Mon corps est à moi, je l’enregistre

mis en ligne le 6 mars 2014
L’action revendicative, la protestation, le militantisme, c’est sérieux, mais il n’y a aucune raison que ce soit triste. Les Espagnoles sont en train de le prouver en introduisant l’ironie dans leur mobilisation qui se poursuit dans leur pays contre le projet de « réforme » de la loi sur l’IVG. Aux manifestations de type classique s’ajoutent d’autres initiatives politiques ou artistiques. Ainsi cet appel lancé le 6 février dernier par Yolanda Dominguez 1, artiste visuelle et activiste madrilène qui imagine et réalise dans les espaces publics des happenings, comme Fashion Victims où elle dénonçait les conditions de travail au Bangladesh des victimes de l’écroulement d’un immeuble à usage d’atelier de couture (conditions prétendues ignorées par les commanditaires occidentaux de grandes marques de vêtements…). De la même façon, elle a mis en scène à travers toute l’Europe (y compris Paris) des happenings où des femmes ridiculisaient la dernière campagne publicitaire de Chanel (Poses n° 5). Cette fois-ci, c’est la loi anti-IVG qui la fait réagir : « Assez de nous faire dicter ce que nous devons faire de notre corps, et puisqu’il a été moulé par et pour les autres, transformé en objet et utilisé comme marchandise, nous devons prouver qu’il est notre propriété. »
L’appel a été largement entendu et, à travers toute l’Espagne, des centaines de femmes se sont rendues à la chambre de commerce de leur ville pour faire enregistrer leur corps au registre du commerce des biens meubles.
Quelque peu décontenancés, certains employés des chambres de commerce ont tout de même accepté cette démarche et leur ont donc délivré des reçus de demandes de certificats de propriété, en attendant de statuer définitivement sur cette revendication d’un type nouveau. Pour les femmes, le but est de faire admettre que leur corps est un bien qui leur appartient. Et d’ajouter ironiquement : « Puisque la société patriarcale tend à faire croire que ce corps est une marchandise, il est donc normal de l’inscrire au registre du commerce, afin de certifier qu’il s’agit de notre propriété 2. »
Dans le sillage des organisations féministes, des syndicats et partis d’opposition, on assiste maintenant aux prises de positions de la communauté scientifique et médicale, qui dénonce le projet de loi Gallardón, et reproche au gouvernement de ne pas avoir consulté les organisations professionnelles concernées par l’IVG. Se sont donc retrouvées côte à côte dans un bel ensemble : la Société espagnole de gynécologie et d’obstétrique (Sego), la Société espagnole de médecine périnatale (Semepe), l’Association espagnole de diagnostique prénatal (AEDP), la Société espagnole de psychiatrie (SEP) et l’Association espagnole de neuropsychiatrie (AEN).
Toutes ces vénérables institutions sont d’accord pour souligner que le projet de loi d’Alberto Ruiz Gallardón va entraîner une « psychiatrisation » des problèmes qui, en principe, n’ont rien à voir avec la discipline psychiatrique. Selon la SEP : « Mener à terme ou interrompre une grossesse ne peut pas être considéré comme une situation pathologique du point de vue psychiatrique, et prédire avec exactitude le risque de maladie mentale d’une personne auparavant saine, aurait de sérieuses "limites" scientifiques. » Pour sa part, la Sego, qui regroupe des milliers de gynécologistes et d’obstétriciens, considère que cette réforme de la loi n’a pas été soumise à un débat rigoureux.
Pendant ce temps-là, la protestation continue, comme à Burgos, par exemple, où les femmes ont symboliquement choisi le jour de la Saint-Valentin pour se rendre à la chambre de commerce afin de déclarer, par le menu, la nature du bien à enregistrer : « Description, de la tête aux pieds, de tous mes membres, sans oublier mes organes et spécialement mon utérus et mon appareil reproducteur, le tout représentant ma personne unique et non reproductible. »
Les nouvelles pétroleuses sont dans la rue et le casse-tête administratif ne fait que commencer pour les autorités.

Rosine Pélagie
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste





1. Yolandadominguez.blogspot.fr
2. Précisons au passage que si, en tant qu’anarchistes, nous sommes contre la propriété des moyens de production entre les mains de quelques privilégiés, nous ne sommes évidemment pas opposés à la possession d’objets personnels, et encore moins à celle de notre propre corps (a fortiori quand on est femme).