La santé d’Obama réformée

mis en ligne le 8 avril 2010
Les lauriers tressés au président des USA et le concert de louanges qui a accompagné le vote de la loi portant réforme du système de santé américain ont éclipsé son contenu réel. L’hystérie des Républicains et de leurs alliés d’extrême droite, qui voyaient s’installer un régime bolchevique à Washington, a fait paraître cette réforme comme un progrès substantiel. De plus, la dramatisation et le suspense savamment entretenus sur l’issue du débat parlementaire, avec des retournements de dernière minute, des compromis in extremis et des annonces dithyrambiques ont participé à cette ambiance de vote historique. Pour sûr, il s’agit d’un succès pour le président Obama, qui réussit là où, avant lui, Roosevelt, Truman, Johnson et Clinton, excusez du peu, avaient échoué. Il en sort avec l’image d’un politique prestigieux, habile et soucieux du bien-être de ses concitoyens. Mais au fait, que contient cette loi, et que va-t-elle modifier pour les Américains ?
Tout d’abord, esquissons un tableau de la situation actuelle. Les États-Unis sont le seul pays développé à ne pas disposer de couverture maladie universelle. Les Américains ont la possibilité de s’assurer pour les risques de santé auprès de compagnies d’assurances privées, soit directement, ce qui leur coûte très cher, soit par le biais de leurs employeurs, ce qui coûte très cher à ces derniers. Les compagnies d’assurances ont la possibilité de choisir leurs assurés, donc d’exclure les patients à risque, ceux qui leur coûtent trop et ne leur rapportent pas assez. Ces compagnies dépensent plus de 30 % de leur budget en coûts de fonctionnement (marketing, frais de gestion, publicité) : à comparer aux 5 % de frais de notre si décriée Sécurité sociale… Leur but est donc clairement de faire du profit : limiter au maximum les dépenses engagées, et augmenter au maximum leurs ressources.
Les personnes âgées de plus de 65 ans et les invalides bénéficient d’une couverture maladie et hospitalisation appelée « Medicare », créée en 1965, financée par l’État fédéral. Ce programme a été étendu aux prestations pharmaceutiques en 2003 : jusqu’à cette date les malades devaient se débrouiller pour obtenir des médicaments… D’autre part, les plus pauvres sont couverts, de manière très incomplète, par le programme « Medicaid », lui aussi créé en 1965, abondé par l’État fédéral et les États fédérés : les critères d’attribution sont variables d’un État à l’autre et dans le temps, selon les ressources que les États sont prêts à consentir. Enfin, depuis 1997, il existe un programme de couverture maladie destiné aux enfants non couverts par Medicaid, appelé « SCHIP ». Malgré ces programmes, près de 47 millions d’Américains sont sans aucune assurance. La crise récente a accentué cette tendance : de nombreux chômeurs et leur famille se retrouvent sans couverture lors de la perte de leur emploi. Certains jeunes adultes en bonne santé font le pari de se passer d’assurance, bien qu’ayant de bon revenus. Les hôpitaux publics sont tenus légalement d’accueillir aux urgences les malades non assurés, quitte à transférer ce coût sur les malades assurés : spirale inflationniste assurée… On le voit, aux USA, le droit aux soins n’est pas un droit lié à la citoyenneté, mais un privilège lié aux ressources dont on bénéficie. Des milliers d’Américains se retrouvent en faillite personnelle après avoir contracté des dettes pour se soigner. Alors, cette réforme va-t-elle changer la donne ?
De nombreux Américains militent depuis des années pour l’instauration d’un système universel d 'assurance-maladie, ou payeur unique. 1 Certains membres du parti démocrate ont repris en partie cette idée et l’ont baptisée « option publique » (donc non obligatoire), une assurance vendue aux individus non couverts par l’État à un prix abordable et qui aurait permis, théoriquement, de faire baisser les prix des contrats proposés par les assurances privées. Cet aspect de la réforme, initialement au programme du candidat Obama, et tout d’abord voté par le Sénat, a été combattu par les assurances privées, qui ont obtenu son retrait. Le jour du vote, Le Figaro titrait : « La réforme d’Obama acceptée par l’industrie de la santé » ; ce même jour, les cours boursiers des assurances partaient à la hausse… Ce que propose cette réforme, c’est la subvention par les États fédérés de la couverture maladie des familles et des individus les plus pauvres et sans couverture, subvention financée par une taxation des industries pharmaceutiques, qui représente à peine quelques pourcent de leurs bénéfices faramineux : en contrepartie, les compagnies d’assurances n’auront plus le droit de refuser les malades à haut risque, ce que lesdites compagnies ont accepté afin de contrer l’option publique. Ces dispositions ne prendront effet qu’à partir de 2014. Le niveau des remboursements et des prises en charge pour ces patients restera à la discrétion des assureurs. Il y a fort à parier qu’entre les franchises et les limites de remboursement une bonne partie des patients se retrouvent dans une situation quasi identique à celle d’aujourd’hui. Par ailleurs, les personnes sans assurance mais ayant des ressources suffisantes seront obligées de s’assurer, sous peine d’amende ! Les employeurs de plus de 50 personnes seront tenus d’assurer leur personnel, mais auront des réductions d’impôts : une assurance au rabais, avec des franchises plus élevées et des remboursements planchers, fera l’affaire… On peut comprendre qu’avec ces dispositions les assureurs se frottent les mains : ils auront plus de clients… Et pour faire passer cette réformette, Obama a promis à ses troupes les plus bigotes (il y en a aussi chez les Démocrates) que l’avortement ne serait pas remboursé par les contrats subventionnés ! Les industries pharmaceutiques ont obtenu l’interdiction d’importation par les organismes d’États de médicaments moins chers à partir du Canada, et l’impossibilité pour l’État de négocier les prix des médicaments. Les 3 000 lobbyistes du secteur de la santé à Washington ont bien travaillé. L’American Health Insurance Plans, le lobby des assureurs, a dépensé 6 millions de dollars en lobbying en 2009 ; Pfizer, numéro un mondial de l’industrie pharmaceutique, a déboursé plus de 9 millions de dollars au cours du dernier trimestre 2008 et du premier trimestre 2009 pour faire pression sur le Congrès ; une trentaine de ses élus, occupant des postes clés dans les deux grands partis détiennent des parts dans les compagnies privées du secteur de la santé ; le chargé des questions de santé du cabinet d’Obama a siégé au conseil d’administration de plusieurs groupes de santé privés des USA. Et pendant que les salaires des Américains stagnent ou baissent depuis dix ans, les profits des compagnies d’assurances augmentaient de 480 %. 2 Et c’est parti pour durer ! Pourtant, 59 % des médecins américains, et 65 % de la population sont favorables a une assurance-maladie universelle : mais au pays de l’Oncle Sam, comme dans tous les autres pays démocratiques, ce n’est pas le peuple qui fait les lois, les détenteurs de capitaux s’en chargent. Vous avez dit réforme ? À votre santé.


1. En particulier l’Association des médecins pour un programme de santé national, « Physicians for a National Health Program ».
2. Information reprise de Chris Hedges, « The Health Care Hindenburg Has Landed », via le site (très recommandable) « Des bassines et du zèle ». D’autres infos sur le site alternatif Znet (en anglais). L’émission « La Santé dans tous ses états », sur Radio libertaire (89,4 MHz en région parisienne et sur internet dans le reste du monde) le lundi 19 avril à 18 heures reviendra sur cette question.