Katyn, théâtre d’ombres

mis en ligne le 22 avril 2010
Il y a de sinistres anniversaires, certains plus que d’autres. Celui-là est particulièrement frappant. Il a pour conséquence de nous obliger à nous arrêter sur un certain nombre de points dont certains n’étaient pas prévus. Apparemment, il y a deux événements : le massacre de Katyn et l’anniversaire dudit massacre. Soixante-dix ans séparent ces deux faits. Les célébrations de ce mois ont été marquées par ce crash aéronautique qui a décapité une partie de la direction de la Pologne. Quatre-vingt-seize victimes, un président de la République, des ministres et diverses personnalités politiques, des militaires, des personnes de la société civile. Dans les médias français, c’est à qui versera les plus grosses larmes, de crocodile, bien entendu. Les relations entre la France et la Pologne ont toujours été excellentes, à quelques trahisons près.
La Pologne a été longtemps considérée comme le dernier avant-poste catholique face au monde chrétien orthodoxe. La place Stanislas à Nancy, Chopin et son piano, Marie Curie dans son laboratoire, les traces de la Pologne sont nombreuses en France, tout comme les mineurs dans le Nord ou en Lorraine. Mais en tant qu’État, ce pays ne réapparaît qu’en 1918. Construit avec des morceaux de l’Allemagne et de la Russie vaincues, il va durer jusqu’en 1939. Malgré un traité d’assistance militaire signé entre la Pologne et la France, cette dernière fera semblant d’intervenir en Sarre fin 1939, sans suite. Les nazis et les Soviétiques vont se partager le sale travail.

La Pologne victime
Il est de bon ton de dire aujourd’hui que ce pays ne fut pas antisémite et pas procommuniste, l’un et l’autre étant des produits étrangers. Les choses ne sont pas aussi simples. Le fait d’être coincé entre le monde allemand et le continent russe rend toutes ces choses difficiles à saisir. Bornons-nous à tenter de comprendre ce que peuvent nous dire à la fois le massacre de Katyn, ainsi que l’histoire de la classe dirigeante polonaise qui vient de perdre ses leaders. Il n’est pas question de décrire encore et encore ce qui s’est passé en ce mois d’avril 1940 au fond des bois. Celles et ceux qui auront envie d’en savoir plus pourront se reporter à l’excellent site web toulonnais de la Ligue des droits de l’homme, et par son biais à une passionnante étude consacrée à François Naville, directeur de l’Institut de médecine légale de l’université de Genève, antinazi convaincu, qui accepta de remplir le rôle d’expert lorsque les troupes allemandes découvrir en avril 1943 des charniers autour de Smolensk. Il sera considéré, dénoncé, comme un complice des nazis, comme un ennemi de la patrie des travailleurs parce qu’il continuera à dire que ce sont les Soviétiques les auteurs de cette tuerie de masse effectuée de manière artisanale. Ce qui surprend aujourd’hui c’est que cet éminent professeur ait pu croire que cela ait été exécuté par des subalternes à l’insu des hauts dirigeants politiques et militaires de la Russie. Depuis la fin de l’Union soviétique, les documents prouvant l’implication directe du « petit père du peuple » dans ces tueries comme dans bien d’autres abondent. Ayons néanmoins une pensée pour ces travailleurs de la gâchette qui se plaignaient ainsi : « On tuait tous les jours, même le 1er mai. » Deux cent cinquante hommes par jour, tout un mois. Même le 1er mai !

La Pologne solidaire
Changeons d’époque ! Le communisme, comme le nazisme avant lui, est rentré dans les poubelles de l’histoire. Gdansk, Walesa, Solidarnosc, voilà la nouvelle mythologie polonaise. Le syndicat qui a fait rêver tant et tant de gens est devenu le terreau d’où est sortie la classe dirigeante actuelle. À ce titre, la lecture des notices nécrologiques des personnalités décédées dans le crash de Smolensk est instructive. La plupart des politiques ont fait leur apprentissage au sein du syndicat Solidarnosc. Prenons le cas du président défunt, il fut conseiller du comité de grève de Gdansk, membre du syndicat qui fit vibrer nombre de militants surpris de la lumière qui se levait à l’est. Il est mis en prison par Jaruzelski comme bien d’autres. Conseiller actif de Walesa, vice-président du même syndicat, il se lance en politique à la conquête du pouvoir. Pour cela, il s’allie avec un petit parti ultranationaliste et antisémite, la Ligue des familles. On voit que l’on est loin de l’icône démocratique que la presse bien pensante nous présente. Le vice-président du Parlement Krzysztof Putra, qui est mort dans le crash, était lui aussi ancien ouvrier, ancien membre du syndicat. On pourrait continuer l’énumération, il faudrait un chapitre entier pour traiter le cas de l’ouvrier président dont tout le monde connaît le nom. Il ne faudrait pourtant pas oublier Anna Walentynowicz, ouvrière à Gdansk, cofondatrice de Solidarnosc. Elle a rompu avec les pontes syndicaux en route vers le pouvoir. Elle vivait misérablement. Elle est morte dans cet avion.
L’attrait de la conquête du pouvoir pour ceux qui le contestent reste fort. Quel miroir aux alouettes.