Douce France... quelques bonnes raisons pour ne pas être Français à l’excès

mis en ligne le 21 octobre 2010
Récemment, Éric Besson, gardien chef de l’identité nationale, a fait émerger une nouvelle catégorie de citoyens : les supposés « bons Français ». Il y aurait donc les autres qui le sont moins, où le seraient même de façon déplorable. Peu importe la moralité de ceux qui peuvent se flatter de disposer de bons papiers, permettant de se proclamer bons Français. L’essentiel, c’est la bonne origine ! Ce qui rejoint la volonté exprimée, le 30 juillet 2010, par Nicolas Sarkozy, à Grenoble, de déchoir de la nationalité française ceux des étrangers qui se risqueraient à attenter à la vie d’un fonctionnaire d’autorité.

Bons Français avec Le Pen ?
En fait, être bon Français signifie surtout se comporter en patriote inconditionnel. Cela, quelle que soit la politique mise en œuvre pour que cet engagement soit cohérent. à ce niveau, nous nous approchons du comportement des soudards qui se contentent de la couleur du drapeau, et de son ombre rafraîchissante. Qui donc a dit : « La patrie d’un cochon se situe là où l’on peut trouver des glands » ? Chamfort peut-être…
Français. Je n’ai pas d’autre choix. En effet, dans les temps que nous vivons, il est devenu nécessaire de justifier son identité. De là à transformer cette quasi-obligation en adoration, « amour sacré de la Patrie… » (air connu), il y a un pas qu’il faut bien se garder de franchir. Sauf à aliéner son libre arbitre. Alors, Français peut-être ? Bon Français comme l’entendent Sarkozy, Besson ou Hortefeux, peut-être même Marine Le Pen et son papa, ce serait une plaisanterie.
Nous foulons le même sol, tout en nous gardant bien de mettre nos pas dans ceux qui ne songent qu’à nous réduire à l’état de sujets. Nous ne sommes certainement pas leurs compatriotes car, comme le suggère une publicité vantant une marque de rillettes réputée : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs. » Mourir pour la patrie serait le sort le plus beau, et même « le plus digne d’envie ». Il y a beau temps que ces fadaises, dignes de Paul Déroulède, ne sont heureusement plus au programme de l’école primaire. C’est heureux. Il reste qu’avec la redécouverte de cette précieuse « identité nationale », le danger est grand d’une triste régression. Le faiseur de vers de mirliton, évoqué ici, très en vogue après la défaite de 1870, ouvrait la voie aux légions de Franco qui, un demi-siècle plus tard, allaient assassiner la révolution espagnole aux cris de « Viva la muerta ! ». Déroulède se contentait d’écrire « En avant ! Tant pis pour qui tombe ! La mort n’est rien. Vive la tombe, Quand le pays en sort vivant. En avant ! »
Ceux qui, en 2010, nous parlent de patrie, avec des trémolos dans la voix, n’éprouvent pas le moindre frémissement lorsque les mauvaises manières de jadis reviennent de saison. On agite le drapeau, on enseigne la chansonnette aux enfants, mais on discrimine et on expulse. C’est pour la France ! Pour la France des droits de l’homme ? Pour la patrie du droit d’asile ? Non, mais ça va pas la tête ? Il faut se contenter d’être fier de la France, même si ce vieux pays gaulois commence à dégager des relents putrides rappelant l’État dirigé jadis par un sinistre vieillard. Lequel avait remplacé « liberté-égalité-fraternité » par un triple signe d’asservissement : « travail-famille-patrie ». Nous n’y sommes pas encore mais la voie est ouverte.

La douceur de la carotte ou la morsure du bâton
De quel patriotisme peut-il bien s’agir si la division de la société en nantis et en redevables ne fait que s’accentuer ? De quel côté peuvent bien se situer ces bons Français, tellement vantés par un ancien socialiste, désireux de passer à la postérité par l’escalier de service ? Incontestablement, on ne peut que les trouver du côté du manche. Cet instrument contendant servant habituellement de matraque. Comme les prédateurs sont malgré tout en minorité, ils ne cessent de promettre la carotte à ceux qui craignent la morsure du bâton. Et cela marche puisqu’il n’est pas toujours nécessaire d’insister beaucoup pour que de pauvres hères, en grand nombre, continuent à succomber aux belles proclamations de ceux qui agitent l’emblème aux trois couleurs.
« Aimez la France, ou quittez-la. » C’était déjà le cri de guerre du Mouvement initiative et liberté (MIL), à la fin des années 1980. Incitation reprise par Nicolas Sarkozy, en 2007, sur le mode : « Si les étrangers n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter ! » C’est pas beau de copier sur ses petits camarades d’extrême droite. Ah, comme Éric Besson aime entendre ces rodomontades, cette volonté de voir apparaître de « vrais Français ». Ce qui ne peut que rappeler cette affiche placardée sur tous les murs de France, de l’été 1940 à l’été 1944, avec en photo plein cadre le maréchal Pétain, et cette légende définitive : « Êtes-vous plus Français que lui ? »
Quelle joie d’être Français. D’autant plus qu’il est parfois difficile de le rester. Et puis, quel intérêt y aurait-il à être désigné comme un « bon Français », si l’on reste confiné dans cette France d’en bas dont la seule vocation reste limitée à la résignation. Ceux d’en haut savent ce qui est bien pour nous. L’essentiel étant d’apprendre à tout attendre de ceux qui veulent bien s’intéresser à notre devenir. Brave Français, la seule certitude d’être de bonne origine devrait te satisfaire. Attention, pourtant. Si jamais tu te risquais à quitter le rail obligé, il pourrait t’en cuire. Bientôt, peut-être, on te demandera de jurer sur l’honneur que tu ne feras jamais grève. Et, bien entendu, que tu ne seras jamais solidaire d’un individu à l’origine incertaine…