Les tribulations de la tribu des sots, tome 647 845 390

mis en ligne le 17 mai 2010
Ô Niçois qui mal y pense
Le ministre chargé de l’Industrie et maire de Nice Christian Estrosi est un habitué des gamelles de toutes sortes : celles qu’il a prises quand il fut pilote moto, celles qu’il doit savourer en tant que président de la richissime communauté urbaine Nice-Côte-d’Azur ou quand, en janvier 2008, il se déplace en jet privé pour un montant de 138 000 euros, celles qu’il prend à nouveau, quoique métaphoriquement, à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour nous gratifier de ses azuriennes pensées. Lou Ravi est en effet connu pour avoir une olive dans le crâne et c’est avec cet oléagineux qu’il élabore ses grotesques tambouilles. Autrefois violemment allergique au Pacs, soucieux de rétablir la peine de mort en France, ardent admirateur de Napoléon III et militant pour le rapatriement de la dépouille de ce dernier en France 1, Estrosi est emblématique d’une (nouvelle) droite particulièrement vulgaire, inculte, offensive et offensante. Lors du « débat » sur l’identité nationale, et pour le justifier, de son olive fripée sortit cette pathétique déclaration : « Si, à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris de s’interroger sur ce qui fonde réellement l’identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être aurions nous évité l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne. » Encore un cancre gouvernemental, encore un faussaire de l’histoire, la vacuité faite homme !
Récemment, lors de la grève à la SNCF, et du phénomène interférant que fut l’éruption du volcan islandais aux immenses panaches de cendre, le caudataire de Sarkozy a déclaré : « C’est un peu comme si Sud [Rail] en Haïti avait refusé de faire les déblaiements, de continuer à faire la grève du déblaiement. Moi je dis dans ce cas-là, on ne peut pas l’accepter. […] Il y en a qui ont un comportement inacceptable et qui, alors qu’il y avait une situation exceptionnelle, un phénomène naturel, et qu’il y avait un devoir de solidarité, la nécessité de respecter les droits de l’homme tout simplement, ont continué à avoir un comportement de repli sur eux-mêmes. » L’outrance devient ici un outrage. Si le code pénal prévoyait une amende pour insulte à notre intelligence, le crétin des Alpes (Maritimes) comblerait le trou de la Sécu et permettrait d’abonder un fond de retraite au moins jusqu’en 2050. Pendant ce temps, les médias de masse ne nous parlent plus d’Haïti, de son désastre permanent, de son abandon, des hyènes qui rodent dans les ruines, prêtes à ronger le peu que les autres prédateurs humains n’ont pas encore dérobé. Là-bas, il semble bien que se vérifie encore et toujours que l’« air [est une] substance nutritive fournie par une généreuse Providence pour engraisser les pauvres 2 ».

Je pense donc j’essuie
Restons dans les Alpes-Maritimes. Le député et président UMP du conseil général de ce département, Éric Ciotti, a demandé à la ministre de la Justice de sévir contre l’auteur d’une photo exhibant un homme se torchant avec un drapeau français. Le Drapeau (avec une impérieuse majuscule de dignité) a été souillé, glapissent les patriotards. La sarkhophagie est en émoi et l’on (re)découvre qu’un délit d’outrage au drapeau existe, tapi dans les recoins rances du code pénal. La destruction des symboles me semblant être une tâche essentielle de l’anarchisme, c’est aussi à la notion de sacré qu’il faut s’attaquer. Cette sacralité se retrouve partout, comme dans la plupart des débats artificiellement exacerbés par une droite mixant, vraisemblablement sans grand recul théorique ni adhésion consciente, des éléments de doctrines néomaurrassienne et néo-barrésienne. L’idée d’inégalité naturelle – métaphysique du sujet racialisé, dans la pensée de Maurras – trouve un écho renouvelé dans les trépidations des idéologues du libéralisme économique : à chacun sa place dans l’ordre de la nation, place déterminée, fatalisée même, par les irréfragables capacités naturelles du sujet, puis entérinée à jamais par l’ordre social hiérarchique. Quant au caractère sacré de la patrie, il est un indice éloquent des relents barrésiens que l’on décèle çà et là, irriguant sans cesse la droite française, gardienne de valeurs réactionnaires qu’il lui suffit de puiser dans le vaste magasin des idées émises à la fin du xixe siècle. Le Barrès fondateur du journal La Cocarde (1894) écrivait : « Le problème n’est point pour l’individu et pour la nation de se créer tels qu’ils voudraient être (oh ! l’impossible besogne !), mais de se conserver tels que les siècles les prédestinèrent. » Ainsi conçue, la France n’est pas la somme dynamique et hétérogène des individus qui y vivent, mais une patrie d’essence sacrée, une âme à laquelle il est demandé de faire allégeance. De si nombreux discours de Sarkozy et de ses sbires dévoilent cette absence d’élan, pour mieux se mettre en quête d’immuables fondements chrétiens du pays ! Comment, alors, dans ce cadre idéologique, ne pas tenir le drapeau pour le réceptacle de cette âme patriotique et ne pas considérer que l’outrage au drapeau est une profanation de cette âme ? Cet étendard, fût-il tricolore, donc d’ascendance républicaine, n’en renferme pas moins en son étoffe l’empreinte indélébile du catholicisme qui, pour nos zélotes de la hampe, est la trame morale de nos agissements. Ce sont les mêmes qui s’échinent à dénoncer le blasphème comme attentatoire à la dignité des croyants, à rédiger des projets de loi visant à restreindre le droit de bafouer la religion. Tout se tient…


1. Ce que note avec humour un communiqué de presse de Sud-Rail, en réponse à la pitoyable déclaration d’Estrosi relatée ici (infra).
2. Ambrose Bierce, Dictionnaire du diable, Rivages. À lire sans attendre !