Madagascar : démocratie, organisation légale de la corruption ? (1/2)

mis en ligne le 24 mai 2012
La question se pose clairement à Madagascar, mais ce qui s’y passe n’est que le reflet plus lisible de l’organisation des pouvoirs dans le monde.
Chaque pays doit répondre à des normes dictées par les nations dominantes. Chaque nouveau gouvernement arrivant au pouvoir reçoit, de la part de la « communauté internationale », le mode d’emploi et le code de bonne conduite nécessaires à sa reconnaissance et à son droit d’entrer dans le concert des nations, au label « bon à exploiter » dans les deux sens du terme.
À Madagascar, en relais de l’époque coloniale, les méthodes mafieuses font maintenant école car le but reste clairement le même : piller jusque dans les moindres niches toutes les richesses du pays, et ce en contrepartie de fonds de développement ou d’investissements générant de nouvelles dettes, de nouvelles compromissions et une nouvelle forme d’asservissement pour le siècle à venir. Le plus grand perdant, c’est bien entendu la population, et si la mission première de l’État était de protéger les citoyens et leurs familles, la raison économique et politique l’emporte sur la raison d’État posant alors la question du rôle des autorités et de leur légitimité.
En 2010, un rapport de la Banque mondiale estimait que deux tiers des Malgaches vivaient en dessous du seuil de pauvreté soit avec moins de un dollar par jour. En 2012, cette estimation peut être revue à 80 % de la population, soit plus de 16 millions de pauvres qui survivent sur un matelas cousu d’or. La multiplication des découvertes de richesses naturelles est le seul réel enjeu perçu par le concert des nations, sous couvert du sempiternel discours d’une nécessaire implantation de la démocratie dans le pays.
De nombreuses filières stratégiques sont concernées : les mines, les énergies fossiles, les terres rares, le bois, les terres cultivables et la propriété foncière. Sur ce tableau apocalyptique, se greffent l’ensemble des moyens de gestion coercitive existants :
– les banques dont près de 90 % sont de capitaux étrangers et aux taux d’emprunts exorbitants (20 % est un classique), relevant plus de l’usure que de l’emprunt de développement ;
– les institutions dont les réformes favorisent l’émergence de partenariats nouveaux à chaque changement de régime et étouffent dans l’œuf les velléités de contestation ou de résistance (les dérives étatiques sont telles qu’elles sont en négociation permanente avec l’armée et les institutions policières afin de préserver leur collaboration) ;
– les ONG qui, sous couvert de développement durable ou de recherche, sont les têtes de pont d’identification de nouvelles richesses (huiles essentielles, plantes médicinales ou cosmétiques) ;
– les fonds culturels dont le but est de formaliser une entente culturelle, artisanale et artistique low cost, conforme aux marchés internationaux.
Pour clore cette présentation non exhaustive, il reste à décrire l’état d’esprit dans lequel sont menés ces « échanges » et que l’on pourrait résumer ainsi : « Les Malgaches travaillent bien, mais il est impossible d’amener le pays à une échelle de production standardisée. D’autre part, le Malgache est paresseux et ne voit pas plus loin que le rapport immédiat, n’hésitant pas à gruger leurs patrons. Ils n’ont pas d’attachement à leur entreprise et tout au plus est-il possible d’identifier de bons exécutants. »
La vérité est que le Malgache veut vivre et refuse le modèle qui lui est proposé, ce modèle qui remet en cause sa souveraineté, sa culture, son mode de vie, son avenir et ses traditions. Ce modèle qui l’exproprie de ses richesses et détruit son environnement. Ce modèle qui divise dans un jeu politique caricatural où l’ensemble des dirigeants anciens et contemporains jouent à la chaise musicale et réclament la tenue de nouvelles élections auxquelles plus personne ne croit et dont l’issue quelle qu’elle soit ne serait que la reconduite de l’exploitation à outrance.
Trois années après la prise de pouvoir par l’actuel gouvernement présidé par Andry Rajoalina et nommé « gouvernement de la transition », le pays s’enlise dans un exercice du pouvoir qui finit par ressembler à un mandat volé à la nation. Un régime consécutif à une prise de pouvoir populaire, au prix du sang versé, de l’exil, de la répression, de la destruction des biens et de l’emprisonnement politique. Un régime dont la finalité était de mettre en place des élections qui n’ont jamais eu lieu car il y avait économiquement et stratégiquement beaucoup mieux à faire. Un régime qui a donné au peuple Malagasy cette occasion de renouer avec la faim, la misère et l’asservissement. En réalité, le seul facteur résistant dans le bon déroulé des tractations, c’est le peuple qui a pris conscience de son asservissement dans la plus grande détresse. Aujourd’hui, la population malagasy est autant en danger que les lémuriens qui vivent dans l’île. L’expropriation du pays s’est faite à coups de 4X4, de contrats, de tee shirts, de discours « démocrasses » et de vulgaires « goodies » car la pauvreté est devenue une stratégie de conquête à part entière dont l’équation est simple : lorsqu’elle s’instaure tout s’achète, même les âmes. C’est à l’ouverture de ce grand supermarché qu’ont collaboré les gouvernements successifs depuis 1960 ! Il reste aux nations dominantes à renforcer ou à fragiliser le pouvoir des élites locales dont elles entretiennent le statut et dont la principale vocation est de faire avaler la pilule d’une misère nécessaire au bon ordre économique mondial.
Mais il faudra compter avec cette population maintes fois trompée par des déshérences politiques. Il faudra compter avec cette jeunesse ouverte aux nouvelles technologies et qui compte bien avoir droit à une existence. Il faudra compter avec les nombreux intellectuels et membres de la société civile qui se placent en contre-pouvoir et réclament le droit à vivre leur civilisation. Il faudra enfin compter sur cette désaffection à toute notion de pouvoir central qui, depuis l’indépendance, n’a eu de cesse de faire passer le développement social au second plan, bien loin derrière les priorités économiques et politiques. Il n’est donc pas étonnant, dans un tel contexte, de voir surgir de nouveaux codes d’appartenance sous des formes multiples : les sectes religieuses, les pratiques ancestrales d’autogestion et de démocratie directe par les fokonolona et une recherche d’un autre modèle politique. Madagascar est inconsciemment devenu un creuset de recherches d’alternatives sociales possibles dans le plus grand silence. Pour que la chape soit démise, les médias internationaux attendent leurs modèles habituels de renversement de pouvoir par la violence, mais ils ne l’auront pas. Le peuple en a assez d’être manipulé dans l’affrontement et opte aujourd’hui pour l’action directe, non pas seulement au plan politique ou syndical, mais au plan de la recherche et de l’expérimentation d’une société nouvelle basée sur la proximité, le droit à la vie du citoyen et sur son émancipation.

Sur la terre
Le dossier le plus sensible et passé sous un silence concerté, c’est l’accaparement des terres à Madagascar. Si l’achat des terres par les étrangers était traditionnellement interdit, la loi de 2003 autorise les opérations menées par des sociétés étrangères associées à une entreprise malgache. Que se cachait-il derrière cette loi ?
– L’accès d’investisseurs étrangers à l’appropriation des moyens et outils de travail à des fins de spéculation.
– La valorisation financière des biens.
– La prise en otage de la population cantonnée à des travaux de servage et d’exécution.
– La création de sociétés de nationalité mixtes concentrées entre les mains des grandes familles dirigeantes malgaches bien plus acquise à la culture de l’argent qu’à l’amélioration des conditions de vie de leurs compatriotes.
Le travail remarquable du Collectif pour la défense des terres malgaches vise à alerter sur les tentatives d’expulsion et d’expropriation dans les villes et surtout dans les campagnes. Tout bon investisseur sait que la propriété est la base d’une implantation solide pour mieux sécuriser les capitaux. En 2009, le président Ravalomanana alors en exercice, l’a payé au prix fort. Après avoir négocié avec la société coréenne Daewoo un contrat de bail pour quatre-vingt-dix-neuf années et portant sur 1,3 millions d’hectares de terres, il s’est heurté à un refus catégorique de la population, provoquant de gigantesques manifestations qui ont abouti à sa démission, puis à son exil en Afrique du Sud. Ces espaces cultivables étaient destinés, sans contrepartie pour la population, à la culture de maïs et d’huile de palme réservée à la production de biocarburants.
C’est sur cette vague d’opposition qu’est venu se greffer l’actuel président Andry Rajoelina dont la mission était d’organiser rapidement des élections et qui s’est finalement fixé comme mandat de structurer sa légitimité de fait autour de tractations financières de tout genre destinées à mettre en accords des pays concurrents pour l’exploitation des richesses.
Le message populaire était pourtant clair : le refus d’une politique basée sur l’esclavage et le népotisme, la volonté de prendre en main sa souveraineté et sa propre destinée et la décision de construire son avenir dans le respect des coutumes et des traditions locales.
Il est clair que ce message n’a toujours pas été entendu. Signe de manque de maturité des dirigeants ou de mépris de leurs administrés ?
Aujourd’hui, ces transactions continuent en dehors de toute transparence par le biais de sociétés d’exploitation malgaches, prête-noms d’intérêts internationaux. Il devient très difficile d’évaluer l’étendue des transactions abouties. La notion de propriété n’ayant jamais été formalisée au sens capitaliste du terme, la terre appartenait aux petits paysans qui l’exploitaient, laissant une porte ouverte à toutes les revendications de propriété et en particulier, aux revendications d’état.
Quant à la valorisation de méthodes agricoles adaptées et l’appui des populations paysannes pour nourrir le pays, ce ne sont que lettres mortes oubliées au fond d’attaché cases rutilants.

Patrick Rama, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste