À cran Total

mis en ligne le 11 février 2010
Le 1er février, sur le parvis de la Défense, une manifestation comptant plus d’un millier de salariés. Ils sont venus, très mobilisés et déterminés, pour dire leur refus de la fermeture de la raffinerie Total de Dunkerque. Le groupe pétrolier doit annoncer officiellement, au cours d’un CCE extraordinaire, la fin des activités de cette usine déjà arrêtée depuis cinq mois. Une manif importante, plus forte que ce à quoi les syndicats s’attendaient et qui fait suite à un mouvement de grève qui touche les raffineries depuis le 12 janvier. Parmi les manifestants, il y a les salariés de la raffinerie ainsi que les sous-traitants, mais il y a aussi de fortes délégations des quatre autres raffineries et des filiales du groupe. Ça fait du monde sur le parvis venté et ça change et donne un peu de vie à ce quartier des affaires fliqué et mortifère. Les manifestants vont d’un bout de la Défense à l’autre, de l’immeuble Total à la tour Total. Ils sont fortement encadrés par la police, mais c’est calme. Calme jusqu’à la gigantesque tour vitrée où les manifestants investissent bruyamment les lieux sans être invités. Pratique courante et jouissive.
Lorsque le CCE se tient, les délégués s’attendent à ce que la direction générale du groupe dévoile le plan de fermeture de la raffinerie et sa transformation en dépôt de carburant. Ils sont surpris lorsque la DG reporte sa décision à la fin du 1er semestre 2010.
Bon, soyons clair, il ne s’agit nullement d’une victoire des travailleurs. La direction n’a pas cédé face aux salariés en lutte. Il s’agit plutôt de calmer les choses et de donner un coup de main au gouvernement à la veille des élections régionales. Comment peut-on parler de « moraliser » le capitalisme et accepter des annonces de restructuration en même temps que des bénéfices ? Le PDG de Total, de Margerie, qui a toujours les mots « éthique » et « intégrité » à la bouche (on ne rit pas), ne pouvait pas faire moins pour son ami Sarkozy. De toute façon, il n’y a pas d’illusion à se faire sur l’avenir de cette industrie en France et en Europe, tout est déjà bouclé. Total a construit des raffineries au Qatar, à Dubaï et en Égypte, ce n’est pas pour rien. Outre la proximité des champs de pétrole, le coût social et environnemental y est plus faible. Retarder les annonces de fermeture en juillet ce n’est pas comme dit la direction par « volonté d’apporter une solution complète et exemplaire du point de vue industriel et social », mais bien parce qu’elle pense que le climat social sera calmé et que pendant les vacances d’été ce sera plus difficile pour les salariés de se mobiliser. Dans tous les cas, Total a le temps.
La fin de la raffinerie est certaine d’autant qu’il a été annoncé à ce CCE que l’arrêt important pour travaux, prévu en mars prochain, et qui devait assurer la pérennité du site, est annulé (3 000 salariés attendus pour cet arrêt de maintenance se retrouvent sur le carreau). Total se dit également concerné par le bassin d’emploi dunkerquois et les 450 sous-traitants directs. Pourtant, la multinationale ne propose qu’un accord avec EDF pour la construction d’un terminal méthanier (génial !) qui ne créera que 50 emplois. On est loin du compte.
La suite c’est le mercredi 3 février près de Dunkerque. La direction de la raffinerie convoque un CE extraordinaire afin d’annoncer la mise en œuvre des procédures de dégazage des installations restées sous produit. Ce qui veut dire la fin du site. Les salariés restent en grève, font des barrages, brûlent des palettes et malgré les menaces (refus de travail) refusent d’effectuer les manœuvres. Mieux, lors du CE, les syndicats CGT-FO-SUD de l’usine lancent un ultimatum : « Nous laissons à la direction jusqu’au 15 février pour prendre les décisions de redémarrage de notre outil de travail […]. Passé cette date, nous prendrons possession des lieux. » La CGT ajoutant : « Nous prendrons possession de l’outil de travail et de la direction de l’usine. »
D’ici le 15, les choses peuvent évoluer, mais on sent sur le site une véritable envie d’en découdre, de la part de salariés à bout. Après les séquestrations, on sent une montée dans les actions. Là il s’agit de reprendre la conduite des machines et de la « destitution du directeur, celui-ci ayant perdu toute crédibilité à nos yeux ». Il ne s’agit pas d’autogestion, ni même de « contrôle ouvrier », comme annoncé chez les Philips à Dreux qui, pendant un temps, ont repris la fabrication de téléviseurs sans patron… Mais quelque chose se passe, la radicalité monte d’un cran. Faisons en sorte que ça monte encore plus haut, plus fort et plus vite.