Tir aux pigeons sur les migrants

mis en ligne le 20 mars 2014
Parmi les portes de passage vers l’Europe, on trouve Ceuta et Melilla, deux villes espagnoles en terre marocaine ; deux enclaves, vestiges du passé colonial de l’Espagne, deux confettis connus surtout pour être des zones franches où les marchandises sont détaxées pour le plus grand profit des touristes et des commerçants. Pour y pénétrer, des milliers d’Africains subsahariens campent dans les montagnes et les bois alentour attendant l’occasion de pouvoir franchir les barrages des autorités marocaines et espagnoles (30 % des migrants sont entrés en Espagne par ici, principalement originaires du Mali, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Niger). À noter que ces migrants, en plus des sommes versées aux passeurs, sont rackettés par la police marocaine ; il faut payer pour un emplacement dans les bois, pour une échelle en vue d’escalader les grilles… Plus connues aujourd’hui pour être un accès à l’Espagne et donc à l’Union européenne, les villes de Ceuta et Melilla se sont dotées d’une triple muraille constituée de grilles de six à sept mètres de haut, pour empêcher ce que certains n’hésitent pas à qualifier « d’invasion ».

Quand l’Europe investit dans le barbelé
Ces grilles sont largement financées par l’Union européenne qui a versé 40 millions d’euros au Maroc 1 pour surveiller ses frontières et dissuader « vigoureusement » les candidats à l’immigration. Elles avaient été installées en 2005 sous le gouvernement socialiste de Zapatero, puis démontées deux ans plus tard en raison des graves blessures qu’elles occasionnaient aux migrants qui ne renonçaient pas à tenter de les escalader. Le gouvernement de droite de Rajoy les a réinstallées sur une longueur de dix kilomètres ; elles sont surmontées côté marocain de barbelés et de lames tranchantes à mi-hauteur tout du long et au sommet sur un tiers du périmètre. Comme l’ancien mur de Berlin, ou ceux bien actuels édifiés par l’État d’Israël à sa frontière avec la Cisjordanie, ou encore les États-Unis à leur frontière avec le Mexique, ce mur grillagé ne dissuade aucunement les candidats au passage qui continuent de tenter de l’escalader. Ils essaient aussi de le contourner par la voie maritime pour débarquer par exemple sur la plage de Terajal.

Tir aux pigeons
C’est ainsi que le 6 février dernier les gardes civils espagnols n’ont pas hésité à tirer à coups de flash-ball contre des embarcations de migrants provoquant panique et noyades, comme l’a dénoncé Cécilia Malmström, membre de la Commission européenne (et ancienne vice-présidente du comité de l’immigration de Göteborg). Bilan quinze morts. Jorge Fernández Díaz, ministre de l’Intérieur, a réfuté le plus sérieusement du monde ces accusations, arguant du fait que ces migrants étaient morts côté marocain certes, mais que vingt-trois autres avaient pu atteindre sains et saufs la zone espagnole. Il a d’ailleurs chaudement félicité les gardes civils et qualifié d’« immorales » les critiques dont ils étaient l’objet.

Invasion
La Commission européenne n’a pas semblé vraiment convaincue par ces propos, ce qui a provoqué l’irritation de Fernández Díaz qui brandit la « menace » de 40 000 migrants attendant au Maroc une opportunité de pénétrer en Espagne, sans oublier 40 000 autres plus au sud en Mauritanie qui ont le même projet. 80 000 en tout ; il n’en fallait pas plus pour qu’un porte-parole du syndicat de police UFP (Union fédérale de police) parle d’invasion et réclame des renforts qui ont commencé à être envoyés dans les deux enclaves espagnoles. D’autant plus qu’il y a deux semaines, environ 1 500 migrants divisés en quatre groupes ont tenté le même jour, à l’aube, d’escalader grilles et barbelés de Ceuta.
Ici ou ailleurs, on ne cherche pas les causes de ces vagues d’immigration, et encore moins à y remédier (s’attaquer à la misère est évidemment moins facile que d’appuyer sur la détente d’un fusil ; ceci est vrai dans tous les pays). Ce qu’on cherche, c’est développer l’arsenal sécuritaire et répressif. Dernières trouvailles : remplacer les mailles des grillages par d’autres plus resserrées (quadrillage de 1,3 cm x 1,3 cm) dans lesquelles on ne peut glisser les doigts pour s’y accrocher et les escalader. Autre « joyeuseté » : les tubes asperseurs d’eau pimentée. Les États n’ouvrent leurs frontières que pour faire circuler librement marchandises et capitaux. Mais qu’il s’agisse de murs, de grilles ou de barbelés, ils n’empêcheront pas éternellement hommes et femmes de circuler tout aussi librement.






1. Chiffre avancé par la presse espagnole (entre autres El País).