais de l’ex-République. Déjà, légalement, le pouvoir ne peut pas intervenir dans la gestion des firmes privées. Il ne peut que créer le cadre législatif et réglementaire de leur activité, et encore seulement sur le sol national et à condition de respecter les traités européens. Il ne peut que taxer leurs bénéfices mais grâce à la théorie du bénéfice consolidé et aux effets des paradis fiscaux où les firmes localisent leurs profits en ne laissant sur le sol national que des filiales dénuées de marge, lesdits bénéfices ne sont taxés qu’à 8 % alors que le taux théorique de l’impôt sur les sociétés est de 33 %. S’il intervient pour protéger l’industrie du pays (ou l’agriculture ou la finance), la Commission européenne l’attaquera aussitôt pour protectionnisme et surtout atteinte à la « concurrence libre et non faussée ». L’OMC itou et les autres pays prendront des mesures de rétorsion. Et aussi la Cour de justice des communautés européennes, organe ultralibéral qui veut implanter la règle que les travailleurs venus dans le pays B en prestation de service soient régis par les lois du pays A d’où ils viennent.
De plus, ces effets de manches d’avocat (d’affaires) sont parfaitement hypocrites. En effet, ce sont les gouvernants qui depuis plus de vingt ans ont édicté des lois pour mettre en place le libre-échange généralisé, quelles que soient les situations des pays, lesquelles nécessitaient pourtant progressivité et protections, pour donner à la finance le privilège de la libre circulation partout sans entraves d’aucune sorte, pour fermer les yeux sur leurs combines pour ne pas respecter leurs obligations prudentielles et pour favoriser la valeur pour l’actionnaire, etc. Et sur cette logique systémique en place à cause d’eux (ce qu’ils oublient de rappeler pour tromper les électeurs tout en désignant les banquiers comme boucs émissaires de leurs propres turpitudes), on ne peut plus revenir sans entente internationale pour re-réguler le commerce et la finance mondialisés. Or, il ne peut y avoir de consensus international, car moult pays ont intérêt au désordre installé et défendent mordicus leur pré carré de « compétitivité », comme on l’a vu plus haut en ce qui concerne l’Europe, l’espace le plus concurrentiel du monde, installé dès « l’acte unique » de 1986 avec le curé Delors.
Dès lors, la désindustrialisation prospérera et cela d’autant plus que les exportateurs vendent maintenant leurs secrets de fabrique aux pays en voie de développement pour obtenir à court terme un quelconque marché (d’avions, de trains, de centrales nucléaires, etc.). De plus, ces derniers, comme le Brésil, l’Inde et la Chine (les « Bric », avec la Russie), investissent massivement dans la formation et la recherche-développement et, donc, l’avance technologique de l’Occident ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Alain Peyrefitte avait écrit, years ago, « quand la Chine s’éveillera » ; on y est. Les pays en voie de développement vont bientôt inventer plus que l’Occident ou le Japon, faire dans l’OGM et les nanotechnologies, dans le spatial et les satellites…
Or, je ne le dirai jamais assez, c’est l’industrie productive, et tout ce qui l’aide à l’être (services dédiés à la facilitation de la production, services d’ingénierie et de recherche, transports, communications, immeubles et installations produites avant), qui sont la base essentielle d’un revenu national que je qualifie de « primaire ». Pour le visualiser, il suffit de raisonner sur une économie fermée, en autarcie, sans échanges extérieurs. Si vous allez au cinéma, chez le coiffeur comme quand vous achetez de quoi manger, vous vêtir, vous transporter, vous chauffer, etc., c’est que vous avez un revenu antérieur issu de votre travail. Vous travaillez chez un coiffeur ? Votre salaire, après la marge dudit coiffeur, vient des gens qui lui achètent ses services, du reste comme les impôts, les indemnités de protection sociale, etc., parce que ces gens ont un revenu préalable qui vient de leur travail dans l’industrie ou l’agriculture productrices. Tout le revenu (montant des ventes moins les « intrants » autres que les charges de main-d’œuvre) vient des activités productrices de base.
Évidemment, les choses sont plus compliquées si l’on considère la situation actuelle d’ouverture à l’international et la diversification moderne des sources d’autres revenus : ventes de services (par exemple de transports avec une flotte commerciale), de brevets, d’ingénierie, de matières premières brutes, de produits agricoles non transformés, de produits culturels (films, DVD, etc.), de logiciels, de revenus financiers de placements à l’étranger (ce n’est pas dans la balance commerciale mais dans celle des paiements). Donc entre en ligne de compte tout ce qui peut se vendre même si ce n’est pas de la production industrielle, à condition que ce soit assuré par le salariat ou le travail national. Il n’en reste pas moins que c’est la production industrielle qui est la « mère de toutes les batailles », car aujourd’hui elle ne peut être réalisée qu’avec le concours d’activités diverses (par exemple de recherche-développement ou de services financiers pour aider à vendre à l’étranger) qui sont effectivement la base d’exportations possibles dans d’autres domaines que la stricte production. C’est donc la production, consommée localement ou exportée, de biens, de services et autres fournitures, moins les importations en tout genre, qui donne la base du revenu national qui est ventilé ensuite dans les activités locales supplémentaires achetées par les salariés de ladite production primaire avec leur propre revenu qui n’est qu’une fraction du revenu national productif.
Cette marge produite dans la production est ensuite simplement répartie entre les différents acteurs sociaux : rentiers et leurs intérêts ou dividendes, ou leurs loyers (des immeubles et des terres), salaires directs ou différés (retraites, protection sociale) des travailleurs, impôts de l’État et des collectivités locales, dividendes des investisseurs, frais financiers prélevés par les banques. Et ce sont les revenus de cette répartition qui permettent d’acheter des services privés (coiffeur, cinéma, vacances in situ, etc.) et des services publics via l’impôt, ou de thésauriser ou d’investir. C.Q.F.D. : aucun revenu secondaire ou prélèvement ex post ne peut exister s’il n’y a pas auparavant les marges issues de la production. Il en découle qu’un pays sans industrie ou agriculture conséquentes vivote. C’est le cas de Cuba qui, en plus, est victime d’un embargo US. Si le pays n’est plus autarcique, il est clair que si sa balance commerciale entre ce qu’il vend de sa production interne et ce qu’il achète comme produits ou services externes est positive, cela veut dire qu’il a plus produit (et vendu) que ce qu’il a acheté.
La désindustrialisation française explique donc que la balance commerciale du pays soit devenue structurellement déficitaire. On peut imaginer un pays sans production (le rêve de certains capitaines d’industrie qui voit leur entreprise sans usines) dont le revenu serait uniquement constitué de revenus financiers. C’est possible momentanément et c’est ce qui fait la gloire des retraités de Californie ou de Floride via les fonds de pension investis à l’étranger pour suer du dividende et de la plus-value boursière en exploitant le prolétariat mondial. Las, cela vient de se casser la figure. Et, du reste, ce n’est pas tenable à long terme : les pays ainsi exploités peuvent se rebiffer. Et les états-Unis ne sont plus en position de défendre leurs émanations extérieures comme lors de la défense de l’United Fruit, fer de lance du coup d’État de Pinochet, devenue Chiquita, pour assurer les profits de leurs investisseurs et spoliateurs à l’étranger. En outre, les pays en voie de développement vont se financer eux-mêmes par leur industrie propre et les délocalisations industrielles chez eux.
Cette analyse montre donc qu’Épi-méthée Ier se moque de nous et que les rustines qu’il met en place ne sauveront rien du tout tant que l’on restera dans le système capitaliste actuel. En fait, ce qui compte pour lui, c’est la phynance dans laquelle les cabinets d’affaires font leur beurre, même si cela ne profite qu’aux capitalistes (banquiers, manageurs, assureurs, financiers et… politicards associés). Ils profitent en effet des bénéfices de la chose à l’étranger sans se soucier de la production locale.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Leosiddh

le 31 mars 2013
Je voudrais lire cet article mais il est illisible tellement il n'y a aucun espace, aucune aération dans ce texte !

Surtout que le contenu est DENSE.

Merci pour tous les prochains lecteurs!

Theo

le 14 octobre 2013
Petite note: En tapant dans l'onglet recherche du navigateur et en y inscrivant conséquences de la désindustrialisation en France, on tombe sur ce site. Pourquoi? Les informations concernant la France y sont très peu représentées. De plus on parle peu de la désindustrialisation.