L’anarchie, vite !

mis en ligne le 14 avril 2011
Il en est de la statistique comme du reste, c’est une science avec un objet, des outils, des résultats, et donc un champ de pertinence. L’objet, c’est la « variable aléatoire » au sens mathématique, les outils, ce sont des règles mathématiques démontrées dans un certain cadre, les résultats, ils se formulent d’une manière précise : compte tenu de telles données (dont la première est l’importance de l’échantillon), il y a x % de chance que la variable aléatoire « A » soit comprise entre telle valeur et telle valeur. La compréhension dépend en outre des caractéristiques comme l’écart-type, le biais, etc.
L’application de la statistique aux opinions, et tout particulièrement aux opinions politiques, fait s’écarter beaucoup de la rigueur initiale. Les fameux sondages qui aboutissent à dire « x % des Français pensent que » sont à prendre avec des pincettes tellement grosses qu’il s’agit plutôt de pinces à bûches ! Avec toutes ces limites, un sondage récent relatif à la course pour les présidentielles 1 est toutefois intéressant pour la tendance qu’il suggère, plus que pour les résultats eux-mêmes.

Un fossé en forme de douve

Tout d’abord, il montre un décalage entre la politique de la peur menée par les gouvernements sous l’aiguillon réel ou orchestré du F Haine, et les priorités des sondés. Car l’insécurité et l’immigration ne sont jugées des priorités que pour 17 % et 13 % des sondés, alors que le chômdu et le pouvoir d’achat le seraient pour 48 % et 44 % d’entre eux. L’autre pan de la politique de droite classique, à savoir la casse des institutions de socialisation, n’est pas plus plébiscité : 17 % des sondés seulement estiment que la maîtrise des dépenses concernant les retraites et l’assurance-maladie (lire : la casse de la Sécu) est une priorité. La logique redistributive (et non socialisatrice) se retrouve enfin dans le résultat de 25 % des sondés qui estiment que l’aide aux catégories sociales les plus défavorisées doit être une priorité.
De cette première salve, on peut déduire ce que l’on savait : le gouvernement, en démocratie représentative, n’est pas du tout l’expression de la volonté collective, pas même d’une majorité. On voit aussi, malheureusement, que les catégories de pensée keynésienne (pouvoir d’achat, économie redistributive), qui dépendent de l’État, obstruent toujours la vision des sondeurs, donc des sondés (car les sondages restent un outil du pouvoir bien sûr).

C’est même plus Act Up qui le dit !
La seconde partie du sondage est plus rare, puisqu’elle consistait à recueillir l’avis des sondés sur la compatibilité des programmes politiques. À la question « selon vous, les programmes politiques de l’UMP et du Front national sont… », 16 % répondent « pratiquement semblables », 38 % « différents sur certains points peu nombreux », 25 % « très différents sur la plupart des points » et 14 % « totalement incompatibles » (reste 7 % de prudents qui ne se prononcent pas tant que la course n’est pas terminée !). On se souvient de l’affiche d’Act Up en 2007, qui a valu un procès : « Votez Le Pen » avec la figure de Sarkozy. Et bien 54 % des sondés partagent cette vision aujourd’hui.
Mais Act Up n’avait fait le boulot qu’à moitié, car à la même question entre le programme de l’UMP et celui du PS, 16 % répondent « pratiquement semblables », 37 % « différents sur certains points peu nombreux », 27 % « très différents sur la plupart des points » et 14 % « totalement incompatibles » (et 6 % de parieurs d’après- course !). Soit 53 % des sondés qui estiment qu’UMP et PS ne se distinguent pas de manière dirimante ; et, par transitivité, que PS et F Haine non plus. Amis d’Act Up, il va falloir plusieurs versions de l’affiche en 2012, avec toutes les combinaisons possibles entre « Votez Untel » et la figure d’un des deux autres.
Rien de nouveau. C’est la lepénisation des esprits dénoncée depuis longtemps, mais sans la cohérence terrifiante du discours du F Haine. Car si l’on en juge par les résultats du sondage, son fonds de commerce de l’insécurité et de l’immigration devrait lui valoir la même fracture avec l’opinion que l’UMP (et le PS). En fait, l’UMP (ou le PS) se servent de ces thèmes simplement pour asseoir leur pouvoir via le contrôle social, mais laissent voir leur véritable objectif, la domination de la seule classe sociale véritablement homogène et constituée comme telle : la haute bourgeoisie. Le F Haine, lui, combine avec succès un discours sur le chômage, le pouvoir d’achat ou une « non-attaque » des institutions de socialisation 2 (en phase avec les sondés), et son fonds de commerce propre de l’insécurité et de l’immigration (pourtant très minoritaire chez les sondés) qui sert de facteur origine.

Le désarroi du votard
À la question, « souhaiteriez-vous qu’il y ait un jour une alliance électorale, au niveau national, entre l’UMP et le Front national ? », 19 % des sondés répondent « oui », 75 % « non », et toujours 6 % qui attendent prudemment le résultat des élections pour parler !
Voilà l’ultime incohérence : au-delà des pro-F Haine (les 19 % de oui ?), les sondés s’accrochent malgré tout aux étiquettes pour maintenir à leurs yeux une espèce de morale électorale, alors qu’ils font le constat de l’équivalence des programmes politiques. On sent là tout le désarroi du votard, qui développe des trésors de déni pour croire encore à une transformation de la société par les élections, en « démocrature ».
Il faut donc travailler à l’avènement d’un autre modèle de démocratie sociale, qui dépasse enfin le stade de la démocratie parlementaire représentative, et qui puisse être partagé et porté massivement par les populations. C’est bien notre tâche à nous, anarchistes.

Léa Gallopavo, groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste



1. Sondage CSA/20 Minutes/BFMTV/RMC, selon la méthode des quotas, réalisé par téléphone les 28 et 29 mars auprès d’un échantillon national représentatif de 1 004 personnes, résidant en France, âgées de 18 ans et plus, et inscrites sur les listes électorales.
2. Le F Haine n’est pas vraiment le défenseur de la Sécu. Mais le fait est que les Le Pen père & fille n’ont pas un discours de casse de la Sécu, comme la droite classique, et le PS aujourd’hui. Simplement, ce seraient ces salauds d’étrangers qui viendraient se faire soigner à l’œil et la mettraient à mal…