Art et anarchie : artistiquement anarchiste

mis en ligne le 2 décembre 2010
Dès le XIXe siècle, des liens se sont tissés entre artistes et anarchistes. Gustave Courbet était l’ami de Pierre-Joseph Proudhon. Entre 1880 et 1914, nombreux furent les artistes et les écrivains qui s’intéressèrent à l’anarchisme. Leur engagement fut plus ou moins long mais ils collaborèrent à des revues ou firent parfois don de leurs œuvres pour aider la cause. On peut citer les noms de plusieurs peintres : Camille Pissarro, Paul Signac, Maximilien Luce, Henri-Edmond Cross, etc. Au XXe siècle, ils furent moins nombreux mais on a remarqué les œuvres engagées d’Enrico Baj ou celles de Jean Tinguely. Et en ce début de XXIe siècle, l’anarchie et ses drapeaux noirs étaient présents en 2009 au pavillon français de la Biennale de Venise avec une installation de Claude Lévêque.
Plus modestement mais avec ténacité, depuis une vingtaine d’années, André Robèr s’intéresse lui aussi aux rapports entre art et anarchie. Poète, peintre, sculpteur et éditeur, ce militant anarchiste édite livres, brochures et journaux, organise des expositions et participe à des émissions de radio sur ce thème. Il a ainsi fondé successivement Les Cahiers de la Vache folle, K-y-é, puis Anartiste qui paraît depuis 2002 et en est à son quatorzième numéro. Sous-titrée Les Nouvelles libertaires, cette revue est désormais éditée par le groupe Anartiste de la Fédération anarchiste. En 1991, à l’occasion des dix ans de Radio libertaire, André Robèr organisait à Paris un colloque Art et anarchie dont les actes ont été publiés par les éditions Via Valeriano et La Vache folle.
En cet automne 2010, André Robèr et les éditions K’A proposent Art et anarchie : acte 1. Il ne s’agit pas d’un ouvrage exhaustif sur la question mais d’une compilation d’instantanés aux entrées multiples et non sectaires. Il réunit des textes historiques et des interventions d’artistes. Cette publication est le fruit du travail du groupe Anartiste dont le but militant est de mettre en lumière les passerelles entre art et anarchie.
Retour dans le passé donc. Felip Equy propose des portraits de l’écrivaine italienne Leda Rafanelli et de la peintre Lucie Cousturier, Patricio Salcedo évoque le pamphlétaire Zo d’Axa. Denis Andro s’est intéressé aux socialistes et anarchistes engagés dans les mouvements occultistes et ésotériques (Ivan Aguéli, Henri-Gustave Jossot, Alexandra David-Néel, etc.). Cathy Heyden retrace l’histoire du happening qu’elle appelle « art de l’anarchie » et évoque à cette occasion Marcel Duchamp, Jean-Jacques Lebel, John Cage et le groupe Fluxus.
Les œuvres d’artistes contemporains sont analysées : Anne Van der Linden (c’est l’un de ses dessins qui illustre la couverture du livre) par D. Kelvin, Laurent Nicolas par T. Grasset, Laurent Zunino et ses rapports avec Léo Ferré par André Robèr, Marie Jakobowicz et Catherine Ursin (Le féminin de la révolte) par Luc Rigal. Outre ces textes, on verra de nombreuses illustrations : des collages de Luc Fierens, ceux de Jean Starck, le fondateur d’Art cloche, des dessins de Camillo Capolongo, ceux de François Lauvin contre l’oppression, ainsi que des poèmes visuels de Fernando Aguiar. Lena Goarnisson explique son projet intitulé Memento mori : elle crée puis donne des objets en plomb à ceux qui lui apportent des histoires d’homicides. Claude Barbant raconte l’expérience de la galerie L’Usine qu’elle anime depuis trente ans à Paris et qui présente des artistes sans valeur commerciale.
Du côté de la littérature, on pourra lire la poésie de Julien Blaine, celle de Sébastien Lespinasse, des poèmes engagés de Serge Pey, des textes de Charles Pennequin (Maîtres chiens) et de Tony Pessoa, une nouvelle de l’auteur de théâtre Gérald Dumont (Je voudrais bien baiser Lisa Suckdog). Pietro Ferrua nous parle de l’échange de lettres qu’il a eu avec l’essayiste E.M. Cioran.
Enfin, Sophie Diaz dresse un portrait de l’inclassable Jean-Louis Costes, musicien et performeur.
Ce recueil de textes et d’illustrations est le premier d’une série de livres qui devraient paraître tous les deux ans. Rendez-vous donc pour l’acte 2 en 2012…

Phil Ducira