Salles de shoot : l’académie nationale de médecine se couvre de ridicule

mis en ligne le 3 février 2011

1621ShootLe 12 janvier dernier, l’Académie de médecine a rendu un avis négatif sur la création en France de salles d’injection pour toxicomanes. Les associations d’aide aux toxicomanes – la Commission nationale addiction (CNA) et la Fédération française d’addictologie (FFA), qui regroupent l’ensemble des acteurs de l’addictologie, et également Act Up-Paris – dénoncent cet avis qui « témoigne d’une ignorance grave des phénomènes d’addiction en général et des salles de consommation en particulier, et d’un refus de travailler avec le minimum d’honnêteté intellectuelle ». Cette réaction vigoureuse d’Act-Up est justifiée dès le début du rapport, ne serait-ce que dans la définition même des salles d’injection : l’Académie de médecine affirme que des médecins peuvent « se livrer à des intoxications médicalement assistées dans les salles d’injection ». On imagine d’ici les toubibs en train de faire à la chaîne des shoots d’héroïne aux personnes ! Si les académiciens avaient réellement travaillé leur sujet, ils auraient constaté qu’aucun professionnel de santé, médecin ou autre, n’est autorisé à injecter des drogues, ni à aider à en injecter, et ceci, dans aucune salle de consommation au monde !
De plus, les salles de shoot sont une question de responsabilité légale, mais avant tout de responsabilisation de l’usager. Il semble donc que l’Académie de médecine ne connaît rien aux phénomènes d’addiction. Son avis diverge d’ailleurs des associations d’aide aux toxicomanes citées plus haut, qui ont, elles, une expérience de terrain et qui ont pris position pour l’expérimentation des salles de consommation en France. D’ailleurs, quelques jours après le rendu du rapport de l’Académie de médecine, la FFA (composée de six associations : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, Collège professionnel des acteurs de l’addictologie hospitalière, Collège universitaire national des enseignements d’addictologie, Fédération addiction, équipes de liaison et de soins en addictologie, Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions), a réitéré son soutien à l’expérimentation, en désapprouvant la position « idéologique » de l’Académie dans un communiqué de presse sans appel : « L’Académie nationale de médecine vient de marquer son opposition à de tels projets pour des motifs exclusivement moraux et idéologiques où les personnes concernées, la santé publique et les arguments scientifiques objectifs n’ont pas de place. »

Un rapport truffé d’erreurs et de contre-vérités
De fait, l’avis de l’Académie de médecine ne s’appuie ni ne cite aucune étude scientifique pour rendre son avis. Comment peut-on vouloir représenter le savoir scientifique et être aussi éloigné de sa réalité ? Ne serait-ce pas alors de la pure mauvaise foi de la part des académiciens, tandis que même les études les plus nuancées témoignent de l’intérêt d’expérimenter un tel dispositif ? Pire, la seule recommandation citée par l’Académie est celle de l’Organisme international de contrôle des stupéfiants ! Depuis quand des médecins fondent-ils leur avis sur ce que dit une structure policière ? Police partout !
Pour les académiciens, les salles d’injection se résument à « réduire l’incidence des abcès, la transmission de virus (hépatites, VIH), ainsi que les overdoses parmi les toxicomanes ». Or, un des premiers intérêts de ces salles, selon l’expertise collective de l’Inserm sur la réduction des risques, est l’entrée en contact et la création d’un lien avec un public très précarisé, exclu du système de soin. Et qu’en pensent les académiciens ? Rien ! Ensuite, l’Académie affirme que « les salles d’injection banaliseraient les drogues en remettant en question leur image répulsive et entraîneraient la confusion dans la population dans son ensemble et, en particulier, chez les jeunes ». Or, le rapport de l’Inserm, qui a analysé toute la littérature scientifique sur le sujet, reconnaît que les salles de consommation à moindre risque ne créent pas de nouveaux consommateurs et qu’elles n’augmentent pas la consommation de drogues chez les usagers. Au contraire, une étude récente portant sur une salles de consommation de drogues à moindre risque à Vancouver (Canada) montre qu’un tel dispositif permet aux usagers d’arrêter durablement les drogues. Les vœux inavoués de l’Académie ne seraient-ils pas plutôt de sacrifier l’aide et l’accès aux soins pour les plus précaires ? Encore une fois, par incompétence et mauvaise foi, les académiciens entretiennent la confusion entre deux politiques différentes et complémentaires : la prévention envers les jeunes et la politique de réduction des risques envers les usagers actifs. Mais ce que sous-entend l’Académie est extrêmement grave, selon Act-Up Paris : « Elle propose de se servir des usagers en grande précarité laissés à l’abandon dans les grandes villes, de les sacrifier et de les mettre au pilori, pour que leur détresse et leur déchéance sur la place publique soient un répulsif pour les jeunes. Outre que cette solution ne marche pas, quel genre de politique peut sacrifier les plus fragiles par pure idéologie ? »

Un des organismes les plus « réacs » du pays
Ce n’est pas la première fois que l’Académie nationale de médecine se fait remarquer comme étant l’un des organismes les plus réactionnaires de ce pays et propose pour toute solution le sevrage. Il s’agit d’une idéologie qui n’a eu de cesse de retarder tous les dispositifs de réduction des risques comme l’échange de seringues, et qui est responsable de la contamination par le VIH et les virus de l’hépatite de dizaines de milliers de personnes (et ceci n’est pas sans rappeler les positions du pape sur la capote). Les académiciens n’en ont rien à battre de l’autosupport des usagés de drogue, porté par les associations d’accompagnement. Ils n’en ont rien à faire de la réduction des risques, ni visiblement de la lutte contre le sida. C’est pourquoi les associations nationales qui composent la FFA, engagées au quotidien dans les soins, la prévention et la réduction des risques liés aux addictions, réaffirment « leur attachement à ce que puissent être conduites en France des expérimentations limitées et contrôlées de salles où des usagers dépendants puissent s’administrer les substances que de toute façon elles utilisent, mais de le faire accompagnées, dans des conditions optimales de sécurité ». Pour sa part, Act-Up Paris exige de l’Académie de médecine qu’elle « entende les preuves scientifiques et rende un avis favorable sur les salles de consommation à moindre risque ». D’autant que de telles expériences ayant été mises en place dans d’autres pays moins ringards que le nôtre ont montré l’intérêt manifeste de ces dispositifs. Nous autres anarchistes constatons une fois de plus que le discours d’exclusion et moralisateur entame la vie des individus et vise naturellement en premier lieu les populations les plus précaires…