S.O.S.-Racisme

mis en ligne le 27 juin 1985
Trois cent mille jeunes place de la Concorde le 15 juin… On ne va pas jouer les rabat-joie et on va plutôt applaudir des deux mains. Rassembler des gens de presque toute la France pour écouter de la musique et manifester contre le racisme, c'est bien. Surtout qu'il y a longtemps qu'on avait vu cela, et les désormais périmés rassemblements antinucléaires (La Hague, Malville, Plogoff…) n'avaient jamais attiré autant de monde. Il faut dire que les temps ont changé et que le danger Le Pen-racisme semble plus immédiat que la contamination nucléaire.
Ce rassemblement va mettre, pour quelque temps, Le Pen au rencart : les médias, pris dans le climat antiraciste de la fête, n'iront pas demander au sinistre borgne de nous asséner quelques « beauferies » dont il a le secret. L'air va être un peu plus respirable pendant un moment, et c'est tant mieux.
De plus, pour ceux qui croyaient les lycéens amorphes, ne pensant plus qu'à leurs études ou à Mickael Jackson, ils ont dû être agréablement surpris : la preuve leur était donnée que les lycéens peuvent se mobiliser, il suffit pour cela que le problème en vaille la peine. Parce que c'est vrai que ce sont principalement les lycéens qui se sont mobilisés, qui sont venus ou qui portent la petite main.
Mais il ne suffit pas de rassembler des centaines de milliers de personnes contre le racisme pour écouter des musiques relativement pas mauvaises. S.O.S.-Racisme ce n'est pas que cela et il y a bien des côtés déplaisants à ce mouvement.
S.O.S.-Racisme, premièrement, ne s'attaque qu'à une partie de l'iceberg raciste, la partie visible, c'est-à-dire le racisme de Le Pen, des fascistes, des beaufs, des flics… ce qui est bien ; mais l'autre partie, celle de Mitterrand et consort, plus discrète, qui institue la chasse au faciès sous prétexte de lutte contre les clandestins, qui empêche le regroupement familial, qui crée des camps de rétention où sont parqués les immigrés en situation irrégulière avant leur expulsion, qui envoie les flics dans les squats… alors là, motus et bouche cousue. Même quand un maire communiste tient des propos racistes sur le quotas d'immigrés dans sa ville, c'est pareil, pas un mot, « ce serait faire de la politique ».
Deuxièmement, S.O.S.-Racisme ne voit les actions à mener que de façon humaniste. Évidemment, l'humanisme est plus rassembleur, mais il est aussi moins dérangeant, il est plus facile de dire « non au racisme » que de proposer des axes d'action plus concrets : remise en cause des décrets et lois racistes, luttes pour l'égalité des droits, etc.
La seule forme d'action, outre les carnavals et fêtes antiracistes qui ont lieu un peu partout en France, que préconise Harlem désir et ses potes, c'est que les immigrés aillent s'inscrire sur les listes électorales, ce qui à long terme entraînera leur reconnaissance et le droit de vote ; mais aussi leur prise en main directe par les partis politiques, P.C. et P.S. en tête.
Troisièmement, S.O.S.-Racisme contribue à casser le mouvement beur qui avait obtenu une certaine autonomie. Depuis l'explosion de S.O.S.-Racisme, tous les comités antiracistes vivent au ralenti, au rythme de S.O.S.-Racisme qui agit là en impérialiste, certains comités n'existent même plus. Ce qui fait que le discours, les luttes menés par ces comités sont noyés par un discours aseptisé qui ne remet nullement en question le pouvoir socialiste. Sous prétexte d'antiracisme, S.O.S.-Racisme fait taire la voix des antiracistes, fait taire une voix dissidente que l'État récupérera de différentes façons.
Sans dire que S.O.S.-Racisme a été créé de toutes pièces par le Parti socialiste, il ne faut pas perdre de vue que la petite main en fait beaucoup pour les socialos et que cela servira pour les législatives de 1986. S.O.S.-Racisme se sert-il pas à récupérer certains déçus du socialisme qui trouvent enfin un terrain de lutte « utile » ? Lutter contre les racistes, avec S.O.S.-Racisme, même si c'est légitime, reporte la lutte contre l'État-P.S. aux calendes grecques.
Il importe, pour les mois qui viennent que les associations et comités antiracistes reconquièrent leur autonomie. Un mouvement comme la Marche pour l'égalité et Convergence 84 va reprendre cette année ; S.O.S.-Racisme y aura une place importante, et cette fois ce sera autre chose qu'un badge ou de la musique, le débat risque d'être houleux.