Des Black Bloc avec des cerveaux

mis en ligne le 7 avril 2011
Qui étaient ces inconnus masqués ? Après être arrivé trop tard pour leur départ de Malet Street, j’ai finalement réussi à les retrouver à Tonto, à Piccadilly. Ils étaient le Black Bloc… J’avais entendu qu’ils s’étaient séparés du cortège principal de manifestants et qu’ils se dirigeaient désormais vers Charing Cross Road. Je ne pouvais que rester bouche bée devant leur arrivée – n’avaient-ils pas l’air sacrément beaux ? –, avec leurs drapeaux noir et rouge partout, masqués, criant, courant, confiants… et jeunes !
Ils ont chargé – à ce stade de la manifestation, le Bloc était énorme, peut-être 600 personnes – tête baissée à travers la ligne de policiers bloquant Regent Street et j’ai eu du mal à les suivre, ils étaient beaucoup trop rapide, y compris pour les flics boiteux. De toute façon, personne ne veut de son grand-père dans un Bloc. Ce fut la dernière action que je vis d’eux de toute la journée. On apprenait que ça pétait ici, puis là, et à nouveau ici, mais le temps que nous arrivions sur place, les oiseaux s’étaient envolés.
Le Bloc a fait tourner en rond les flics. Les plus expérimentés décrivaient « un Black Bloc avec des cerveaux » (« Black Block with Brains ») ou encore « une hydre à plusieurs têtes », frappant ici et là pour réapparaître finalement à des endroits complètement inattendus, comme les Vietcongs ! Mobilité, mobilité, mobilité… Les leçons étaient parfaitement apprises et les objectifs exemplaires. Mayfair [Ndt : un quartier très chic situé à l’ouest de Londres où l’on trouve beaucoup d’ambassades et de boutiques de luxe] a bel et bien été saccagé. Le concessionnaire Porsche, Le Ritz, Fortnam & Mason, des banques, des magasins de luxe. Ce putain de Ritz Blitz, oh comment ai-je pu manquer ça ? J’ai vu des choses qui réjouissent le cœur d’un vieil homme, comme le slogan « guerre de classes » tagué sur les boutiques de luxe. C’était une guerre de classes, et les clients du Ritz se recroquevillaient de peur sur leurs sièges de luxe. Cameron [Ndt : Premier ministre britannique] l’a commencé, nous allons la terminer. Pas besoin d’excuses ce matin. Les flics vont encore être félicités pour un autre cafouillage. Combien de temps le vieil oncle Bob Broadhurst [Ndt : commandant responsable du maintien de l’ordre à Londres] survivra-t-il ? Selon ses propres mots, le Bloc a réussit son coup.
Ce n’est pas le rôle du Black Bloc de s’occuper des stratégies politiques concernant la place du mouvement anarchiste dans la lutte sociale. Le Bloc est une unité de combat tactique anarchiste temporaire. Il se forme pour une journée, puis il disparaît. Pour ce qui est de franchir le Rubicon, critère que j’ai souligné hier [Ndt : dans un autre article du blog], il n’en est rien. Il n’y a aucun espace à occuper. Il n’y a aucun motif pour que cela ait lieu. Mon idée d’occupation de Hyde Park a manqué de souffle pour avoir lieu. Les flics ont attaqué sans raison Trafalgar Square et l’ont évacué avec violence. Le mouvement a-t-il avancé ? J’en doute. Il n’y avait pas de relations ni de connexions avec les 400 000 manifestants de Hyde Park. Auparavant, le journal Class War était utilisé pour établir une sorte de passerelle entre la masse des manifestants et les anarchistes. Nous n’avons plus cette connexion, et nous devons trouver un moyen de la construire à nouveau. Vingt-cinq ans après « Stop the City », nous pouvons toujours lire les mêmes unes de journaux : « Les anarchistes saccagent la ville ». Sommes-nous revenus à l’action anarchiste annuelle ? Ou peut-on construire davantage cette fois ? Si c’est le cas, comment ? On aura peut-être le droit pendant un mois, dans The Sun, aux conneries comme « les anarchistes menacent le mariage royal », mais, une fois le mariage passé, qu’est-ce qu’il nous restera ? Comme pendant les émeutes de la Poll Tax, beaucoup de personnes du cortège principal auraient aimé rejoindre le Bloc, mais n’ont pas pu [Ndt : car elles n’avaient pas de contacts]. On ne peut pas faire seulement des actions entre anarchistes. Il nous faut trouver un moyen de nous rapprocher des autres camarades en lutte. Pour que le reste de notre classe prenne part au combat.

Ian Bone (sur le site web de Freedom)
Traduit de l’anglais par Guillaume Goutte