Les pièges antisémites : mise au point

mis en ligne le 30 octobre 2014
J’écris cet article pour compléter l’article précédent ainsi que pour le clarifier 1. Il y a des choses dont je n’ai pas parlé et dont j’aimerai parler. Il y a aussi des idées dans l’article précédent qui ont mal été comprises ou qui peuvent l’être.
Commençons par les clarifications.
Il faut rappeler que le premier article est paru avant l’enlèvement des trois colons israéliens et donc avant les bombardements à Gaza. Il n’a jamais été question de soutenir ni l’existence et encore moins la politique de l’État d’Israël, il serait malhonnête de dire cela. Au contraire, il est rappelé que nous luttons contre toutes les oppressions, contre toutes les formes de racismes, contre tous les États, donc, notamment, contre l’État d’Israël. La Fédération anarchiste en général, et mon groupe en particulier, a été largement présente aux différentes manifestations de soutien aux Palestiniens durant cet été, mais aussi avant. Elle est aussi un des acteurs du soutien aux résistances populaires en Palestine et en Israël contre l’occupation et l’apartheid israélien.
L’article en question parle surtout d’antisémitisme et assez peu d’Israël, ce n’est pas le fond de l’article, le ramener à cela est mal le comprendre, ou faire preuve de malhonnêteté. Le fond de l’article était de dire que la volonté « d’occuper le terrain propalestinien » dans le but de combattre Dieudonné et sa clique était une intention louable, certes, mais assez dangereuse.
Un point que je n’avais pas traité dans le premier article, mais qui m’a sauté aux yeux lors des dernières manifestations de soutien aux Palestiniens, est « la nazification de l’État d’Israël ». Il est courant de voir dans ces manifestations des slogans comme « Gaza = camp de concentration », « Gaza = Dachau » ou encore des drapeaux israéliens accolés au drapeau nazi. Ceci sans parler des étoiles de David liées aux croix gammées qui sont ouvertement antisémites : on s’attaque non pas à des symboles d’Israël, mais au judaïsme.
Outre que c’est factuellement faux, dire cela participe à une banalisation de la Shoah. En effet, si les nazis ont effectivement bombardé des civils, ce n’est pas leur spécificité. Les nazis n’ont pas le monopole de l’oppression ou des bombardements. En revanche, la spécificité historique du nazisme, ce sont les chambres à gaz et la systématisation du génocide. Comparer cette spécificité avec des bombardements, c’est la nier, c’est donc nier l’holocauste. Qui plus est, ce n’est pas un hasard si c’est la Shoah que l’on compare aux massacres commis par l’État d’Israël. Cette volonté, une fois de plus, de le renvoyer à sa judéité supposée ne sent pas très bon. Ce n’est pas un hasard non plus si cette comparaison a tout d’abord, en France, été portée par des négationnistes. En plus d’être négationniste (et donc antisémite) en soi, la comparaison « État d’Israël = nazis » sert les intérêts de néonazis comme Soral en banalisant son fond de commerce. Et cela lui donne raison quand il dit « qu’on parle toujours de la Shoah, mais jamais des autres ». Bref, c’est un amalgame antisémite en soi et extrêmement dangereux politiquement.
Nombre d’articles parus sur Internet pour critiquer et condamner Dieudonné et Soral pointaient le fait qu’ils ne sont pas des soutiens concrets aux Palestiniens, qu’ils ne lâchent jamais le moindre de leurs sous parmi leurs millions aux Palestiniens qui perdent leur maison, qu’ils parlent tout le temps d’un sionisme irréel jamais relié à la situation réelle des Palestiniens, etc. C’est un fait : Dieudonné et Soral n’en ont pas grand-chose à foutre des Palestiniens, Soral lui-même déclare qu’il n’est ni propalestinien ni pro-israélien vu qu’il est français. Et pendant les derniers bombardements sur Gaza, la seule chose qu’a faite Dieudonné, c’est une conférence payante avec des néonazis de tous horizons, mais pas un seul Palestinien.
Cette volonté de les démasquer peut partir d’une bonne intention, mais cela fait passer l’essentiel au second plan. Nous ne combattons pas Dieudonné et Soral parce qu’ils ne soutiennent pas vraiment les Palestiniens, mais parce qu’ils sont antisémites (notamment). Le risque de vouloir systématiquement pointer le fait qu’ils ne font rien pour les Palestiniens est de mettre au second plan leur antisémitisme. Et par ailleurs de blanchir les « vrais » soutiens aux Palestiniens qui sont antisémites. Qui plus est, si l’on arrive à convaincre quelqu’un que Dieudonné n’est pas un vrai soutien aux Palestiniens et qu’il ne faut donc pas le suivre, cela veut dire que cette personne n’était pas gênée par l’antisémitisme de Dieudonné et que la seule chose qui la choque c’est qu’il mente au sujet de la Palestine. Quelqu’un comme ça, est-ce vraiment un camarade ?
Ces deux articles n’ont pas pour but de jeter l’anathème sur des camarades en mettant en doute leurs convictions antifascistes et antiracistes, mais plutôt, au contraire, de pointer les limites de certaines stratégies. Il est temps de nous ouvrir aux personnes issues de cultures juives, de ne pas invisibiliser l’antisémitisme, mais au contraire de ne faire aucun compromis avec lui. Toutes les oppressions sont à combattre de front et il est, pour nous, impensable d’en oublier une quand on en combat une autre.

Bali
Groupe de Milan de la Fédération anarchiste italienne


1. Voir Le Monde libertaire n° 1748.