Situation explosive en Thaïlande

mis en ligne le 11 décembre 2013
1725ThailandeDepuis bientôt deux mois, Bangkok connaît un mouvement d’occupation qui ne cesse de s’étendre jusqu’à toucher d’autres régions de la Thaïlande. La coalition antigouvernementale est notamment composée de « démocrates » (droite libérale), de « chemises jaunes » (extrême droite nationaliste et soutien de la monarchie), d’un mouvement d’étudiants et même d’une branche de la secte bouddhiste Santi Asoke. Les revendications ont évolué à mesure que leurs rangs grossissaient. Au début, quelques milliers de manifestants seulement occupent Sam Sen, une gare de la capitale, ainsi que le monument de la démocratie situé sur les Champs-Élysées locaux. Ils demandent au gouvernement de retirer son projet de loi d’amnistie permettant à Thaksin, ancien premier ministre en exil et frère de Yingluck Shinawatra, l’actuelle chef du gouvernement, de rentrer au pays sans craindre d’effectuer les deux ans de prison et de voir la moitié de son immense fortune confisquée, effets d’une condamnation par contumace pour escroquerie et abus de pouvoir. Vers la mi-novembre, le mouvement compte plusieurs dizaines de milliers de manifestants. Un ministère est occupé, puis trois autres. Suthep Thaugsuban, leader « démocrate » de la coalition lance le slogan assez vague d’une révolution populaire. La foule entoure les bureaux de la Première ministre avec pour objectif son occupation comme celle de l’état-major de la police et le contrôle des communications. Pendant ce temps, les partisans du gouvernement ne restent pas inactifs. Samedi 30 novembre, plusieurs dizaines de milliers d’entre eux, se rassemblent dans un stade de Bangkok. Ces « chemises rouges » sont le plus souvent des paysans, des prolétaires des provinces de la partie nord du pays. De sévères échauffourées se produisent avec un groupe d’étudiants opposés. La police utilise canons à eau, gaz lacrymogène et balles de caoutchouc. La violence s’installa pendant deux jours dans quelques parties de la ville. Deux morts et une centaine de blessés. Les commentaires, à ce moment, laissent craindre que la Thaïlande connaisse à nouveau une situation où la violence provoque de nombreux morts, comme en mai 2010 ou en octobre 1973. Les « chemises rouges » décident de quitter le terrain pour éviter le pire. Parallèlement, Suthep appelle les fonctionnaires à la grève générale, sauf ceux des aéroports et des chemins de fer, afin de ne pas désorganiser le pays ni faire peur aux étrangers, investisseurs et touristes. En fait, c’est tout le « système Thaksin » qui gangrène le pays par le népotisme, l’affairisme et la corruption dont la foule des manifestants veut se débarrasser. L’ultimatum pour la démission de la Première ministre est reporté de quelques jours, après le 5 décembre, qui se trouve être, par un étrange et inopportun hasard, le jour de l’anniversaire d’un roi auquel une grande partie du pays voue un culte réel, une dévotion profonde mais qu’on peut expliquer par soixante ans de propagande, d’affichage dans les lieux publics comme dans beaucoup de logements privés et par une loi bien pratique pour condamner toute sorte d’opposants au prétexte de crimes de lèse-majesté. Depuis ces derniers jours, les parties en présence calment le jeu et le Bangkok Post, journal anglophone local « de référence », faisait sa une de manifestants fraternisant avec la police de la ville. D’autres sont autorisés à pénétrer dans le siège du gouvernement.

Des perspectives
Chacun des deux partis demande la dissolution de l’autre. Suthep annonce le recyclage d’une proposition déjà refusée il y a quelques années, la nomination au poste de chef d’un gouvernement intérimaire d’une personnalité non engagée dans le champ politique et qui recevrait l’agrément du roi. Les partis de la coalition, en appelant la démission de Yingluck Shinawatra, provoqueront des élections anticipées qu’ils espèrent gagner, alors qu’en juillet 2011, ce sont les « chemises rouges » du parti Pheu Thaï qui les avaient largement remportées. Deux inondations catastrophiques et une occupation massive plus tard, chacun reconnaît l’incompétence d’une Première ministre, marionnette appliquant les décisions d’un frère en exil. Quel que soit le prochain gouvernement, il est évidemment prévisible que n’ait lieu aucune avancée sociale, aucune amélioration des conditions de vie des prolétaires et des couches pauvres (et elles sont nombreuses) d’un pays entièrement acquis à la cause du capitalisme dérégulé. Jusqu’à la prochaine et inévitable vague de violence tant la population est « tondue » par des systèmes qui n’ont qu’un seul objectif, rentabiliser au mieux pour eux, leurs proches et leur famille (politique et personnelle) leur investissement dans le jeu politique.

Les raisons de la colère
Le capitalisme sauvage pratiqué ici provoque de sérieux dégâts et la corruption y règne de façon endémique. D’ailleurs, il semblerait que Suthep, lui aussi homme politique ayant déjà exercé le pouvoir, traîne la réputation d’être corrompu. Des fortunes considérables s’amassent en toute impunité voisinant avec la plus extrême pauvreté ; une classe moyenne appauvrie et vivant à crédit remâche son amertume. Le droit du travail et les prestations sociales existent mais sont réduits à la portion congrue. Il existe une retraite pour les fonctionnaires de même qu’un smic, mais extrêmement bas ; en revanche, pas un jour ne passe sans qu’il soit fait écho de « bonnes œuvres », particulièrement lorsqu’elles sont d’origine royale. L’organisation sociale thaïlandaise a profondément changé dans les vingt dernières années, les solidarités ont évolué, l’exode rural a créé un important phénomène de ghettoïsation. À Bangkok, les temps de transport pour se rendre au travail ont augmenté (deux à trois heures par jour ne sont pas inhabituelles) dus principalement à des embouteillages permanents. La monarchie, qui, étonnamment, est un repère, est fragilisée par la mort sans doute prochaine du roi, par les silences qu’on lui reproche et par l’absence d’un héritier possédant la même légitimité populaire. Enfin, lors des automnes 2011 et 2013, des inondations catastrophiques ont frappé le pays, provoquant des morts (plus de 500 en 2011) et des réfugiés climatiques en nombre. Alors que ce sont les partisans du gouvernement actuel, élu depuis 2011, vivant dans les parties du nord du pays qui ont été le plus touchées, leur soutien n’a pas faibli. C’est beau, la fidélité.

F.L.