Nous sommes tous des nomades

mis en ligne le 23 septembre 2010
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« CRS SS ! » Je n’ai jamais crié ce slogan. Non seulement je le trouvais stupide mais il était aussi faux. Quelle que fût la brutalité de la police pendant ces années soixante, il n’y avait jamais eu derrière ce qu’il y avait derrière les vrais SS. La différence fondamentale entre un régime nazi et une démocratie plus ou moins répressive est la notion de race. L’égalité de tous devant la loi, quelles que soient l’origine ou les opinions, même quand elle est un tant soit peu formelle, est ce qui nous sépare des régimes qui considèrent l’autre, quel qu’il soit, comme le responsable de la faillite de la majorité. Quand cette machine à exclure, qui fonctionne en permanence à l’encontre des plus pauvres et particulièrement si leur couleur de peau les rend plus visibles, quand donc elle trouve enfin un groupe d’individus particuliers, facilement identifiables, eh bien elle est, à ce moment-là, à son aise et peut enfin tourner avec la bénédiction du plus grand nombre. Alors, muette depuis si longtemps, la machine du fascisme est de nouveau en marche. Eh oui, « le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».

Le peuple honni
Jusqu’à cet été, la chasse aux étrangers comme aux délinquants avait été répétitive, de façon quasi inconséquente. Différents réseaux s’étaient mis en place et avaient développé différentes sortes de résistances. Parfois, comme dans l’affaire Lies Hebbadj 1, les rieurs sont du côté du « persécuté », se demandant s’il n’a pas été fabriqué de toutes pièces par les services de communication officiels. Jusque-là, même si une odeur de racisme traînait ici et là, jamais un peuple en tant que tel n’avait été désigné à la vindicte nationale. Aujourd’hui, le pas a été franchi. La similarité entre les Roms et les Juifs est frappante. La mauvaise réputation des uns comme des autres date. Elle est rentrée dans l’inconscient collectif pour des raisons similaires, dont l’une est l’absence de pays propre. La folie nazie reprochait non seulement aux Juifs de ne pas avoir de pays mais aussi et surtout de vivre en conséquence comme des parasites sur les pays où ils habitent. Les nazis avaient joint dans leur obsession de purification génocidaire un autre peuple sans État, les Roms, connus sous diverses appellations comme Tsiganes, Gitans et autres vanniers ou Yéniches. Il aura fallu nombre de manifestations pour que depuis peu les Tsiganes soient admis lors des cérémonies commémorant la dernière guerre mondiale. Mauvaise réputation, origine sujette à caution, ces « voleurs de poules » sont à nouveau des victimes toutes désignées pour la folie humaine.

La machine de la soumission
Les choses allaient leur train jusqu’à cet été. L’antisémitisme le disputait à l’islamophobie dans les médias comme dans les discours. Il n’y avait pas de mots pour désigner la haine des Roms, des gens du voyage. Il n’y a d’ailleurs pas de singulier pour ce terme. Seuls notre myopie quotidienne, notre mépris caché leur étaient destinés. Puis arrive le discours prononcé par un immigré de la deuxième génération à Grenoble le 30 juillet 2010. Il a menacé de déchéance de leur nationalité ces immigrés de la première ou deuxième génération (?) qui représentaient des dangers pour la France. Et parmi tous ces étrangers, il a désigné les pires d’entre les pires de ceux qui mettent en péril l’identité française : les Roms. Il a dit : « Je veux mettre un terme aux implantations sauvages des Roms. » Là, la machine s’est mise en marche, la machine à exclure, la machine à tuer. Autour du chef, un gang de toujours-plus s’est formé. Les Hortefeux, Estrosi, Ciotti et consorts ont renchéri les uns sur les autres dans l’ignominie. En soi, cela n’est rien de nouveau, si ce n’est que cette fois une vraie machine médiatique s’est mise en route. Il faudra qu’un dinosaure de la politique déclare « On n’avait pas vu ça depuis Vichy. On n’avait pas vu ça depuis les nazis » pour qu’un petit début de résistance se mette en place. Bien sûr, c’était les vacances. Les expulsions se succèdent sans arrêt les unes après les autres. Puis l’Église catholique se met de la partie. Il faut bien qu’après les histoires de pédophilie, elle se refasse une virginité. Puis c’est le tour de la « société civile », associations et ONG ensemble, puis les politiques de gauche si heureux de ne pas être aux manettes. Simultanément, on apprend qu’en langage politique, rester soumis aux diktats du chef se dit « ne pas déserter ». Nous réalisons aussi, enfin, que les discours sur le devoir de mémoire ne sont que des escroqueries intellectuelles quand ils ne contiennent pas l’appel au devoir de désobéissance. Les manifestations qui ont eu lieu reflètent bien ces ambiguïtés en publiant un communiqué se référant à la IIIe République fondée sur les massacres de la Commune de Paris comme sur la colonisation systématique.
Mais au-delà de tous ces arguments, il y a la vieille, ancestrale lutte des sédentaires contre les nomades et nous libertaires, anarchistes, nous sommes tous des nomades !


1. « Mari » d’une conductrice verbalisée pour le port du voile intégral, récemment accusé de polygamie. (NdR.)