Esquisse d’une Europe réactionnaire : les cas finlandais et hongrois

mis en ligne le 28 avril 2011
1633EuropeReactionLa France et l’Italie sont aux mains de qui l’on sait. Mais si l’on regarde ailleurs, bien plus loin et longuement que ce qu’il est possible de faire dans ce court article, de nombreux pays du continent européen voient prospérer des partis aux idées et intentions des plus inquiétantes. Certes, les doctrines en cause ne sont pas totalement homogènes ; il existe des gradations qu’il importe de relever, néanmoins se dessine une tendance xénophobe particulièrement marquée. Deux exemples sont abordés ici.

Finlande
La Finlande semblait assez épargnée par les assauts des partis d’extrême droite qui abondent pourtant en Europe du Nord. Or, le parti des Vrais Finlandais – son nom, rappelant « La France aux Français » du Front national, le « Eigen Volk Eerst » (Notre peuple d’abord) du Vlaams Belang flamand, le « Echte Österreicher » (Authentique Autriche) du FPÖ de feu Jörg Haider 1, suffit à donner le ton – vient de faire une percée électorale d’ampleur, passant d’une situation marginale à un parti susceptible d’entrer au gouvernement. Son leader, Timo Soini, porte des idées récurrentes et communes à l’extrême droite européenne actuelle à vocation gouvernementale : sortie de l’Union européenne et obsession de l’immigration. Cette famille politique se recompose et se reconfigure en vue d’évacuer les compromettantes références au (néo)fascisme et au (néo)nazisme typiques des années 1980, quelles que soient leurs dissemblances de surface. Par ailleurs, Soini considère que la Finlande devrait se retirer du protocole de Kyoto 2, en accord avec l’idée que son pays ne doit pas brider son industrie par des mesures environnementales. Autre point, il refuse, au nom de la religion, le mariage homosexuel. Se défendant de tout racisme, il convoque sa profonde foi catholique (« Je n’ai peur de personne… sauf de Dieu », assure-t-il) pour justifier qu’il ne saurait l’être, le catholicisme étant à ses yeux une religion prônant l’égalité des hommes. De même, il tente de rendre impraticables les catégorisations usuelles tendant à le classer à l’extrême droite, en arguant de son éloignement de cette famille politique quand il affirme ne pas partager les idées du FN français, avec qui il ne siège pas au Parlement européen.

Hongrie
La Hongrie a adopté une nouvelle Constitution, balayant celle issue des socialistes réformateurs de 1989. Le texte régissant dorénavant ce pays a été initié par le parti Fidesz, qui peut être idéologiquement assimilé à des groupuscules comme le Bloc identitaire, ou à un parti comme le FN. Nationalisme, traditionalisme, ancrage profond dans la religion, etc., sont les principaux points cardinaux de leur boussole doctrinale, ainsi qu’un racisme anti-Roms plus ou moins latent, comme il se doit dans cette partie de l’Europe.
Ainsi, il y est écrit : « Nous sommes fiers que notre Roi, saint Étienne, ait bâti il y a 1 000 ans l’État hongrois sur des fondations solides. » Le préambule de la Constitution fait référence à Dieu et au christianisme en tant qu’ils sont ferments et garants de la nation. Nation politiquement superposable à la nation ethnique, fantasme commun aux extrêmes droites, qui se concrétise ici par la revendication d’une « unité spirituelle et intellectuelle » de la nation hongroise. Quant au mariage, il est constitutionnellement sacralisé en ce qu’il entérine la notion religieuse de la seule union possible, celle entre un homme et une femme. Bien évidemment, le droit à l’avortement est en danger. En effet, cette nouvelle Constitution affirme : « Depuis sa conception, la vie mérite d’être protégée comme un droit humain fondamental. La vie et la dignité humaine sont inviolables. » Ou encore : « La vie du fœtus doit être protégée à partir du moment de sa conception. » Il y a comme un relent de vaticanerie qui s’exhale de tels propos.

Nommer les extrêmes « extrême »

En France, le plus souvent, les médias de masse, et nombre de politologues télévisuels – ceux qui, en 2007, à la suite de piètres résultats électoraux, prédisaient un effacement du FN de la carte politique française –, parlent de populisme – un terme d’une grande ambiguïté – et de positions ultraconservatrices, ou préfèrent pratiquer la déconsidération via l’accusation d’euroscepticisme (ce qui permet notamment de fondre dans la même catégorie « populiste/eurosceptique » les extrêmes droites et les extrêmes gauches, ces dernières refusant, bien évidemment, une construction européenne capitaliste). Or, c’est le terme « réactionnaire » qui serait idoine, en ce sens que les références de cette Hongrie fantasmée lorgnent vers un passé idéalisé, celui d’une Hongrie monarchique, éclose dans le berceau spirituel du christianisme. De la sorte, les commentateurs rechignent à asséner qu’il s’agit là d’un régime caractérisé, outre un clientélisme foncier, par un syncrétisme d’extrême droite ethniste et national-chrétien 3. En un mot : un « essentialisme ». En un autre mot, pour qui veut une référence historique connue et emblématique : un « pétainisme ». Il est toujours délicat de transposer dans un ailleurs temporel et géographique un terme aussi connoté ; cependant une remarque l’autorise : les extrêmes droites sont toujours des idéologies mixtes, et le pétainisme était caractérisé par un ancrage chrétien, un traditionalisme, un rigorisme moral et un enfermement des mœurs, une référence permanente à la terre et au travail, adéquatement condensés dans la devise « travail, famille, patrie ». C’est une doctrine matricielle, moins singulière et absolue que le nazisme, qui peut servir d’aune pour évaluer toutes les doctrines dévastatrices de l’idée même d’humanité une et multiple. Vu de France, et de nos références historiques, c’est un néopétainisme européen qui se dessine, celui auquel rêve Le Pen depuis plus de cinquante ans.



1. En mai 2007, au moment de l’élection à la présidence de la République française du futur propagandiste de l’identité nationale, il déclarait : « C’est une ironie de l’histoire que les Français élisent maintenant leur Jörg Haider, et une satisfaction que le Napoléon de poche, Jacques Chirac, appartienne désormais au passé. »
2. Rappel : traité international (onusien) visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
3. Il existe certes en Hongrie un parti encore plus à droite, et foncièrement antisémite, le Jobbik, en ce sens qu’il se distingue du Fidesz quant à son opposition totale à la construction européenne ; or la Hongrie du Fidesz préside actuellement l’Union européenne.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Dormeur

le 8 mai 2011
Pour le dire rapidement :
Cet article me semble parfaîtement pertinent.
J'aimerai ajouter que nous gagnerions tous* à (re)lire les travaux de Sternhell sur les origines du fascisme.
Non par souci historiciste, mais parce qu'y sont démont(r)és des mécanismes encore à l'oeuvre, tels que ceux décrits dans cet article.
Il y bel et bien une composante réactionnaire en Europe (cachée à première vue par des différences locale et historiques)
Fraternellement,
En toute anarchie,
Dodo
* tous? Jusqu'aux observateurs à courte vue, politologues à arrières pensées et autres commentateurs que leur paresse intellectuelle conduit à recoller sans cesse les mêmes clichés? En tous cas il y a tout à gagner à être mieux à même de déjouer leur piège, leur facilité, leur miopie.