On veut choisir, en Espagne comme ailleurs

mis en ligne le 29 janvier 2014
1730KalemLes droits des femmes restent précaires. C’est pour le droit à l’interruption volontaire de grossesse que la France avait inventé une loi pour cinq ans, modalité qui n’avait jamais été envisagé auparavant ; au terme de cette période, la loi pouvait être confirmée. La loi fut donc promulguée le 17 janvier 1975, après de grandes manifestations et d’initiatives spectaculaires des militantes et militants du MLAC, et des débats très difficiles portés par Simone Veil à l’Assemblée nationale, et confirmée ensuite le 31 décembre 1979.
En Espagne, les femmes n’ont eu ce droit que beaucoup plus tard alors que la région de Catalogne avait pu bénéficier durant la guerre civile d’Espagne de la Réforme eugénique de l’avortement de Federica Montseny qui libéralisa l’interruption de grossesse par une loi le 25 décembre 1936 (un jour de Noël dans un pays si catholique !), loi qui fut vite abrogée lors de l’écrasement de la révolution espagnole. Autre période, la promesse de campagne 2011 de Mariano Rajoy se concrétise : le gouvernement espagnol a adopté le 20 décembre 2013 un avant-projet de loi sur « la protection de la vie de l’être conçu et des droits de la femme enceinte » qui annule la loi de 2010 : celle-ci autorisait l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse et jusqu’à 22 semaines en cas de malformation du fœtus. Et ceci au mépris des recommandations des textes internationaux de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation des Nations unies. Renouant avec des pratiques qui dénient la liberté de choix aux femmes, au mépris des droits humains fondamentaux, il annonce clairement son projet de société : maintenir les femmes dans un statut social étroit et de soumission.
Le projet actuel restreint le droit à l’avortement à tel point qu’il ne reste que deux cas autorisés pour y avoir recours :
– si la grossesse est « une conséquence d’un délit contre la liberté ou l’intégrité sexuelle de la femme », autrement dit, en cas de viol pour lequel une plainte aura été déposée ;
– si elle menace « de manière durable ou permanente la santé physique ou psychique » de la femme enceinte.
Quant au cas de malformation du fœtus comme motif d’interruption volontaire de grossesse, il faudra un rapport de deux médecins. Le texte réintroduit par ailleurs l’obligation pour les mineures âgées de 16 et 17 ans d’avoir une autorisation parentale.
Cette attaque du gouvernement espagnol s’inscrit dans l’offensive européenne des opposants aux droits des femmes. En décembre 2013, le rapport Estrela fut rejeté par le Parlement européen : il s’agit d’un rapport sur la santé et les droits reproductifs, traitant de l’accès aux contraceptifs et à l’avortement, de la procréation médicalement assistée, de l’éducation sexuelle et de la liberté de conscience. Ce rapport proposait que l’avortement soit de la compétence de l’Union européenne encourageant ainsi tous les états membres à l’autoriser. Ce pouvait être une directive européenne forte pour étendre les droits des femmes à maîtriser leur fécondité dans des pays comme Malte ou l’Irlande où l’avortement reste absolument interdit.
Immédiatement, dans diverses villes d’Espagne, des manifestations ont été organisées : « Non aux lois cléricales, machistes et médiévales », scandent les femmes espagnoles qui ne veulent pas d’un retour à l’obscurantisme et aux sombres heures du franquisme. En France, déjà deux rassemblements (le 27 décembre et le 8 janvier) ont montré la solidarité vis-à-vis des femmes espagnoles. De grandes manifestations sont prévues le 1er février, date que les Espagnoles ont choisie pour faire converger les solidarités dans les divers pays d’Europe.
Le mouvement des Femen les soutiennent, comme par exemple à l’église de la Madeleine à Paris le 20 décembre dernier où une femen y a dévoilé sur sa poitrine ce message : « 344 salopes » en référence au manifeste des 343 femmes en faveur de l’avortement en avril 1971. Sur les réseaux sociaux, les photos de l’action sont publiées et expliquent : « Noël est annulé ! Du Vatican à Paris. Le relais international de Femen contre les campagnes anti-avortement menées par le lobby catholique continue, la sainte mère Eloïse vient d’avorter de l’embryon de Jésus sur l’autel de la Madeleine. » Les Femen dénoncent les atteintes au droit à l’avortement, évoquant « un chemin de croix ». Près de la place Saint-Pierre, au Vatican, pour protester contre la condamnation de l’avortement par l’Église catholique, une femen ukrainienne avait déjà posée seins nus en criant et arborant : « Christmas is canceled, Jesus is aborted. » À Madrid, le 23 décembre devant l’église San Manuel y San Benito, une militante s’est mise à genoux les bras en croix, montrant sa poitrine sur laquelle était inscrit « Avorto libre ».
Jill Love, actrice, mannequin et militante, a répondu à sa façon au projet de loi restreignant le droit à l’avortement en Espagne, par une performance visuelle : dans une rue principale de Madrid, elle fait la manche avec une pancarte sur lequel on peut lire : « S’il vous plaît, aidez-moi pour me permettre d’aller avorter à Londres. »
Profondément remis en cause par un projet de loi en Espagne, le droit à l’avortement est aussi interrogé dans la Confédération helvétique. Le 9 février prochain, les Suisses se prononceront par référendum sur le remboursement de l’IVG. Les partis conservateurs veulent remettre en cause la prise en charge de l’avortement par le régime de base de l’assurance-maladie. Selon eux, l’IVG est un choix d’ordre privé qui ne doit pas être financé par l’ensemble des citoyens.
En France, le droit à l’avortement n’est pas frontalement remis en cause mais, insidieusement, les restrictions budgétaires dans les hôpitaux conduisent à fermer des services peu à peu et ce serait encore plus dramatique si les associations féministes, les syndicats et les militants politiques, dont la Fédération anarchiste, ne se mobilisaient pas, comme à l’hôpital Tenon. Mais déjà en Ile-de-France, des centres d’interruption volontaire de grossesse et de contraception (CIVG) ont dû fermer : celui de l’hôpital Saint-Antoine a disparu, transféré sur Tenon et Trousseau, il y a eu ceux de Juvisy, Broussais, et celui de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul qui a été remplacé par celui de Port-Royal.
Quant aux opposants aux droits des femmes, ils manifestent depuis vingt-cinq ans devant les établissements hospitaliers pour faire barrage à la pratique de l’IVG et de la contraception. Les pro-vie, comme ils se nomment eux-mêmes, rassemblent diverses associations dans la lignée de la Fondation Jérôme Lejeune et des courants politiques d’extrême droite. Le collectif En marche pour la vie (proche de la Manif pour tous et des milieux catholiques) a défilé à Paris ce 19 janvier pour demander l’abolition de l’avortement. Vêtus de foulards rouges et brandissant des pancartes aux couleurs de l’Espagne, ils sont venus soutenir la future loi espagnole anti-avortement et s’opposer aux amendements sur l’IVG discutés lundi 20 janvier à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la loi égalité homme-femme. En marche pour la vie n’en est pas à sa première manifestation : ce collectif regroupe une douzaine d’associations comme ACPERVIE-SOS Maternité (chrétiens protestants et évangéliques), AOCPA-Choisir la vie, Chrétienté Solidarité, Comité pour sauver l’enfant à naître, la Confédération des familles chrétiennes, Laissez-les-vivre-SOS Futures mères, et chaque année, à plusieurs reprises, il manifeste pour le Droit à la vie et contre l’avortement et la contraception.
Ces forces visent une société dans laquelle les femmes sont consignées aux trois K, Kinder, Küche, Kirche, c’est-à-dire « enfants, cuisine, Église », valeurs traditionnelles qui leur va si bien selon les préceptes et la morale de l’Église ! L’heure est à la mobilisation de toutes les femmes et de tous ceux qui combattent pour une société où chacune, chacun puisse décider de son propre corps et de sa vie affective et sexuelle en toute liberté.
Le Mouvement français pour le Planning familial, le Collectif national pour les droits des femmes, la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception et diverses associations organisent le samedi 1er février, à Paris à 14 heures, une manifestation pour la défense du droit à l’IVG en Espagne : « Non à l’ordre moral qui veut gérer nos vies, oui à nos droits, tous nos droits et la liberté de choix d’avoir un enfant ou non. Femmes d’Espagne, de France et d’ailleurs, unies dans le même combat ! »

Hélène
Groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste