Je suis une putain de féministe

mis en ligne le 4 juillet 2013
1713AntisexismeLes rumeurs de quelque incident à la Foire à l’autogestion entre le Strass (Syndicat du travail sexuel) et des membres ZéroMacho ont pu parvenir aux oreilles de certains et certaines. Méconnaissant ces derniers, j’ai donc consulté leur site Internet et j’ai alors découvert leur communiqué La violence jusqu’où ?, daté du 13 juin à ce sujet. Et, après cette lecture, je me dois de leur décerner le prix du n’importe quoi rhétorique : « Alors qu’un jeune homme vient d’être tué à Paris pour ses idées, quelles conclusions tirer de ce nouvel incident violent ? » demandent-ils dans ce texte.
Puisque l’on nous enjoint à tirer des conclusions, constatons d’abord que l’emphase de cette interrogative est proprement irrespectueuse. Instrumentaliser la récente mort de notre camarade Clément pour servir une argumentation, où ils se présenteraient comme les victimes d’un prétendu ordre fasciste de « soutiens de la prostitution », est irrévérencieux autant qu’absurde. En matière de récupération politicarde, ils ne sont pas les premiers, malheureusement. Mais revenons au fond de leur discours : à lire leur manifeste, nulle part n’est fait mention d’un lien, direct ou non, avec l’autogestion, sauf à considérer que la masturbation en fasse partie. Leurs projets politiques s’appuient sur des revendications qui s’en remettent aux « pouvoirs publics » afin de lutter contre « le système prostituteur ». C’est très insuffisant comme réponse politique, mais des légalistes, on en a vu d’autres. Enfin, leur discours se clôt par cette interrogation : « Quelle Europe allons-nous construire ? » Ils se reconnaissent dans une Europe, en tant qu’internationaliste cela me laisse coite, mais il y a mieux. Ce regroupement politique semble se présenter comme constitué d’hommes, très divers, unis par une fierté : ne pas être « client » (certains ont d’ailleurs fait acte de repentance et ne le sont plus). Ces nobles cœurs défendent ainsi les victimes de la traite, mais surtout les malheureuses égarées dans cette mauvaise vie afin de les sauver d’elles-mêmes. Des féministes, on vous dit ! Qui parlent vaillamment à la place des personnes concernées, parce que, eux, ils ont compris ce qu’il fallait faire pour une société débarrassée de la prostitution. L’État, l’Europe, la loi vont tout faire pour que les dominations cessent. Et en particulier la prostitution où, c’est bien connu, les abus et policiers, bras armé du capital, sont si rares… Il suffit de faire des petites actions abolitionnistes, et ceux qui osent la masturbation verront alors un soleil glorieux s’élever à l’horizon !
Les anarchistes s’accordent communément sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de domination et font des sans-voix leurs compagnes et compagnons de lutte. N’ayant pas la vocation d’être une avant-garde éclairée, nous sommes opposés à l’idée de représenter celles et ceux qui luttent contre l’injustice sociale. Nous ne volons pas leur parole, nous soutenons leurs voix, ne pourchassant pas celles-ci dans un but électoraliste. Nous souhaitons voir le développement de structures auto-organisées, autogérées, permettant une solidarité de classe dans les luttes contre l’oppression. Et pour les soutenir, nous devons d’abord nous défaire de nos a priori, ne pas projeter sur l’autre nos propres conceptions sur une situation que l’on ne vit pas. Or, toutes ces personnes qui vivent du travail sexuel sont sans cesse renvoyées à cette image d’éternelles paumées, toujours victimes, jamais que des putes. Mais ces êtres humains, même victimes de la traite, doit-on les enfermer dans des cases, les stigmatiser ? Personne ne se définit uniquement par son travail, personne n’a vocation à être dépossédé de tout, même de sa capacité d’assumer un choix de vie. Lorsque l’on veut faire disparaître légalement la prostitution alors que les causes de son existence ne sont pas changées, c’est parce que cela dérange. Les prostitués des deux sexes dérangent, on voudrait qu’ils n’existent pas. Comme pour fair disparaître la prostitution il faudrait que l’oppression patriarcale et salariale disparaisse également, certains préfèrent s’appuyer sur des lois, arguant que ces lois ne font pas plus de victimes. C’est ainsi qu’on laisse au ban des luttes, celles et ceux qui sont déjà criminalisés par la société. En oubliant qu’une personne stigmatisée est toujours moins écoutée, on perd de vue notre éthique. En voulant faire passer en force des lois répressives, faisant de la prostitution la proie d’une précarité et d’un isolement médical et social accru, on sacrifie sur l’autel du principe des générations de prostitués. Les incidences concrètes de l’action des abolitionnistes sont d’une gravité néfaste, il n’y a qu’à voir les soutiens de Médecins du monde pour s’en persuader, à contre-courant des hygiénistes, moralistes, « maternalistes » et autres gens de principes.
Au début des luttes contre l’ordre moral, les féministes clamaient « Toutes prostituées ! » et marchaient main dans la main avec celles-ci, qu’elles aient choisi ce travail ou non. Aujourd’hui, c’est la double peine : dès qu’elles s’organisent pour plus de droits et de reconnaissance, qu’elles soient chinoises à Belleville, escort girl (ou boy), on leur tourne le dos, pire on les traite comme si ils et elles étaient une affreuse erreur dans l’histoire du féminisme, des ennemis, avec pour projet, de construire un empire prostituteur, une espèce de super-proxénète. Alors, certes, les syndicats sociaux-traîtres existent, on l’a vu avec l’accord inique ANI, mais un syndicat autogéré construit par les concernés peut difficilement être taxé de maquereau. Quelle idée saugrenue de s’allier entre exploités pour gagner des luttes, améliorer ses conditions de travail, et donc de vie, pour, finalement, avoir davantage le choix de sa condition ! Aussi, ne nous trompons pas d’ennemis et, pour le dire avec Emma Goldman : « Le problème, ce n’est pas la prostitution, mais la société elle-même, ce système injuste porté par la propriété privée. »

Marine
Marx Brothers and Sisters
Fédération anarchiste Montreuil