Une Journée de lutte et non de fête !

mis en ligne le 26 mars 2007

Le Premier Mai

Si aujourd'hui le premier mai est essentiellement significatif pour la majorité de la population de jour férié et ne représente plus que pour une petite minorité militante une journée de revendication, il est bon de se rappeler qu'il n'en fut pas toujours ainsi et de s'interroger sur comment renouer avec une tradition de lutte.

Avant que Pétain ne décrète ce jour férié et «fête du travail», le premier mai était un jour marqué par d'importantes grèves où les travailleurs tentaient de «faire la fête» aux patrons et à l'Etat. Cette journée était en effet un événement national, bien souvent placée au centre de l'action syndicale, voyant des travailleurs de tous le pays «chômer» au même moment afin de réclamer la satisfaction de leurs revendications. Après près de 50 ans de Premier Mai marqué par la grève (qui se fit par moment générale) Pétain avait très bien compris l'intérêt qu'il y avait à faire de cette journée un jour férié rendant alors inopérant l'arme de la grève, tentant ainsi de transformer une journée de lutte en un jour de fête.

Il est alors bon de se remémorer certains premiers mai qui marquèrent profondément l'histoire du mouvement ouvrier ainsi que voir qu'elle fut la place des anarchistes dans ces journées qui se firent souvent révolutionnaires.

Les origines du Premier Mai

C'est donc le mouvement ouvrier américain qui lança en 1884 l'idée du Premier Mai comme journée d'offensive ouvrière afin d'obtenir la journée de travail de 8 heures. L'idée se matérialisa alors deux ans plus tard, lors du Premier Mai 1886 par un immense mouvement de grève qui entraîna près de 340 000 grévistes paralysant alors 12 000 usines sur tout le territoire. Cette journée marqua aussi dans le sang cette date dans l'histoire ouvrière (voir [encadré ci-dessous- art3724]). Trois ans plus tard, en juillet 1889, le congrès international socialiste réuni à Paris choisit d'organiser une manifestation internationale pour l'obtention des huit heures tous les premiers mai à partir de 1890. Les anarchistes qui avaient déjà marqué de leur sceau le Premier Mai 1886 à Chicago, allaient aussi se lancer dans la bataille et malgré l'hésitation de certains d'entre eux, être dorénavant intimement liés à cette journée d'action ouvrière notamment en France par leur implication dans le syndicalisme et particulièrement dans les Bourses du travail [[Voir à propos de la spécificité des Bourses du travail l'article intitulé [«Les Bourses du Travail, un instrument original du syndicalisme français»- art697] dans le [hors série n° 9 du Monde libertaire de décembre 1997- rub1236], pages 34-36.]].

Le Premier Mai 1890 fut notamment marqué par l'imposante manifestation de Vienne (Isère) et les affrontements qui suivirent aboutissant à de nombreux blessés du côté des forces de l'ordre et l'arrestation d'une soixantaine de militants. La ville fut mise en état de siège et la grève se poursuivi jusqu'au 6 mai. Les jours précédant la manifestation, Louise Michel avait animé, devant plusieurs milliers de personnes, des réunions dans la région, à Saint-Étienne, Saint-Chamond, Firminy sur le thème de la grève générale et du Premier Mai. L'année suivante, en 1891, le Premier Mai fut aussi marqué d'incidents qui inscrirent pour longtemps une haine tenace dans la mémoire de la classe ouvrière envers l'armée pour le rôle qu'elle joua au moment des grèves. En effet, à Fourmies, petite ville ouvrière du nord de la France, la troupe tire sur la population faisant dix morts dont deux enfants. Au même moment, à Clichy, trois militants anarchistes sont arrêtés à l'issu de la manifestation et sont violemment «passés à tabac» à leur arrivé au commissariat. Nul ne se doutait alors que cette affaire ferait effet de déclencheur dans «l'ère des attentats» qui suivit de 1892 à 1894. Ravachol expliqua qu'il avait commis son premier attentat pour venger les compagnons de Clichy...

À partir du tournant du siècle, les manifestations du Premier Mai avaient abandonné le caractère spontané et souvent violent des premières années pour se transformer en véritable revue des troupes du syndicalisme révolutionnaire. La formation de la classe ouvrière, sa structuration syndicale et la place jouée en son sein par les anarchistes étaient passées par là.

1906, la Révolution par la grève générale ?

À l'occasion du Premier Mai 1901, La Voix du peuple, le journal de la CGT, sous la plume de son rédacteur principal, l'anarchiste Émile Pouget, attire l'attention des militants sur les expériences américaines de 1884-1886 pour réaliser rapidement la journée de huit heures. En septembre 1904, au congrès de Bourges de la CGT, l'idée est relancée et le congrès décide qu'à la date du Premier Mai 1906, après la huitième heure de travail, les ouvriers quitteront l'usine et l'atelier.

Toute l'année 1905 est alors marquée par la préparation du Premier Mai 1906. Une commission «pour les huit heures» publie alors tracts, brochures, affiches, organise des conférences et mène une véritable campagne sur le thème «Huit heures de travail, huit heures de sommeil, huit heures de loisirs !». Après une agitation intense, la veille du Premier Mai 1906, le gouvernement a peur et fait arrêter de nombreux militants dont une partie de la direction de la CGT, prévoit des délateurs et consigne les troupes dans leurs casernes, prêtes à agir. Des manifestations se déroulent à Paris et dans 138 villes de province, avec des cortèges dépassant parfois 10 000 personnes (50 000 à Marseille, 40 000 à Lyon, 20 000 à Lille). La grève se poursuit jusqu'à la mi-mai avec des pointes de grévistes parfois impressionnante comme à Lyon ou à Paris où l'on dénombre 200 000 grévistes. Malgré le succès d'avoir pu impulser pour la première fois une grève générale d'ampleur nationale autour d'un mot d'ordre unificateur, les objectifs que s'était fixés la CGT ne sont pas atteints et la déception est grande chez de nombreux militants. À partir de 1911, avec les tentions au niveau international, les journées du Premier Mai se feront sur des mots d'ordres antimilitaristes, tournés «contre les menaces de guerre».

À la sortie de la première guerre mondiale, le Premier Mai 1920 qui se déroule quelques mois après l'importante grève des cheminots, est la dernière expression d'une action syndicale unitaire et dans de nombreux endroits tintée d'espoirs révolutionnaires. De nombreuses villes connaissent des situations de grève générale avec des revendications de nationalisation d'entreprise et de contrôle ouvrier mais nourrissant aussi tous les espoirs de révolutions sociales éclairés par l'exemple russe. Au lendemain de ces grèves générales avortées, une des ultimes conséquences du décalage entre la direction parisienne de la CGT issue de la collaboration de l'union sacrée et une réalité militante de nombreux départements issue des grèves revendicatives de 1917, va être la scission syndicale. Durant toute l'entre-deux-guerres l'organisation et la dynamique des premiers mai souffriront profondément de cette division syndicale. Seule la marche à l'unité redonnera toute son importance à cette journée d'action comme lors du Premier Mai 1934 lorsque le mouvement ouvrier affirmera son opposition au danger fasciste ou le Premier Mai 1936 qui fête l'unité syndicale retrouvée et annonce les grandes grèves de juin.

Et maintenant ?

Depuis déjà de nombreuses années le Premier Mai ne semblait plus incarner l'expression centrale des revendications ouvrières ni même plus largement du mouvement social dans son ensemble. Pourtant depuis les grandes grèves de novembre-décembre 1995, les deux Premiers Mai qui ont suivi ont renoué avec une certaine radicalité ainsi qu'une participation importante. Au moment où le mouvement social semble depuis quelques temps relever la tête et au travers de luttes comme celles des chômeurs, des sans-papiers ou simplement celles menées par de nombreux salariés, exprimer une certaine recomposition, il serait peut-être bon de s'interroger sur les moyens de redonner un rôle offensif et central à la journée du Premier Mai ? Dans le cadre d'un mouvement social qui gagne chaque jour en autonomie et en radicalité et qui n'est plus comme par le passé uniquement cantonné aux structures syndicales ou politiques, il appartient à tous de savoir comment faire de cette journée un moment de convergence de nos revendications et de nos aspirations à la transformation sociale.

David
groupe Durruti (Lyon)