Les Temps Maudits

mis en ligne le 15 décembre 2004

Lecture

En ces temps maudits d'idéologie économique ultralibérale totalitaire, de misère croissante, de désarroi des esprits, une revue syndicale naît, qui «se reconnaît dans le syndicalisme révolutionnaire et l'anarchosyndicalisme», et qui veut contribuer à l'avènement d'un autre socialisme en aidant à la reconstruction d'une force syndicale puissante, fondée sur les principes qui ont été à l'origine de la Confédération générale du travail (C.G.T.) et de la Confederacíon del Trabajo (C.N.T.) espagnole.

La tâche ne sera pas aisée, mais la disparition de la formidable barrière idéologique que constituait le marxisme-léninisme et ses variations devrait permettre aux libertaires de se faire entendre et surtout écouter.

Réaffirmer des principes est nécessaire pour savoir où l'on veut aller ; il est beaucoup plus difficile d'agir dans la vie quotidienne, de faire face aux événements, à l'évolution de la société qui modifie les comportements.

Il faut éviter que les principes ne deviennent des dogmes et que l'inévitable adaptation à de nouvelles conditions ne soit prétexte à la négation de ces principes. Cela demande plus d'études sereines que de vociférations...

La lecture de ce premier numéro des Temps Maudits nous fait penser que c'est bien l'esprit d'analyse qui prévaudra. On y trouve une excellente étude de Raphaèl Romnée «Des luttes de décembre 1995 à la situation sociale et syndicale actuelle». Les raisons de ces grèves importantes, le comportement des diverses confédérations syndicales, plus ou moins influencées par l'ultralibéralisme régnant, les réactions de minorités à la C.F.D.T., la confédération la plus en pointe dans la collaboration de classes, sont clairement exposés.

L'opposition à l'intérieur de la C.F.D.T., justement, permet à Jean-François Adam de montrer le caractère réel de cette centrale, tout en démontrant que les oppositionnels ne visent qu'à reconstruire la social-démocratie.

Greg Kerautret trace «le paysage syndical enseignant à la lumière de la lutte des non-titulaires», et fait le bilan des nouvelles orientations du syndicalisme enseignant après le mouvement de novembre-décembre 1995. De l'éclatement de la F.E.N. en passant par le «Tous ensemble» de la fin de 1995 au «Tous aux urnes» de décembre 1996, sont analysés la lutte des non-titulaires de l'Éducation nationale, la création de la F.S.U., les limites du syndicalisme enseignant, le renforcement de la C.N.T. ; nous avons un panorama de la situation syndicale dans l'enseignement bien... instructif !

Il convient de citer aussi deux articles sur le Mexique. L'un, de Jorge Robles : «Le syndicalisme autogestionnaire et le Mexique d'aujourd'hui». L'organisation syndicale : le Front authentique du travail (F.A.T.) est autogestionnaire et de type conseilliste. Son fonctionnement est intéressant à connaître et, bien que ne comptant pas un très grand nombre d'adhérents, il a une grande influence sur le mouvement syndical mexicain. Il est fortement impliqué dans le mouvement coopératif. On cite la Bandera cooperativa, qui regroupe environ 3 000 familles et est la plus anarchiste des coopératives ! Cela dit, le F.A.T. est confronté à de grosse difficultés.

Le second article, de Gregor Markowitz, est intitulé : «Une internationale zapatiste ? Autopsie d'un mouvement de solidarité (presque) réussi...». L'Armée zapatiste de libération nationale (E.Z.L.N.) puise sa force dans les communautés indiennes du Chiapas. Les libertaires participent nombreux à la solidarité envers l'E.Z.L.N., soit en Espagne, en Italie, en Grèce ou en France. Mais tout n'est pas simple dans une lutte d'une telle ampleur et des tiraillements idéologiques risquent d'affaiblir le mouvement.

Enfin, Jacques Toublet rappelle, dans un premier article, pourquoi à Saint-Etienne, en 1922, eut lieu le congrès constitutif de la Confédération générale unitaire du Travail (C.G.T.U.). Il décrit le cheminement vers la scission de la C.G.T. causée et par les communistes et par les anarchistes. C'est l'abandon de la lutte des classes par la direction réformiste de la C.G.T., son soutien à la guerre de 1914-18, sa participation à l'Union sacrée qui fut la véritable cause de cette scission. Cet article est le prélude à un étude plus complète sur cette question. Une chronologie des événements qui conduisent à la création de la C.G.T.U. (de 1908 à 1921) complète heureusement ce document.

Nous comprenons donc tout de suite que nous ne lisons pas une revue qui prône un syndicalisme d'«accompagnement», mais une revue qui préfère traiter clairement et sans complaisance les questions syndicales, les révoltes, en France et dans le monde, plutôt que d'assener des slogans. Une revue qui devrait correspondre à la conviction du Rudolf Rocker :

«L'anarchisme et le syndicalisme se complètent comme l'esprit et le corps. Sans l'idéologie anarchiste, le syndicalisme n'est qu'un mouvement syndical ordinaire pour les améliorations passagères dans la société actuelle ; et sans l'organisation économique du travail, l'anarchisme s'amenuiserait dans une secte qui défend des idées très belles, mais qui ne dispose pas des moyens pour les réaliser.»

Bien entendu, on peut ne pas être d'accord avec ce point de vue...