Femmes debout !

mis en ligne le 13 mars 1997

Assises pour les droits des femmes

Le 25 novembre 1995 marqua indéniablement une rupture dans l'histoire du mouvement des femmes. 40 000 hommes et femmes, toutes générations confondues, dans les rues de Paris pour défendre le droit des femmes à l'avortement et à la contraception, à l'emploi, à une réelle égalité et pour dénoncer la remontée de l'ordre moral : c'était nouveau et porteur d'une dynamique unitaire sans précédent.

Dynamique et réussite imposaient de ne pas s'arrêter là. À quoi bon une manifestation, si massive soit-elle, en cette orée du mouvement social de décembre 1995, si ce n'est pour avancer ensuite revendications et actions sur le chemin de l'égalité ?

Aussi, un collectif national, relayé par plus de vingt collectifs locaux ou régionaux, se mit en place début 1996 pour préparer des Assises pour les Droits des femmes. Plus de 150 organisations syndicales et politiques et associations se sont attelées à cette tâche en travaillant ensemble sur huit thèmes : le droit de choisir ; la place des femmes dans la vie publique ; les violences faites aux femmes ; la pauvreté, la précarité, l'immigration ; la citoyenneté, la laïcité, l'ordre moral ; le droit à l'emploi ; les politiques familiales ; l'international. Si des divergences ont pu apparaître dans les débats, elles furent expliquées, creusées, mais n'ont conduit à aucune rupture : au contraire, les décisions se prennent sans vote, au consensus.

Chaque organisation ou association garde son champ de réflexion et d'intervention et ne met en commun que ce qui rassemble après débat. C'est ce long temps de préparation, un an, qui a permis de faire partager et de confronter des idées et des expériences différentes et de faire le choix, qui est loin d'être a minima, d'un certain nombre de revendications et de campagnes d'actions.

Par exemple, la parité, très discutée en ce moment, ne fait pas l'unanimité : du moins il y a divergences quant aux moyens d'y accéder, car qui pourrait se retrouver opposé à la parité, alors que parité veut strictement dire égalité ? Par contre, comment y parvenir ? Des quotas, pouvant cacher des « potiches », des incitations positives qui par contrecoup remettent en question le principe d'égalité universelle, une loi contraignante mais qui serait sans doute encore bafouée comme le sont tous les principes concernant les droits de l'homme ?

De même, sur la famille et les aides à l'enfant, des différences apparaissent. Si toutes et tous s'accordent à dénoncer le rapport Gisserot dans le cadre de la Conférence sur la famille et le document Oser la famille de Christine Boutin et comparses [[125 parlementaires ont cosigné ce livre blanc, n'hésitant pas à collaborer avec les amis du milicien Paul Touvier (Notes du Réseau Voltaire, n° 103-104, 28 janvier au 10 février 1997)]], parce que l'un comme l'autre prônent la réhabilitation de la famille traditionnelle et abandonnent toute politique sociale en faveur des enfants de milieux défavorisés pour mettre en place un Code de la famille, il convient de préciser que la critique de la famille prend des formes diverses et variées en fonction de la place qu'on accorde aux individus tant dans l'unité de vie que dans la société. Mais réémerge fortement (les pressions pétainistes font de tels ravages) l'idée que l'individu femme n'existe pas dans la structure familiale autrement que mère de..., épouse de..., même quand elle élève seule ses enfants.

Mais la lutte pour les droits des femmes est désormais inscrite dans le mouvement social . Il y a à cela des raisons conjoncturelles mais aussi toute l'histoire de l'oppression et de l'infériorisation subies.

Une résistance féminine

« Les femmes sont les premières concernées par le travail à temps partiel imposé, le chômage et la précarité qui minent les bases économiques de leur indépendance. Les droits récemment acquis à disposer de leur corps et à décider de leur(s) maternité(s) sont remis en cause, tant par les réductions des dépenses de santé que par des propagandes obscurantistes[[Extrait de la conférence de presse du Collectif national pour les Droits des femmes, en date du 5 mars 1997]]. »

Elles subissent violences et viols, harcèlement et injures, dans la sphère conjugale, au travail, dans les lieux publics. Mais elles relèvent la tête comme les salariées de Maryflo en grève pour leur dignité de femmes travailleuses, dignité retrouvée[[« On n'a perdu que 8 jours de salaire, et on a gagné notre dignité ! » raconte Marie-Paule, une ouvrière de l'usine de confection Maryflo, près de Larmor-Plage (Morbihan) après 27 jours de grève et le licenciement du directeur de production]]. Elles luttent pour leur emploi, leur salaire, leurs conditions de travail et résistent aux multiples incitations pour le retour au foyer. Elles disent haut et fort, comme à Lille lors des Assises régionales dans le Nord-Pas-de-Calais, qu'elles savent que le salariat, c'est l'exploitation mais qu'à rester enfermées entre marmites et marmots, dépendantes de leur conjoint, c'est insupportable et qu'elles ne le supportent plus.

Elles résistent, disent-elles. Et que dans cette résistance, elles ont trouvé l'action collective et leurs sœurs, voire leurs frères, de combat.

Les femmes ne sont-elles pas, sur le plan international, dans une histoire d'émancipation commune ? Les dangers que connaissent les unes ne menacent-ils pas toutes les femmes ? Mais les victoires des autres n'encouragent-elles pas toutes celles qui résistent ?[[D'après la résolution de la commission International évoquée lors de la conférence de presse du 5 mars]]. C'est le sens de l'engagement des organisations et associations du Collectif national pour les Droits des femmes à saluer autant le courage des femmes algériennes, afghanes ou africaines qui affrontent intégrismes, sida, pauvreté ou guerres, que celui des sans-papiers contre les lois Debré et Pasqua.

Après les travaux des huit commissions préparatoires et des diverses assises qui se sont tenues dans de nombreuses villes (Toulouse, Lyon, Lille, Bordeaux, Rouen...) ou réunions publiques, des revendications apparaissent comme largement partagées : la réduction massive du temps de travail, la condamnation de toute flexibilité et de toute précarité, le développement d'équipements collectifs pour la petite enfance, l'égalité professionnelle et salariale, le droit à la santé, à l'avortement et à la contraception, l'application des lois concernant les violences mais aussi une éducation non sexiste et non hétérodominante, entre autres.

Mais comment les femmes avec les organisations et les associations réussissent-elles à mettre en actes ces axes revendicatifs ? Il leur faudra lors des Assises des 15 et 16 mars, mais aussi et surtout après, être vigilantes, déterminées et ingénieuses pour mobiliser le plus largement possible. Cela ne vaut-il pas le coup tant pour les femmes que pour toute la société ?

Il a fallu attendre 1924 pour que les programmes scolaires soient unifiés pour les filles et les garçons, 1965 pour que les femmes mariées puissent exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari, 1975 pour que l'avortement soit légalisé mais encadré, 1982 pour qu'il soit remboursé, 1983 pour que l'égalité professionnelle entre hommes et femmes soit inscrite dans la loi[[L'égalité professionnelle et salariale n'existe toujours pas du fait de secteurs d'activités, de filières professionnelles et de formation différents, de systèmes d'individualisation des salaires, du temps partiel, de la flexibilité... - Se reporter à Le Salaire des femmes : toutes choses inégales... Rachel Silvera, La Documentation française, 1996, 120 FF]]... mais aucune avancée ne s'est faite sans la mobilisation des femmes et leur volonté de faire changer les mentalités. Le chemin est long vers l'égalité pas seulement légale mais pratiquée dans la vie. À moins qu'on s'y mette tous et toutes.