La femme est son propre devenir

mis en ligne le 21 octobre 1982
Féminisme et mouvement ouvrier
Certains sociologues jugent les sociétés au niveau de libération des femmes. Les poètes chantèrent l’épouse, la mère, la sœur, la maîtresse, la compagne… rarement la femme.
Hélène Brion, Marguerite Durand, Séverine, Louise Michel, Emma Goldman, Jeanne Humbert, Simonde de Beauvoir, Betty Friedman… illustrent le combat des femmes pour leur dignité. Il était courant, il est encore de mise, de séparer la lutte des femmes des préoccupations immédiates du mouvement ouvrier et de la révolution. Mujeres Libres en Espagne –mouvement massif et représentatif- a montré, si besoin était, la nécessité d’une parfaite adéquation entre la lutte révolutionnaire et la libération de la femme. Parler de féminisme aujourd’hui dans certains milieux, même révolutionnaires, revient à se faire taxer de militantisme petit-bourgeois. On assimile trop facilement la lutte des femmes à un intellectualisme bon teint. Certains dissocient volontairement le féminisme du mouvement ouvrier, démarche qui n’est plus la leur dès qu’il s’agit de rattacher des théoriciens à des mouvements politiques. La démarcation n’a pas lieu d’être à ce stade : elle se situe entre réformisme et révolutionnaire. Chaque mouvement politique ou social porte en son sein des courants contradictoires. Relever au sein du mouvement féministe le seul suffragisme et ignorer ainsi la profondeur de ses revendications, de sa force émancipatrice revient à abaisser un combat fondamental de la lutte de l’homme et de la femme pour leur liberté. C’est faire le jeu du pouvoir que de vider un mouvement de son contenu révolutionnaire.
Toute lutte est économique et sociale. Il faut cependant reconnaître que le mouvement ouvrier a eu du mal à intégrer les revendications spécifiques des femmes travailleuses. Une majorité des hommes dans les structures syndicales (même dans les corporations essentiellement féminines) en demeure la meilleure preuve. Le syndicalisme n’a pas été éducatif en de domaine puisqu’il n’a pas su s’adapter aux préoccupations diverses des unes et des autres. La difficulté aujourd’hui des partis et des syndicats à réunir un grand nombre de femmes montre la réalité de ce problème. La libéralisation des mœurs, les luttes pour la contraception et l’IVG ont jalonné la prise en compte de ces revendications dans les programmes politiques. La présence des femmes dans les ministères, les directions syndicales ou organisationnelles représente des couvertures et cautionne le degré de féminisme des partis ou syndicats.

Féminisme et lutte des classes
La prise en charge –même partielle- d’un combat spécifique par une société comporte un risque évident d’intégration et de liaison de ses objectifs aux intérêts de la classe dirigeante, mais il représente également une bonne prise de température. Les pays où les combats féministes ont le plus avancé sont ceux qui ont donné aux femmes les moyens d’une prise de conscience. Pour de simples raisons économiques et sociales, la bourgeoisie et le capitalisme leur ont offert un rôle accru dans la machine économique d’où a découlé pour les femmes un examen critique de leur situation comparée à celle réservée aux travailleurs. Cette prise de conscience passe autant par la lutte des classes que par une intellectualisation de la situation. Il revient à la travailleuse de revendiquer l’égalité des revenus et des fonctions, à la femme l’égalité sociale et familiale. Les mouvements féministes dans le monde ne sont pas oppositionnels. Ils représentent les divers stades de maturité d’un combat identique. La lutte des femmes de l’islam contre le mariage ou le tchador, des Africaines contre l’excision ou des Occidentales contre le viol sont les différentes facettes d’une même revendication et combativité. Toute lutte émancipatrice s’attache en premier lieu à abattre les oppressions les plus criantes. La lutte contre l’excision, même si elle ne se bat pas directement contre la féodalité phallocratique et sociale, la déstabilise au même titre que la lutte pour les droits fondamentaux des peuples dans le cadre général du combat pour la dignité humaine. La société de classes impose sa loi sur le terrain économique et social. A nous de l’attaquer sur tous les fronts.

Oppression de la femme et lutte féministe
La force de la morale dominante est de nous inculquer avant et après notre naissance (par le biais familial de l’environnement socio-culturel et de son système socio-éducatif) des réflexes philosophiques, ethniques et religieux intégrés au conscient et à l’inconscient collectifs et individuels. La femme subit une double oppression : celle que l’homme lui impose à travers un rôle social et familial déterminé et rigide, et celle qu’elle se dicte elle-même. Nous luttons en nous-mêmes pour tenter de résoudre cette somme de contradictions qui nous déchirent entre nos aspirations réelles et celles de la « femmes » que nos pères et mères nous ont enseignées à devenir. Ce n’est pas un combat facile. De plus, il passe obligatoirement par la prise de conscience de l’homme de son rôle oppressif : cette situation, dans un premier temps, oppose objectivement les aspirations de l’homme et de la femme. Elles se synthétisent harmonieusement si la femme et l’homme, conscients de ces contradictions, les dépassent pour aspirer à une liberté identique bien que différente.
De plus, ces contradictions ne se résoudront pas forcément sur le même terrain. Les femmes se sont regroupées parce qu’elles avaient les mêmes intérêts à défendre en tant que femmes, les organisations ouvrières n’étant pas porteuses de cette émancipation. Trop souvent, cette émancipation n’a pas quitté le stade des bonnes intentions. Le mouvement anarchiste n’a pas toujours échappé à la règle commune. Bien que le problème ne puisse, de toute façon, recevoir une solution satisfaisante sans une transformation radicale des structures socio-économiques et des mentalités, les militants n’ont pas, bien souvent, paré leur quotidien de cette nécessité.
C’est pourquoi toute proposition de transformation de la société, avançant l’émancipation de l’homme, doit être associée concrètement à celle de la femme.
Dès lors, il revient au mouvement ouvrier de réintégrer les revendications féminines et de conjuguer dans sa pratique quotidienne les désirs de toutes et de tous. Les militantes durent ainsi lutter pour que celui-ci prenne en charge réellement ce combat, elles ont malheureusement trop souvent propagé leur idéal à l’extérieur (comme Louise Michel, Emma Goldman, Mujeres Libres).
La force de toute idée réside dans ses capacités à résoudre ses contradictions entre le verbe et l’action. Le mouvement anarchiste a largement participé, en son temps, à la lutte opiniâtre menée par les néo-malthusiens. Les hommes et les femmes qui le composent n’en demeurent pas moins des produits d’une idéologie dominante et judéo-chrétienne qu’ils combattent. Fort de cette contradiction résolue sur le plan théorique, il ne nous reste plus qu’à nous y atteler dans notre pratique.
La femme est seule face à sa propre liberté : c’est en elle qu’elle trouvera les forces et l’énergie nécessaires pour l’assumer.
A la maison, au travail, au syndicat ou dans l’organisation spécifique, elle doit la sauvegarder contre l’impérialisme de son compagnon, collègue ou camarade. Sa liberté s’étendra à partir du moment où l’homme saura dépasser l’oppression qu’il lui fait subir. Il n’y a pas de libertés individuelles possibles si nous oublions que l’individu est une somme de désirs, de chair, d’os et a un sexe. Nous avons le choix de devenir des femmes et des hommes libres dans leurs différences et unicité. C’est à cette liberté que nous aspirons ; donnons-nous les moyens d’y parvenir.

La Commission femmes