C’est pas du cinéma : main basse sur la ville d’Aigues-Mortes

mis en ligne le 3 octobre 2013
1717CinemaAigues-Mortes, 8 000 habitants. Cette jolie cité de la Camargue gardoise, connue pour ses grandioses remparts, est secouée par une polémique qui ressemble à un mauvais film, déjà vu ailleurs. Celui de Main basse sur la ville 1.
La ville a la chance de posséder un cinéma, le Marcel Pagnol. Ce cinéma est géré et animé par une association à but non lucratif qui n’est pas une structure para-municipale. Cette association fédère des gens de tous bords, motivés par le maintien d’une présence culturelle à travers un cinéma qui tisse du lien entre les gens. Grand Écran pour tous, association animée par des bénévoles, bénéficie d’une convention avec la mairie depuis 2001. Ils ont fait de ce cinéma une salle reconnue pour son dynamisme (débats, programmation art et essai, festivals…), au budget équilibré, et au nombre d’entrées stable. Ce sont ces bénévoles qui ont permis que le cinéma évolue vers le numérique, afin de pérenniser cet outil collectif. Une pareille proposition cinématographique est une belle opportunité pour les gens, dans cette partie du département.
Mais nous savons que les représentants français de la « world company » ont les dents longues ; ils cachent parfois leurs appétits financiers sous couvert de « culture ». GDF-Suez, et sa succursale Culturespaces, gère ainsi des espaces historiques parfois prestigieux. Ce sont des délégations du service public. Une privatisation de l’espace communal, quoi.
À Aigues-Mortes, c’est cette société-là qui prétend vouloir réaliser un film touristique sur la ville et le projeter en boucle dans le cinéma Marcel Pagnol, tous les jours, de 9 heures à 19 heures. La municipalité a permis à Culturespaces de faire son business pendant, sans concerter les acteurs locaux. En agissant ainsi, le maire sait bien que l’association gestionnaire ne pourra plus faire le travail qu’elle réalise depuis vingt-quatre ans. Les recettes des guichets seront amputées et, de fait, le déséquilibre financier suivra ; la diversité culturelle se restreignant, ce sont tous les publics autochtones qui en pâtiront. Et tout ça pour caresser le tourisme dans le sens du poil ! Pour enrichir une filiale de Suez !

Bien commun contre capitalisme
L’opposition se structure 2, deux mille signatures sont collectées pour refuser ce projet. Grand Écran pour tous se positionne sans ambiguités. Le maire de la ville fait voter le 4 juillet 2013 au conseil municipal une résiliation de la convention la liant à l’association gestionnaire du cinéma. Il fait bloquer la subvention versée habituellement par le conseil général du Gard, demande le remboursement de la subvention municipale, empêche la présence de Grand Écran pour tous au forum annuel des associations, envoie les huissiers… Le 5 septembre, l’occupation des lieux commence, nuit et jour, pour empêcher le maire de s’emparer des locaux. « Ce qui est assez remarquable, c’est de voir que les personnes qui occupent, la nuit, sont des sexagénaires qui dorment par terre, dans des duvets », me confie Frédéric, un cheminot, lui aussi opposé à la liquidation de la culture dans sa ville. Le 26 septembre, des agents se présentent pour couper l’eau et l’électricité. Les occupants, très déterminés, arrivent à les repousser. « On ne voit pas pourquoi on devrait laisser cet espace culturel pour le livrer à des gens qui veulent en faire un espace commercial ; le but de tout ça, c’est de faire du commerce, pas de la culture. Et la mairie réclame pourtant la propriété du matériel de projection, alors qu’elle n’a participé qu’à hauteur de 10 % de son renouvellement ! La mairie s’en prend à sa propre population en menaçant notre cinéma et son association », s’indigne Frédéric.
Cette situation n’a rien d’un cloche-merle aux accents pagnolesques, pouvant paraître vaguement exotique vu de loin. C’est une authentique bataille contre le capitalisme prédateur. Nous avons là une société privée au visage aimable qui propose une sous-culture en faveur de la manne touristique, à la place d’un cinéma qui a de l’ambition culturelle et sociale, géré collectivement à travers l’association Grand Écran pour tous. C’est ici une appropriation par un capitalisme bien français celui-là, d’un cinéma, un espace communal et associatif, ce bien commun qui nous appartient. Ailleurs, ce seront les espaces verts ou les cantines scolaires. Et c’est enfin un conflit politique qui, dans un cadre légal, républicain et démocratique, offre un bel exemple de l’exercice d’un pouvoir en faveur du capitalisme, et au détriment de l’intérêt commun.








1. Main basse sur la ville, de Francesco Rosi (1963).
2. Voir le site http://gardarem-lou-pagnol.fr/.