Un front de la haine qui porte bien son nom

mis en ligne le 2 avril 2015
Ne jamais penser tout bas !
Reprendre les débordements des postulants du FN aux prochaines élections départementales et essayer de les analyser, pour moi, ce n'est pas faire son jeu. C'est justement en ne s'y intéressant que peu ou prou qu'on le ferait. Peut-être certains lecteurs du Monde libertaire se souviennent de l'ancien slogan du FN : « Le FN pense tout haut ce que les Français pensent tout bas. » Un slogan tellement idiot qu'à lui seul, il a réussi à me motiver pour reprendre la plume dans les colonnes de mon hebdo préféré. Non, on ne nous fera jamais penser tout bas ! Penser, s'arrêter sur les mots et les clichés au contraire c'est la vie. Or, la vie à mon sens, c'est penser tout haut, le propre de l'homme ou de la femme debout ! Mais déjà, quand je pense tout haut, je ne commence pas par penser Français. Pas plus, j'imagine, que la quasi-totalité de l'équipe rédactionnelle de Charlie Hebdo salement assassinée ne pensait pas forcément Français et pas tout bas. Comme si dans ce pays, il n'y avait que les Français d'origine pur beurre qui pensaient ? Eh bien, dans ce cas, ils ne doivent pas être si nombreux à penser tout bas dans ce pays ! Je ne me suis pas plus senti Français le soir de l'attentat où spontanément, en voisin, je me suis rendu place de la république pour crier silencieusement, respectueusement, mais pas vraiment tout bas, mon indignation. J'y suis resté une heure. J'ai regardé les gens amassés autour de la place, j'ai écouté les propos qu'ils échangeaient. Comme eux, le visage pâle et effaré, j'ai regardé les messages et dessins que certains collaient tout haut, avec des vieux rubans de scotch au pied de la statue, devenant tous, peut-être trop vite Charlie. Ce jour-là en tout cas, je ne pensais pas forcément Charlie, mais tout simplement avec mon cœur d'individu. Je pensais à ces corps criblés des balles envoyées par deux pauvres jeunes intoxiqués par le fanatisme religieux. Ne connaissant pas personnellement les victimes, il n'était pas question que je sois Charlie, que j'aie plus mal pour eux que leurs proches et amis. Bien sûr, moi aussi certaines d'entre elles avaient accompagné mon adolescence, m'avaient permis d'évoluer en me foutant du grand duduche. Lycéen j'avais adoré la une d'Hara-Kiri, déjà blasphématoire envers le Général Frappart : « Bal tragique à Colombey : un mort. » Le lendemain, il était interdit. En 1974, en tant que signataire de l'Appel des cent durant la lutte des soldats appelés dans les casernes du temps où le service était encore obligatoire, j'avais adoré la une du nouveau-né Charlie Hebdo, enfin autorisé dans les casernes et qui titrait le jour même : « Merde à l'armée. » Le lendemain, il était interdit. Interdit déjà de penser tout haut. Je me suis ensuite démarqué de cet hebdo, le trouvant trop enclin aux compromis internes et lignes éditoriales divergentes (ce n'est pas l'objet ici de nous mêler du linge propre ou sale du voisin). Donc, même si je décidais de ne plus lire du tout Charlie durant les années du dictat de Philippe Val-Caroline Fourest et consorts, j'ai continué à l'acheter toutes les semaines à ma mère parce qu'elle ne pouvait pas se passer de ses caricaturistes et de ses provocateurs préférés. C'est donc pour toutes ces raisons et aussi par réflexe, un peu comme on se lave le matin, que le 11 janvier 2015, avec un très bon copain, pas vraiment militant, pas non plus hypermotivé nous avons rejoint la foule des anonymes après la place Voltaire, c'est-à-dire après les huiles et tout le tsoin-tsoin républicain unanime et par respect, après les familles et amis. De toute façon j'ai toujours préféré l'anonymat. C'était une drôle de marche où pour une fois, des millions d'individus pensaient tout bas. En revanche, tout bas j'ai aussi bouilli quand la foule a applaudi les flics à tout rompre. Ça fait drôle à un vieux militant anarchiste comme moi de voir les flics applaudis dans une manif ! Et ça m'a aussi changé de ne pas reprendre nos vieux slogans éculés qu'il serait temps de renouveler un peu, soit dit en passant... Donc, exceptionnellement, ce jour-là, par respect pour ces gens morts bêtement (bêtes et méchants), j'ai pensé tout bas. Seulement, en rentrant chez moi à pied, certainement comme beaucoup d'autres, je me suis dit que ce moment de silence collectif resterait une exception. Tout comme était resté une exception ce jour de 2002 qui vit deux millions de personnes défiler à Paris dans le même silence lorsque Le Pen était arrivé au second tour de la présidentielle. Par le même réflexe, j'étais aussi descendu dans la rue, incapable de rester tout seul chez moi à ruminer ma rage d'imaginer tous ces gens de la moyenne (comme disait Colette Magny) plonger leur main dans l'urne pour y glisser un bulletin fasciste. Vision d'horreur. Des gens comme vous et moi, ordinaires mais eux, intoxiqués. Comme étaient intoxiqués les assassins de Charlie et d'Hyper Casher. Comme étaient intoxiqués les syriens qui ont détruit dernièrement les trésors millénaires dans un monde qui se veut d'un côté toujours plus moderne, mais qui de l'autre, n'arrive pas à se débarrasser de l'obscurantisme et du racisme, ces deux chancres de l'humanité. Donc ce soir-là je rentrais perplexe chez moi, me disant que cet élan de solidarité en France et dans de nombreux pays du monde n'allait pas durer et que les fachos étaient encore capables de récupérer à leur compte cette sale histoire. Et il ne fallait pas être devin pour le deviner...

Le lendemain, elle n'était pas souriante
Peine perdue donc, d'écarter les fachos des festivités, il fallait bien se douter que frustrés comme toujours, ils ne furent pas longs à renouer avec les amalgames haineux et populistes entre musulmans et terroristes djihadistes, les épinglant sur le fil des réseaux sociaux. Leurs sorties sont tellement désopilantes et ras des pâquerettes que l'on ne peut rester qu'à leur niveau pour essayer de les comprendre. C'est à cet exercice que nous vous convions. Commençons par le racisme anti-Arabe qui a refleuri après l'attentat Charlie car, pour les fascistes, on aurait pu s'en douter, tous les Arabes sont musulmans et tous les musulmans sont forcément terroristes et donc à éliminer. Elie Quisefit, candidat aux prochaines élections départementales pour le canton de Narbonne ouvrait le feu de la connerie sur Facebook : « Il y a des battues contre les sangliers, contre les loups, contre les lynx. Et si on organisait aussi des battues contre les Arabes, on sauverait peut-être la France ? » Des propos décousus de sens. Prenons donc nous aussi le temps de découdre. D'abord, qu'ont les fachos à reprocher aux sangliers (le plat favori d'Obélix) ou aux lynx (il faut tout de même rappeler qu'à part dans les montagnes françaises, ils ne sont pas pléthore) ? Les fascistes et racistes sont-ils particulièrement menacés par ces derniers ? Ensuite, les battues sont-elles le meilleur moyen de réguler les espèces animales ? On est en droit de se poser la question même si l'on n'a pas forcément la réponse ! Propos décousus pour propos décousus, allons-y. Pour moi le mot battue dans ce contexte, à brûle-pourpoint, ne suggère-t-il pas, mais je peux me tromper, quelque chose d'approchant la ratonnade ? Oui, c'est probablement ce à quoi ces propos font allusion. Donc, finalement, cette sortie de Quisefit n'est pas tant dénuée de sens. Enfin, un sens radical, pur jus fasciste. Mais, Fabien Roquette, candidat FN dans le canton de Narbonne 2, pousse le bouchon encore plus loin : « Socialistes, communistes, musulmans ! Faites un geste pour la Terre : suicidez-vous. » Là on ne fait plus dans la dentelle mais dans le tour de magie : ce serait tellement plus simple et efficace si les socialistes, communistes et musulmans, avec tous ceux qui dérangent les fascistes s'éliminaient eux-mêmes. Mais sa colistière Michèle Boisset, de revenir à la raison avec ce commentaire rationnel : « Hihi ! Un beau rêve. » Ils peuvent toujours rêver... Passons à présent à Thierry Brésolin, candidat remplaçant du FN dans le canton de Teil (Ardèche) : « Marine, tu es la réincarnation de Hitler. Toi, tu vas nettoyer la France, on compte sur toi ! », accompagné d'une croix gammée. Bah voilà, nous y sommes ! Hitler vite ! Et dire que le FN de Martine La Pen se voulait édulcoré, c'est réussi. Elle ne doit pas décolérer la Marine. Encore raté !

L'Arabe, numéro 1 au hit-parade des ennemis du FN
Bon, il ne faudrait pas croire que les ressources fascistes sont si facilement épuisables. Grâce à Chantal Clamer, candidate FN dans le canton de Pamiers (Ariège), nous sommes rassurés : « L'islam et les mahométans sont la nouvelle peste bubonique du XXIe siècle. À combattre, à éliminer sans hésitation par tous les moyens possibles. » Remarquons au passage, la référence historique à l'époque des croisades : sus aux Sarazins ! À noter également la référence à peine voilée à l'étranger amenant la Peste dans la cité. Patricia Bresson, candidate à Vouvray (Indre-et-Loire) fait également dans la référence historique, mais plus proche des généraux Massu et Salan, ah ! Le bon temps de l'Algérie française où l'on pouvait appeler un rat un rat et un crouilli un crouilli, à l'époque bénie où la Licra n'était pas en alerte permanente : « Hollande a été élu par ces rats à qui il a donné l'asile, les logements et les allocs en tout genre pendant que les Français grattent chaque jour pour y arriver. À mort les assassins, dehors les rats. » Toujours ces rats qui attirent la peste, une phobie récurrente chez les fascistes. Avec en toile de fond cette idée de la différence entre ceux qui bossent et ces chômeurs qui ne foutent rien. De tels propos relayés par la presse locale ne sont pas passés inaperçus et Véronique Péan, responsable locale du FN, voulant disculper Patricia Bresson nous donne la véritable signification de ce morceau de poésie : « Ce message renvoie aux rats dans un fromage qui se gavent sans travailler pendant que d'autres grattent, il n'y a rien de rien de raciste, ni d'islamophobe, dans ses propos. » Évidemment, si elle le dit ! Gérard Brazon, candidat Front national des Hauts-de-Seine, suggère, lui, « l'islamectomie » pour : « Débarrasser la France de Hollande et de l'islam. » Tant qu'à faire, autant jeter le bébé avec l'eau du bain, mais remarquons au passage l'utilisation d'un terme se voulant érudit, médical, tellement proche de « lobotomie ». C'est le même individu qui trouve incompréhensible qu'on s'offusque de la profanation d'une mosquée et l'on peut pourtant soupçonner aisément ce dernier d'avoir été parmi les premiers à condamner la performance des Fémen (quoi que l'on puisse penser des origines de leurs subventions), il faut quand même saluer leur intervention non violente et naturiste, le 12 février 2013, lorsqu'elle avaient fêté à leur manière le renoncement du pape Benoît X et étaient entrées incognito parmi le flot des touristes, puis s'étaient juchées torse-nu sur le socle de trois cloches exposées provisoirement dans la nef à l'occasion du jubilé des 850 ans de Notre-Dame de Paris. Quant à François Helie, candidat à Dourdan (Essonne) il a posté un dessin sur Facebook montrant un sac-poubelle transformé en « niqab jetable qui retient les odeurs durant vingt-quatre heures ». Que l'on critique le port du niqab n'est pas sans réjouir les anarchistes que nous sommes, mais suivi du dérapage sur les mauvaises odeurs cela n'est pas sans nous rappeler celui qui a échappé un jour à Jacques Chirac. Le bruit et l'odeur en question désignant des désagréments supposément causés par certaines personnes immigrées en France... Comme quoi un raciste peut dormir parfois au fond des personnes supposées ne pas l'être, du moins quand elles occupent les « plus hautes fonctions de l'État » ! Pour sa part, Alexandre Larionov, candidat FN dans le canton de Causse-Comtal (Avreyon), n'avait pas attendu les attentats de Charlie et de l'Hyper Casher pour, en août 2014, appeler au meurtre des Arabes, avant d'être exclu du parti, poursuivi, il encourt jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Ratissant plus large, François Jay, candidat à Bordeaux 1 sous l'étiquette du SIEL (Souveraineté indépendance et libertés, parti associé au FN), s'attaque à « l'occupant » : « Pas d'emploi, pas de logements, pas de collaboration avec l'occupant, telle devrait être notre attitude. » L'occupant, désignant naturellement les populations maghrébines en premier lieu, puisque plus loin dans son message posté sur Facebook, il réclame carrément l'interdiction du Coran et n'excluant pas pour autant tout individu qui ne serait pas de souche arienne. Quant à l'interdiction du Coran, ceci n'est pas sans nous rappeler les autodafés du chancelier Adolf Hitler qui lance en 1933, une « action contre l'esprit non allemand », dans le cadre de laquelle se développent des persécutions organisées et systématiques visant les écrivains juifs, marxistes ou pacifistes. Le 10 mai 1933, le mouvement atteindra son point culminant, au cours d'une cérémonie savamment mise en scène devant l'opéra de Berlin et dans 21 autres villes allemandes : des dizaines de milliers de livres sont publiquement jetés au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres des instances du parti nazi. À présent, Jacques Coutela qui se présente à Tonnerre (Yonne) grand admirateur du terroriste norvégien Anders Breivik, qui avait assassiné 77 personnes en 2011 (et fait 151 blessés) le couvre d'éloges sur son blog, le qualifiant de « premier défenseur de l'Occident, un Charles Martel II », appelant à « faire une icône de ce visionnaire face à la montée de l'islamisation de l'Europe ». Pour rappel, Breivik développa dans un texte mis en ligne le jour des attaques, son « soutien au conservatisme culturel, à l'ultranationalisme, au populisme de droite, à l'islamophobie, au sionisme, à l'antiféminisme et au nationalisme blanc ». Il y considère encore « l'islam, le marxisme culturel et la plupart des partis politiques européens comme des ennemis et exige l'annihilation violente de l'Eurabia et du multiculturalisme, ainsi que la déportation de tous les musulmans hors d'Europe pour l'année 2083, afin de préserver la chrétienté ». Rien que ça ! Pour sa part, Frédéric Richou, qui se présente dans la circonscription de Bordeaux 2, décrit ainsi le « niquetamère » : « Un animal peureux qui se reproduit rapidement en milieu européen et particulièrement en F.R.A.N.C.E. : la Fédération des réfugiés Arabes Nourris par les Caisses de l'État. » Décidément, les fachos n'aiment pas la plus grande majorité des humains, mais encore moins les animaux. Comment ne pas y reconnaître les inoffensifs lapins prompts à se reproduire ? Même topo pour Mikaël Pinton, candidat dans le canton de Vitré (Ille-et-Vilaine) qui publie sur Facebook : « Ce matin, aux courses, je me suis amusé à mettre des côtes de porc dans le rayon halal, histoire de... il y aura peut-être un muzz courageux pour les acheter ? » Franchement, il faut vraiment ne rien avoir d'autre à faire ou être sacrément pervers pour perdre son temps à mélanger de la viande non halal à de la viande halal dans les bacs réfrigérés des grandes surfaces. C'est fou comme les fascistes peuvent être joueurs... Mais le pire arrive à la fin de la phrase, assez douteuse d'ailleurs, quand on y réfléchit bien. En effet, qu'y aurait-il de courageux dans le fait d'acheter de la viande non hallal pour un Arabe ? C'est aussi bête que si l'on demandait à un fasciste d'embrasser un noir sur la bouche ! Ce qui n'est pas près d'arriver quand Aimé Deléglise, candidat à Pamiers (Ariège), ose au XXIe siècle traiter Christiane Taubira de « banane sur pattes ». Voilà le grand retour du « Y'a bon Banania », ça ne nous rajeunit pas. Philippe Sokolowski, leader du FN à Bellegarde-sur-Valserine (Ain), précise, lui, dans une interview à La Tribune républicaine : « Nos valeurs judéo-chrétiennes sont en train de disparaître de la ville. Je pense que dans six ans, ce sera Bellegarde la salafiste ou la djihadiste ! On peut aussi mettre un minaret sur la mairie. On est en train de brader la commune. » C'est sûr qu'en matière de gestion des communes, les fachos s'y connaissent, il n'y a qu'à se souvenir de ce qu'ils ont fait quand ils étaient aux commandes de plusieurs villes moyennes de France en 1995. D'ailleurs, sans mandat exécutif, le FN n'a jamais eu à rendre des comptes pour mauvaise gestion à Toulon, Marignane, Orange et Vitrolles. S'ils ne sont pas allés jusqu'à mettre le drapeau nazi sur le fronton de leurs mairies (nous sommes autant qu'eux capables de donner dans le cliché...), plus sérieusement, ces derniers n'ont pas hésité à diriger leurs premières mesures discriminatoires à privilégier les subventions communales aux familles françaises de souche – la fameuse priorité nationale, un concept heureusement retoqué par le conseil d'État – ou encore à bloquer les subventions accordées aux associations aidant l'intégration des personnes immigrées et aux maisons de la culture. L'histoire ne faisant hélas souvent que se répéter sous ses aspects les plus négatifs. Restons dans ce registre avec Maxime Chaussat, candidat et responsable départemental du FN dans l'Ain : « Le seul véritable apartheid existant en France est celui que subissent les patriotes pour exprimer leur amour de la France historique. » Je suis peut-être une exception, mais plus j'avance dans la vie, plus j'ai tendance à m'intéresser aux autres cultures que française. Ce qui n'est visiblement pas le cas d'Éric Pinzelli, candidat à Château-Arnoux-Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence) : « Si vous n'êtes pas encore enthousiastes à l'idée de voir nos cathédrales dynamitées et de vivre dans une société régie par la charia, aujourd'hui est le temps de dire halte au processus de déchristianisation, halte à la réécriture de notre histoire. » Bel amalgame s'il en est. Un étudiant en psychanalyse aurait vite fait de diagnostiquer derrière cette phrase la présence d'un gros problème de paranoïa aiguë chez son auteur. Tous les ingrédients y sont présents. Mêmes symptômes présents dans cette phrase de Jean-Jacques Guitard, candidat FN à Beausoleil (Alpes-Maritimes) : « Il est temps d'arrêter de faire de l'angélisme envers l'islamisme, même si l'islam de France doit en payer le prix. STOP ! » Mêmes symptômes mais plus d'ambiguïtés. Terrain glissant. Là, il s'attaque à gros. Essayons de décortiquer ses propos sulfureux. Vient naturellement à mon esprit de critique simple, cette analyse au premier degré : tant pis pour l'ensemble de la communauté musulmane si elle doit payer pour les extrémistes qui se nourrissent en leur sein. D'ailleurs, surfant sur la vague paranoïaque, Julien Clos, suite à la tuerie à Charlie Hebdo écrit sur son blog : « Attentat islamique ce matin, je suis de plus en plus inquiet concernant la mosquée clandestine du Cannet. » Moins parano et plus rase-mottes, Jonathan Vivien, suppléant à Arras nous livre sa définition éclairée de l'Algérien : « Algérien : maladie mentale consistant à se promener avec un drapeau, brûler des voitures et crier : "One two three, viva Algeria." » C'est sûr que, pour rester bien collés aux clichés (et pourquoi pas ?), les supporteurs extrêmes aux grandes heures du PSG faisaient, eux, dans la dentelle... Mais revenons-en à la bonne paranoïa qui peut rapporter les gros poissons dans les filets du FN comme le fait Thierry Cumps, candidat FN-RBM (Rassemblement Bleu Marine) à la Courneuve : « François Hollande en est convaincu : le socialisme est incapable de faire respecter les lois en France, seul l'islam en tant que force politique et pas seulement en tant que religion est capable de diriger notre pays. De nombreux signes quant à la volonté de François Hollande d'implanter en France un gouvernement islamiste modéré de type algérien ou marocain par François Hollande, comme la nomination de la Marocaine musulmane Najat Vallaud-Belkacem nommée ministre de l'éducation nationale. Hollande encourage le terrorisme islamique en France afin d'utiliser des petits criminels pour des attentats sur le sol français, ce qui amènera la population française et les députés à accepter des lois liberticides qui permettront de changer la république démocratique française en république islamiste ». Inutile peut-être de s'arrêter trop longtemps sur un tel délire.

Les challengers : Roms, juifs, francs-maçons, lesbiennes et homos
Alexandre Larionov plus haut cité, qui s'est fait exclure du FN après avoir appelé au meurtre des Arabes et encourt de lourdes peines judiciaires, n'a pas pour autant pris sa retraite, mais a changé tout simplement de cible depuis sur Facebook : « La France est un pays contrôlé par les Grandes Loges, l'argent que les Français gagnent partent dans les poches de ces gens. Ils veulent détruire les races nordiques. » Après les Arabes, donc, ces bons vieux francs-maçons, ennemis de la race pure et amis des subventionnés de la Sécu. Les juifs ne devraient pas être loin, mais un peu de patience. On notera au passage la mention des races nordiques, le vieil occident chrétien par opposition aux « races du Sud », généralement plus bronzées... Ou celles de l'Est, avec un petit détour par les Roms, définis ainsi par Serge Laroze, autre candidat du FN : « Individu qui fait fortune dans le rempaillage de chaises et le commerce du cuivre. » À première vue, la formule ne semple pas manger du pain, sauf qu'en creusant un peu, l'idée suggère plutôt de manière pernicieuse qu'on ne fait pas fortune en rempaillant des chaises, mais plutôt avec le cuivre recyclé et donc... volé. Forcément ! Les destinataires du message subliminal auront compris et rajouté mentalement le mot manquant. Dans l'Allier, à présent, le candidat FN Xavier Sainty à propos de sa carrière de chanteur de charme : « Si je ne décolle pas dans le Showbiz, c'est parce que je ne suis pas juif. Je suis bloqué partout, et un producteur juif m'a avoué directement, comme tu n'es pas juif tu n'auras jamais droit aux télés aux radios et tu seras barré car nous avons l'argent et tout nous appartient, tu ne pourras jamais y arriver. Voilà comment nous sommes traités par ces gouvernements depuis des décennies, nous les "goys", vivement une vraie révolution française, vive Marine Le Pen vite ! » En fait, renseignements pris, ce chanteur de charme n'a jamais percé, mais ce ne peut être, selon lui, que dû à la force des lobbies juifs sur le monde du show-biz. Une vielle rengaine, en somme. À présent, un petit tour du côté des nostalgiques de la Manif pour tous. Lydia Schénardi, candidate à Contes (Alpes-Maritimes) : « On parle de la traçabilité de la viande mais est-ce qu'on pense à la traçabilité des enfants ? Un enfant qui naît dans un couple homosexuel, qui se sépare par la suite, les grands-parents qui sont-ils là-dedans ? » Cherchez la viande souche ! Quelle poésie, de comparer des enfants à des morceaux de barbaque. Mais, pour les fachos, le mauvais goût ou l'abomination ne sont jamais de leur côté, qu'on en juge sur pièce avec les propos de Patricia Chalamet, candidate à Buzançais (Indre) : « Le mariage pour tous est un blanc-seing à toutes les perversions. » Que cette brave dame du peuple se rassure, seulement 17 500 mariages entre personnes du même sexe ont été célébrés en France depuis la promulgation, en mai 2013, de la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels, selon l'Insee. Sur l'ensemble de l'année 2014, le nombre des mariages homosexuels est estimé à 10 000, soit 4 % du nombre total des mariages célébrés sur cette période. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, donc. Peut-être que Roger Dohen, candidat dans le canton de Marck (Pas-de-Calais), n'avait pas eu connaissance des statistiques lorsqu'il a lancé sur son blog : « Le mariage = un homme une femme. Ils en veulent toujours plus ses PD. » Mais, j'aimerais savoir pourquoi les homophobes et lesbophobes s'acharnent ainsi sur une loi qui, de toute façon, est à présent inscrite dans les textes ? Quand Sarkozy, leur ami de loin, leur a fait un appel du pied en proposant de revenir sur cette loi, le Conseil d'État lui a gentiment fait comprendre qu'il ne fallait pas y compter, que cela serait d'ailleurs impossible à réaliser et poserait d'énormes problèmes administratifs. Et pan sur le bec ! Bon, à présent plus brut de pommes, les propos de Gilles Ferrière qui se présente à Plélo (Côtes-d'Armor) : « La démocratie voudrait que tout le monde s'exprime et non une minorité pédophile. » Allez zou ! Le bon chiffon rouge si efficace parfois du « homosexuel = pédophile ». Et nous avons gardé le meilleur pour la fin avec cette sortie toute en nuance de Chantal Clamer, élue municipale FN à La-Tour-du-Crieu : « Ces sales gouines sont vraiment moches, en effet quel est le mec qui voudrait d'elles ? À part les blacks et les rebeus. » Il est vrai qu'en faisant un petit tour sur le Net on trouve facilement des photos d'elle et il est sûr que son look bon chic bon genre doit en faire une femme très sollicitée dans tous les milieux et elle pourrait même être fort surprise que ce soit également le cas, par les Blacks et les Beurs... Bref, on aura donc fait le tour non exhaustif de l'argumentaire des prétendants fascistes aux postes départementaux et on aura surtout apprécié leur haut niveau intellectuel. Mais hélas, il faut bien constater que ça marche auprès d'un certain public en manque de repères autres que ceux de la haine de l'autre et peut-être parfois de soi. Vague sur laquelle Marine Le Pen s'interdit de surfer : « Quand on est candidat, on se doit à une rectitude de comportement et à une rectitude de parole, et nous sommes irréprochables en ce sens et lorsque le FN est confronté à ce genre d'agissements, il agit et il agit fermement. » Marion Maréchal semble plus circonspecte, ou plus réaliste aussi que sa tante, tout en essayant de minimiser : « Sur 7 648 candidats, on n'a assisté qu'à 11 petites sorties de route racistes, xénophobes, homophobes, antisémites ou islamophobes. » Oui, effectivement, c'est très peu, en ce qui concerne les sorties de route des fascistes qui pensent tout haut sur les réseaux sociaux, mais la tendance s'inverse quand on imagine combien dans leurs rangs pensent tout bas dans les mêmes termes, tout en nuances !