De l’identité nationale française

mis en ligne le 19 novembre 2009
Et voilà Gnafron Ier redémangé par le prurit de l’identité nationale, sans doute aussi pour continuer à vider le Front National de sa clientèle et détourner les préoccupations des Français vers des sujets « rassembleurs ». Du moins le pense-t-il. Il la joue fine avec son futur musée de l’histoire, la lettre de Guy Môquet, l’instruction civique, la pénalisation des outrages au drapeau et à l’hymne national, les « charters » d’Afghans, le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, le retour à la terre « qui ne ment pas » (Maurras), etc.
Pourtant, tout bon prof de philo en terminale recommande d’analyser, de façon terre à terre, qui ne ment pas, les concepts du sujet soumis à la sagacité du potache. Il convient donc de définir les termes du débat. D’où un grand raout avec « les forces vives » de la nation. Sans attendre d’avoir la liste desdites forces représentatives conviées à cadrer les choses et vraisemblablement triées sur le volet pour aller dans le sens souhaité, clarifions de notre côté les concepts concernés.
La nation ; un peu d’histoire, mais hélas le musée y consacré n’existe pas encore; il n’y a rien de plus difficile à cerner, surtout dans le cas de la France. Notre beau pays a toujours été un melting pot. Les premiers habitants, les Celtes, ont été noyés sous les différentes invasions. En vrac et sans être exhaustif : Wisigoths, Ostrogoths, Huns, Alamans, Lombards, Romains, Francs (en fait des Allemands !), Normands. C’est ce brave Michelet qui a créé de toutes pièces le mythe des Gaulois et inventé la France. Ça tombait bien. La IIIe République, laïque, gratuite et obligatoire a pu puiser dans cette légende les fondements de l’histoire officielle si utile pour faire comprendre au salariat et à la paysannerie, si bien exploités par les Jules au profit de la bourgeoisie, qu’il y avait des intérêts communs : récupérer l’Alsace et la Lorraine, conquérir l’Indochine et l’Afrique, achever l’assimilation de l’Algérie en privant les Arabes ou Berbères de tout droit, ces peuplades arriérées auxquelles la France devait apporter les Lumières. Évidemment dans cette histoire romancée d’abord par Michelet puis mise au service de Michelin, du Comité des forges et de la Banque de France (entre autres), il fallait passer sous silence que la prétendue nation avait été créée de toutes pièces à grands coups de mariages, de guerres (par exemple celle des Albigeois), de centralisation (par exemple l’édit de Villers-Coterêt), de fiscalisation, d’imposition d’une seule religion, etc. Las, encore sous Louis XVI perduraient 18 provinces, chacune munie de sa langue, de sa culture, de ses coutumes, de ses poids et mesures, de ses octrois, de son autonomie. La Révolution française y mit bon ordre et paracheva la centralisation que les rois avaient laissée en plan, notamment en menant une guerre civile sans merci contre les Vendéens (génocidaires colonnes « bleues » de Thureau). Ce que Michelet loua à grand renfort d’héroïsme des Marie-Louise « français » (sortis de leurs campagnes à la « force des baïonnettes » et ne parlant que leur « patois »), par exemple au moulin de Valmy et à Jemmapes. Et « Lapailleaunez » continua d’exporter les Lumières françaises en Europe à grands coups de canons et de pillages. Et vous voudriez, Zébulon 1er, que je me sente français au nom de cette histoire-là ? Je ne suis pas français ainsi, même si vous, Hongre de deuxième génération, descendant des Huns, vous voulez être plus français que moi, descendant des Normands (mon nom l’atteste) depuis plus de mille ans.
Ensuite, vinrent les différentes vagues d’immigration espagnole, italienne, polonaise, maghrébine, etc. Tout cela pour signifier que la nation française est un construit politico- étatique car ce sont l’État et les gouvernants successifs qui ont imposé un cadre national, juridique, simplement juridique, au territoire. En fait il n’y a soi-disant nation que par l’existence d’institutions, de lois communes, d’une police unifiant un territoire dominé, de la guerre (celle de 14-18 a beaucoup contribué à « unifier »), d’un nationalisme latent porteur d’asservissement des « races inférieures » attardées auxquelles amener les « Lumières » et d’une langue par ailleurs imposée à grands coups de punition aux petits Corses, Bretons, Catalans, Basques, Occitans, etc. par « les hussards noirs de la République ». Il n’y a donc aucune raison pour un individu d’adhérer à cette conception de la nation et comme disait Proudhon : « là où est la justice, là est ma patrie ». Proudhon énonce ainsi avec vigueur que tout homme, avant d’être citoyen d’un État national, est un membre de l’humanité. On voit ainsi et aussi que la nation n’existe pas ; ce qui existe, c’est l’État national, l’État Français du régime de… Vichy, chantre de la « révolution nationale », devenue aujourd’hui la « rupture ». Ce qui nous amène à une autre idée de la nation, notamment à celle de Renan pour lequel la nation est un « plébiscite de tous les instants ». Il veut dire par là que l’on adhère à ladite nation que par le vecteur de valeurs communes et partagées, non par le droit du sol et encore moins du sang.
Lesquelles ? Évidemment celles de la Révolution française de 1789 sur le thème « liberté, égalité, fraternité ». associées à celles de neutralité, devenue ensuite laïcité, et de justice sociale. Cela impliquait la mise en place d’une république juste et démocratique, libérale et sociale. Je me demande depuis toujours pourquoi les ouvriers et paysans du pays sont allés se battre la fleur au fusil contre les Teutons en 14/18. Les promesses de la Révolution étaient fort loin d’être réalisées ; le droit de se syndiquer ne fut admis qu’en 1884, les assurances sociales ne furent créées qu’en 1945 ; la catastrophe de Courrières en 1906 (plus de 1000 morts par suite d’une décision de la mine privée de ne pas investir contre les poussières) est restée impunie ; les gouvernements firent tirer sur le peuple en 1848 (révolution éponyme), en 1871 (Commune de Paris), en 1891 (Fourmies), en 1907 contre les viticulteurs du Midi, en 1920 contre les grévistes (Draveil, Villeneuve Saint- Georges). La République donna raison au marquis de Solages, propriétaire des mines de Carmaux, contre le droit des ouvriers d’avoir un maire socialiste, ce qui nous valut la création en 1896, avec Jaurès, de la verrerie ouvrière d’Albi. Le repos dominical n’exista qu’en 1910 (supprimé en 2009 sous Tsarkozy). On eut le « livret ouvrier » pour espionner les déplacements des travailleurs ; on eut la magnifique loi « en matière de gages, le patron est cru sur parole » ; les sociétés de secours mutuels, les coopératives les « coalitions » furent pourchassées. Ah quelle belle république « nationale » pour les patrons. Et j’en passe. C’est ce qui explique du reste pourquoi le syndicalisme français s’est bâti contre les politicards (charte d’Amiens de 1906). La seule raison de vouloir en découdre avec les Tudesques est sans doute le nationalisme soigneusement insufflé dans les esprits par l’école des Jules. Bref, l’immense majorité de la population du territoire n’avait aucune raison de croire en une instance supérieure dénommée nation. L’idée de nation est en fait un corollaire de celle d’État, c’est-à-dire une construction politicarde pour assujettir des peuples divers, vivant sur un même territoire obtenu par la guerre et la domination, sous un même joug. Et cela au profit de la bourgeoisie capitaliste « nationale » avant qu’elle ne devienne mondialisée.
Pendant les « 30 glorieuses » (1945-1975), les valeurs constitutives et, si j’ose dire, adhésives d’une vraie nation (comme croyance dans le caractère juste de la république et espérance dans un avenir meilleur pour soi et surtout pour ses enfants) virent de fortes réalisations. Las, depuis Fiscard Destin en 1974 (avec proscription de la « nouvelle société » de Chaban-Delmas) les gouvernements de la république se convertirent au néolibéralisme, notamment sous le curé Delors et Mauroy (1983), et se mirent à détricoter lentement mais sûrement les acquis des 30 glorieuses. Le populo redevint donc habilité à ne plus adhérer à une telle nation porteuse d’inégalités, d’injustice, de précarité, de régression sociale dans tous les domaines, ce qui s’est accéléré avec l’arrivée au pouvoir du Nicktalope UMP Tsarkozy. Ajoutons, par ailleurs, que ceux qui se réclament aujourd’hui de la nation ne furent pas les derniers à propulser la mondialisation commerciale, économique et financière, y compris et d’abord au sein de l’UE, qui détruit précisément les idées de politique, d’État, de nation au profit du tout-marché généralisé. Dans ce mouvement régressif, il n’y a plus de nation ; il n’y a qu’un État hyperlibéral au service de la rente. Que dois-je faire, M. Tsarkowitch, adhérer à des valeurs nationales républicaines qui n’existent plus ou obéir à la toute-puissance de l’État que vous dirigez tout seul ?
Cette dégradation, qui percute de plein fouet les valeurs de la république, vaut encore plus pour les banlieues, ce qui explique la fureur des jeunes beurs et autres contre les symboles des institutions perçues par eux comme pourries (et elles le sont effectivement) : la démocratie réservée aux blancos et aux petits mecs, la police, la justice à n vitesses, les pompiers, les employés d’EDF, les autobus, l’armée, la pseudo-démocratie, la Marseillaise, le drapeau, etc. Et voilà que le Tsar- Cosy veut réhabiliter l’adhésion des personnes à la nation, tout en propulsant la mondialisation, en passant la surmultipliée de la répression et en mettant la justice à sa botte. Comme si l’aggravation permanente des injustices pouvait ressusciter le sentiment national, comme si c’était le rôle et la possibilité de l’école de l’imposer, comme si une histoire récrite par les fantoches du pouvoir pouvait compenser la perte des bases mêmes de l’adhésion au pays. Et, contrairement aux mensonges du pouvoir, si les jeunes se rebellent ce n’est pas parce qu’ils auraient perdu le sens de la nation et de la république ; c’est au contraire parce qu’ils veulent que la république tienne ses promesses alors qu’elle ne fait que les trahir.
L’identité. Pour une personne, c’est la conscience d’être un soi reconnu par les autres, en tant qu’être singulier dont la dignité et la liberté sont respectées. C’est être admis comme égal parce que différent. C’est être soi-même avec les autres car seuls ces derniers peuvent vous donner votre identité sociale et personnelle, ce qui est fort loin d’une mise en carte.
Ce n’est pas avoir des papiers comme si ceux-ci conféraient l’identité. En fait toute identité personnelle est liée à l’unicité de la personne, laquelle est une « composition » (Proudhon) de multiples facettes d’appartenance à différents groupes. Si identité il y a, elle est multifactorielle, multidimensionnelle. Elle ne saurait être mise en carte. Mais qu’est-ce que l’identité d’un groupe ? C’est ce qui le distingue des autres en le particularisant tout en le situant dans le concert social par rapport à tous les autres. C’est sa place singulière dans la société, c’est sa culture particulière, ce qui passe évidemment par la reconnaissance par les individus et les autres groupes de sa valeur particulière C’est ainsi que la France n’a pas d’ordre des éboueurs alors qu’elle a des ordres de la médecine ou de la pharmacie. C’est amusant, du reste, parce que la Révolution française avait supprimé les corporations et les privilèges. Il en reste donc deux cents après, ce qui prouve que le statut social, parfois érigé en ordre déontologique, confère une identité spécifique. Il n’empêche ; comme l’avait vu Proudhon tout groupe tend à exister pour lui-même, à se donner ses règles, à disposer de sa culture, à se différencier. Et c’est tant mieux car sinon il n’y aurait plus de pluralisme comme source de l’effervescence et de la dynamique sociales. Il importe donc que la spécificité de chaque groupe soit reconnue dans la société et c’est cette reconnaissance qui confère l’identité officielle et statutaire, laquelle n’a rien à voir avec l’identité de fait, c’est-à-dire avec les différences objectives qui caractérisent la particularité d’un groupe dans le concert social. L’identité groupale est donc une relation entre la demande d’un groupement d’être admis comme il est et une reconnaissance de sa position par les autres ; c’est ce double mouvement qui fait d’un groupe réel une entité sociale ayant une identité spécifique ; celle-ci n’étant que l’admission sociale du groupe comme ayant droit à une existence officielle. Donc, l’identité, même non reconnue, existe. Mais elle est évolutive. Quelle est l’identité de M. Besson, ex-socialiste devenu tsarkozyste ? Il est vrai que tout besson, jumeau en vieux français, a un problème d’identité puisqu’il est identique à son double génétique.
C’est là que le problème commence car si rien ne vient s’opposer à l’existence de groupes ou communautés spécifiques dans la société civile, la chose devient problématique dans l’espace public et encore plus dans la sphère politique. Si l’on reste dans une caractéristique de l’identité française en tant que républicaine, il y a à la fois neutralité de l’espace public et de la politique vis-à-vis des différentes conceptions du monde (en outre base du libéralisme) et droit à être différent dans l’espace privé. Ce qui veut dire que la reconnaissance de communautés dans la société civile n’admet pas qu’elles puissent influencer les espaces publics et politiques. Ce qui signifie que, au-delà du droit à être différent, il n’y a pas de droit à peser sur la politique ; que les valeurs de tolérance et de laïcité sont plus universelles et respectables que les communautaires tout simplement parce qu’elles unissent alors que le communautarisme divise. C’est ce qu’a bien vu le libéralisme actuel : les communautés et l’individualisme sont utiles à la segmentation des sociétés pour faire place nette au toutmarché. C’est pourquoi Gnafron Ier exalte la supériorité du curé vis-à-vis de l’instituteur et clame que la religion est utile à la société. Très vieux thème de la « religion civile » assurant la soumission du peuple comme idée développée par Voltaire : si Dieu n’existe pas, mon jardinier pourra me voler.
Quelle est « l’identité française » ? Elle n’est pas fondée sur un type humain à la manière de l’État arabe ou juif, elle n’est pas fondée sur une religion à l’instar d’un État islamique ou judaïque, ni définie par l’appartenance à un État uni par l’idéologie à la sauce soviétique ou américaine. C‘est l’appartenance à un système de valeurs républicaines : liberté, justice, solidarité, laïcité. C’est ce que le Nyctalope continue de détruire au nom du commerce international et de la finance mondialisée. Il n’y a donc plus de nation ; Il n’y a que l’État auquel il est demandé non pas d’adhérer mais d’obéir sous couvert de stratagèmes identitaires.