Israël : une élection sans (bonne) surprise

mis en ligne le 19 février 2015
1766AnarchistsWallMême si le Premier ministre, Benyamin Nétanyahu, sort affaibli des prochaines élections législatives, nous ne connaîtrons pas de bouleversement dans la répartition globale des forces en présence. Dès le lendemain du scrutin, on découvrira que Moshé Kahlon n’est jamais qu’un membre parfaitement discipliné du Likoud : il nous promet d’ores et déjà de garder Jérusalem « unie » – locution bien connue en tant qu’allusion codée à la poursuite de l’occupation. Qui plus est, à en juger par son passage au gouvernement, ses positions en matière d’économie ne diffèrent guère de celles de Nétanyahu.
L’autre porteur de masque, Yaïr Lapid, est un comédien de premier ordre – mais un démagogue hyperbolique en tant que politicien, dépourvu d’idéologie et postulant naturel à toute manœuvre. Après un passage de deux ans au pouvoir, tout le monde devrait le savoir. Il est vrai qu’il peut rester aux côtés du leader du parti travailliste, Isaac (Booggie) Herzog, tout comme continuer avec Nétanyahu, ou avec les deux à la fois.
Les vues politiques d’Herzog sont assez vagues pour qu’il puisse s’arranger avec à peu près n’importe qui. Ses communicants eux-mêmes n’évoquent plus de nouveau message. Pour ce qu’on en sait, son plan (de paix) promet un gel de plusieurs années, ce qui fait qu’il convient à tous. En outre, à l’heure du choix, Herzog et Lapid préfèreront une coalition avec le Likoud à une alliance avec la Liste arabe unie. En d’autres termes, la société israélienne est profondément engluée dans la vase et n’a pas la force de s’en extraire toute seule.
On peut penser que la décision de Nétanyahu d’appeler à des élections anticipées s’est fondée là-dessus, dans la mesure où une coalition comprenant le parti travailliste, Lapid et Kahlon – avec ou sans les H’aredim (les « Craignants-Dieu ») – est, en ce qui le concerne, de très loin préférable à un gouvernement comptant le chef du Foyer juif, Naftali Bennett, et celui d’Israël notre Maison, Avigdor Lieberman.
Un gouvernement de centre-droite lui donnera l’opportunité de reprendre et faire traîner sans fin les pourparlers de paix : avec Herzog aux Affaires étrangères, Israël jouira d’un crédit renouvelé sur la scène internationale, Tzipi Livni et lui-même conquerront les écrans télévisés des cinq continents, la campagne électorale débutera aux États-Unis et, dans l’intervalle, les choses iront leur train usuel dans les Territoires – sur un rythme plus lent et avec, peut-être, une violence moindre. Contrairement aux espoirs cultivés par le centre, Nétanyahu n’a pas encore dit son dernier mot et son parti n’a pas perdu sa base traditionnelle.
Dans ce contexte, il est absurde de demander au Meretz de se suicider pour faire monter les chances du couple Booggie-Tzipi face à Nétanyahu. De fait, le glissement d’électeurs de la gauche vers le centre – s’il se produisait – signifierait dans la pratique l’élimination du seul courant juif clairement de gauche à la Knesseth. Le Meretz prête sa voix aux principales organisations de défense des droits de l’homme, sans lesquelles il ne resterait pas grand chose de la démocratie israélienne.
Les sièges perdus par le Meretz ne feront pas de Herzog un héroïque Premier ministre mais, dans le meilleur des cas, un ministre au sein d’un gouvernement conservateur de plus porteur de tel ou tel nom boursoufflé, et pourtant incapable de changer en profondeur la situation présente. Cela vaut-il la peine d’éliminer la gauche de la Knesseth ?
Aucun changement radical n’interviendra aussi longtemps que le pouvoir actuel ne nous aura pas conduits à une crise nationale majeure. Un échec tel que celui de l’opération « Barrière de protection », dont seuls les Palestiniens ont payé le prix fort, n’y a pas suffi. Aussi la véritable alternative se cache-t-elle dans une intervention extérieure massive, nécessaire pour bousculer la sérénité et le confort de la belle vie des Israéliens.
Ce n’est que lorsque nous tous, et chacun autour de nous, sentirons le prix de l’occupation dans notre chair que viendra la fin du colonialisme et de l’apartheid bleus-blancs. Ce n’est que lorsque l’économie sera frappée de telle sorte que le niveau de vie général en sera affecté, ou quand la sécurité (du pays) sera sapée du fait de la terrible menace portée aux intérêts américains dans la région, que nous commencerons à nous soucier vraiment d’en finir avec l’occupation et d’assurer notre avenir.

Ze’ev Sternhell