La République est menacée

mis en ligne le 1 juin 1958
Sous ce titre, le Populaire dimanche adresse une tardive et pathétique proclamation.
Laissant de côté le bilan de ladite République depuis 1945 pour ne remonter qu’à la Quatrième, force nous est de reconnaître qu’elle est menacée.
Nous irons plus loin : elle l’est depuis qu’un président du Conseil (socialiste, dit-on) – parti pour négocier la Paix - capitula devant les ultras et aligna sa politique sur celle de quelques féodaux pour qui Marianne est une gueuse et ses représentants des larbins ; elle l’est depuis que (sous une direction ou avec une participation socialiste, paraît-il) le colonialisme est devenu patriotique ; elle l’est depuis que, avec le racisme et l’exploitation éhontée, la torture a repris ses droits, sous les plis du drapeau tricolore.
Oui, messieurs les Socialistes, la République est menacée.
Pour la sauver, pour réduire au silence les Massu et Salan, il suffisait de proclamer la démobilisation de tous les soldats appelés sur la terre d’Algérie et de laisser les galonnés sans un sou, sans un homme, sans un fusil, sans une goutte de pétrole régler leurs comptes avec les fellaghas.
Il suffisait de coffrer Soustelle, Lacoste, Max Lejeune et quelques autres ; les prisons ont embastillé assez d’innocents pour encabaner quelques authentiques fripouilles.
Seulement, voilà, vous ne voulez pas perdre l’Algérie ; elle doit demeurer française, si tant est qu’elle l’ait jamais été.
Alors, il vous reste l’autre solution : essuyer les crachats, parer avec les fesses les coups de pied au cul, déclarer légale l’illégalité des comités de salut public et légitimer ceux qui les ont commis.
Il vous reste, selon cette gribouillesque tradition, à envoyer les fonds de la France et ses fils, à ceux qui préparent contre elle une agression.
Ne nous étonnons pas si, demain, la glorieuse armée française, riche des milliards que le sacrifice du peuple lui aura consentis, débarque sur ce sol de France pour assassiner les populations sous couleur de comité de salut public.
Enfermés dans un choix inéluctable, nos augures se refusent à choisir. Sans vouloir comprendre que c’est l’heure de l’échéance, celle où il faut payer le tribut de la sottise et de la lâcheté.
Demain, le peuple devra se dresser face à la dictature, en payant une fois de plus de son sang ; et vous le savez si bien, Messieurs du Pouvoir, que c’est à ce peuple que vous vous adressez pour vous opposer aux fascistes de tout poil.
Mais alors, pas d’équivoque, pas de main tendue aux uns pour sauver la République et ce qui lui reste de libertés et, d’autre part, de garantie aux ennemis déclarés de cette République.
On ne légitime pas Salan en invitant la masse à lutter contre ses séides.
On ne refuse pas le pouvoir aux factieux pour mener la politique qui aurait été la leur.
On ne laisse pas à de Gaulle le bénéfice d’une conférence de presse, quand toutes les manifestations sont interdites sur le territoire.
Cependant, M. Pflimlin et ses pairs attendent béatement de savoir quelle voie choisira de Gaulle : la légale ou l’autre.
Cela ne fait pas de doute, voyons.
Louis-Napoléon Bonaparte avait choisi la même.