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par Pierre Sommermeyer le 25 juin 2016

Jean Genet : Traces d’ombres et de lumières (Aux Éditions libertaires)

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Article extrait du Monde Libertaire mensuel n°1779 (Mai - Juin 2016)

Je dois le dire d’emblée, Jean Genet n’est pas ma tasse de thé. Je n’aurais jamais pris la peine de lire le livre de notre compagnon si une main maligne n’en avait glissé un exemplaire dans un colis qui contenait bien d’autres choses. C’est donc un peu à contrecœur que j’en ai ouvert les pages... pages que je ne suis pas arrivé à quitter par la suite. Mais laissons de côté mes états d’âme et revenons à Genet.



Il est l’image même de l’écrivain, ou plutôt du poète sulfureux. Il est l’incarnation de la révolte absolue. Tout ce qui peut amener à détruire la société est bon.
En fermant ce livre, le lecteur peut se demander si son homosexualité déclarée, revendiquée, n’est pas pour partie une déclaration de guerre à un monde fondamentalement machiste. Il faut dire que Jean Genet est né à un moment où, dans ce domaine, la société française était d’une violence sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd’hui. 1910, c’est le début du reflux des luttes ouvrières. C’est juste quatre ans avant le grand massacre. C’est donc une naissance qui se passe sous de mauvais auspices. Le père est inconnu, sa mère l’abandonne. Dans son malheur, il est recueilli par une famille nourricière où sa vie n’est ni plus facile ni plus dure que dans d’autres milieux. A l’école, tout se passe très bien jusqu’au jour où, à travers des remarques jalouses et assassines d’autres élèves, il apprend qu’il est un étranger, un étranger au village où il vit depuis tant d’années. Il a dix ans.





Je pourrais vous raconter la suite, mais il vaut mieux lire ce que nous en dit Patrick Schindler avec tant de tendresse retenue. Le lecteur apprendra comment, à partir de là, de fil en aiguille, Genet devient un voleur, découvre et cultive son homosexualité. Comment il entre en prison. « J’arrivais en Centrale, préparé par un voyage très long et très dur, avec les chaines aux pieds et aux poignets, dans le wagon cellulaire ». Comment il devient amoureux de certains de ces hommes fiers et sauvages dont la tête va bientôt tomber dans un panier de sciure. C’est le cas de Yeux verts, l’un des personnages de cette pièce de Genet intitulé Haute surveillance qui déclare « Vous ne comprenez pas qu’à mes pieds la tombe est creusée ? Dans un mois, je serai devant les juges. Dans un mois on aura décidé que je dois avoir la tête coupée. La tête tranchée. Je ne suis plus vivant moi. Maintenant je suis tout seul ! » Cette pièce est l’une de celles que Jean Genet a écrite. Avec Les bonnes, Le balcon, Les Paravents il va faire une entrée scandaleuse dans la société cultivée française. C’est à chaque fois un cri de révolte, pure. Il n’y a rien à garder dans cette société qu’il décrit. Détruire, dit-il. Après la dernière guerre, on lui a reproché son attirance pour les beaux soldats blonds et hitlériens. Arrêtons nous un instant sur ses raisons. Ce qu’il en dit est suffisant pour comprendre tout le reste. « Vous voulez savoir ce que signifiait cette fascination. devant les brutes ou devant les assassins ou devant Hitler ? […] le fait que l’armée française ait capitulé devant les troupes d’un caporal autrichien, eh bien ça m’ a ravi […] je ne pouvais qu’aimer celui qui avait fait prendre un sérieux coup à la société française ».

Je crois que c’est cette révolte absolue, cette exécration totale envers notre monde qui explique l’engagement de Genet aux côtés des Black Panthers, des Palestiniens ou pour la défense des prisonniers. Le texte que Patrick Schindler a joint à son ouvrage sur le massacre de Sabra et Chatila est glaçant. Il est d’une effroyable beauté. Il est dans la droite ligne du Journal d’un voleur où Jean Genet raconte sa vie d’avant. Je ne peux clore cette recension sans émettre un regret. Je n’ai pas compris pourquoi l’auteur de tant de scandales a baissé les bras, littérairement parlant, après la publication par Sartre de son essai Saint Genet, comédien et martyr. Mais cette remarque est balayée par un magnifique poème qui clôt cet émouvant hommage : Le condamné à mort. Je voudrais partager avec le lecteur ce court extrait, et en même temps par là même remercier Patrick Schindler.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour

Jean Genet, traces d’ombre et de lumière. Patrick Schindler
ISBN : 978-2-919568-66-6
207 pages – 14 €
http://editions-libertaires.org/?p=854
PAR : Pierre Sommermeyer
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