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Théories politiques
par Tiziana Antonelli le 4 mai 2016

L’avenir de la société

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« Il n’y a plus d’État, il n’y a plus de pouvoir central supérieur (…), il y a seulement la force collective résultant de la fédération (…) Les communes jouissent de toute leur indépendance, c’est cela l’anarchie véritable. » J. Guillaume

La Commune de Paris aujourd’hui

La commémoration de la Commune de Paris est tombée cette année au moment où émerge une défiance croissante des masses envers la justice et les formes de légitimation des classes au pouvoir.
Alors qu’on approche des élections municipales dans plusieurs grandes villes, la classe politique craint par-dessus tout l’accroissement des abstentions. L’abstentionnisme marque un tournant dans le panorama politique italien : déjà depuis quelques années il n’existe plus de représentation parlementaire qui se revendique explicitement de l’héritage historique du mouvement ouvrier (communiste ou socialiste) ; selon les recherches des instituts spécialisés, les ouvriers constituent la majorité des abstentionnistes, et l’abstentionnisme est l’option politique majoritaire des ouvriers. Il s’agit d’un vrai mouvement de masse, avec de profondes racines de classes, qui ne réussit pas encore à s’exprimer avec une proposition alternative au modèle étatique d’organisation sociale.

Les gouvernements source de la misère et de la violence
D’autre part la classe politique et les gouvernements démontrent chaque jour leur incompréhension et leur aversion à l’égard des exclus du pouvoir et des revenus de la société capitaliste, l’immense masse des frustrés, du prolétariat. Les politiques d’austérité et de croissance des profits, se traduisent par une augmentation de l’exploitation de la force de travail, par la réduction des salaires, par l’augmentation du chômage, en un mot la croissance de la misère des classes populaires. La répression qui frappe quiconque s’oppose aux projets des institutions et des classes dominantes, se transforme en une militarisation de la société et aboutit à la ségrégation et la plus grande violence à l’égard des migrants.

Le congrès de la Fédération
C’est dans ce contexte que la Fédération Anarchiste Italienne a décidé de mettre à l’ordre du jour du prochain congrès le projet de transformation sociale, et en particulier les formes d’organisations sociales anti-étatiques. Ce qui se passe actuellement au Kurdistan démontre l’utilité de la réflexion et de la proposition politique des anarchistes organisés. Le mouvement de libération du peuple kurde, inspiré par des idéaux assez différents des nôtres, cherche une solution à la situation dramatique des peuples de la région dans des formes d’organisations bien éloignées de l’idée de l’État-nation, qui prévoient une forte participation de la base, et susceptibles d’évoluer vers une société libertaire et égalitaire. En dehors des forces et de la présence du mouvement anarchiste, la prégnance du modèle anarchiste est perceptible dans sa continuelle réapparition, jusque dans les secteurs sociaux et politiques bien éloignés de nos idées. Il existe une poussée sociale profonde en faveur de l’anarchie, qui s’impose par delà les sujets qui en sont les porteurs. D’où l’importance du débat au sein de la Fédération : donner à cette poussée sociale profonde conscience de soi, de sa propre force et des objectifs concrets dans lesquels ils s’expriment.

Un nouveau modèle d’organisation sociale
La Commune de Paris a annoncé un nouveau modèle de société. Aujourd’hui nous ne nous y intéressons pas seulement pour commémorer cette épopée prolétarienne, mais surtout pour en tirer des enseignements pour l’avenir.
Errico Malatesta avait probablement raison quand il affirmait, cinquante ans après, que la Commune est plus importante pour ce qu’elle aurait pu être que pour ce qu’elle fut. Ce qu’elle a mis en place, malgré tous les efforts des philistins que se sont servis de l’émancipation de la classe ouvrière comme tremplin de leur propre ascension parlementaire (la longue marche à l’intérieur des institutions), c’est que le prolétariat peut conquérir sa libération seulement sur les décombres de l’État et à l’intérieur d’une organisation sociale basée sur l’assemblée de base, sur la révocabilité des délégués et sur le mandat impératif, sans compter la rétribution des fonctions égale au salaire moyen d’un ouvrier. En même temps, la Commune procéda à la liquidation des organes de répression et de l’armée, remplacés par le peuple en armes. Un autre point important fut la substitution du centralisme étatique par le fédéralisme des Communes.
Dans un article précédent (1903) le même Malatesta avait émis des doutes sur la Commune, qu’il considérait comme étant toujours une forme de gouvernement qui n’avait pas mal tourné uniquement parce qu’il avait peu duré. « La critique anarchiste s’est penchée depuis de nombreuses années sur les évènements connus sous le nom de Commune de Paris, et il est peu resté, ou pas grand-chose, du régime communaliste, comme cela fut entendu à Paris en 1871, qui puisse être accepté et donné en exemple aux anarchistes ». Avec le temps, à l’intérieur de l’anarchisme italien on a eu un regard plus favorable, en particulier suite à l’expérience des conseils et des soviets qu’ils reprirent à Bologne en 1920, en approuvant deux motions, l’une en faveur des Conseils de fabrique en période révolutionnaire, et une en faveur des Soviets en tant qu’organismes de reconstruction sociale, à condition qu’ils soient l’expression directe de la volonté populaire, et non des principes abstraits imposés par un parti particulier. Par la suite ce sera la Fédération Anarchiste Italienne, lors du Congrès constitutif de 1945, qui verra dans les Comités (en fait les anciens Conseils) les instruments de la reconstruction économique et sociale. L’expérience de la Commune réapparaît surtout sur l’aspect qui avait rendu le plus dubitatif Malatesta, c’est à dire sur le terrain de la réorganisation de la société dans sa complexité, et pas seulement dans la production, et la distribution sous la responsabilité des organisations de travailleurs.
Il s’agit d’un passage très significatif, qui fait que les modèles de reconstruction sociale de type syndicaux, qui mettent au centre le rôle des producteurs, n’ont pas réussi à entraîner la totalité des militants italiens.
Même le mécanisme de la délégation, objet des critiques de Malatesta, est devenu le patrimoine commun du mouvement anarchiste, commun aux deux branches qui se séparèrent au Congrès de Carrare en 1965. Il est intéressant de noter à ce propos la position de Michele Damiani, porte parole des Groupes d’Initiative Anarchiste, exprimée dans un article de 1966 : « Dans une société organisée anarchiquement sur le principe de la Commune autonome et fédérée aux autres communes, nous anarchistes serions « électeurs et éligibles », et un peu plus loin « … une chose est … de déléguer à d’autres la faculté d’établir des lois pour les imposer à tous, en usant de la force, et c’en est une autre de déléguer les devoirs, la charge de travail : délégations toujours révocables et à tout moment ».
Voici comment l’expérience de la Commune a été reprise dans le mouvement anarchiste. Cette expérience et le débat qui en est issu nous fournissent des instruments pour la construction d’une société libertaire.

Tiziana Antonelli
Tiré de Umanità Nova, 27/03/2016



PAR : Tiziana Antonelli
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