Prison : surveiller, punir et pousser au suicide

mis en ligne le 19 mai 2011
1636PrisonSecret médical pas assez respecté, parloirs non adaptés, correspondances violées, voilà quelques points, et non des moindres, issus du dernier rapport de 400 pages du contrôleur général des lieux de privation. Les contrôleurs de cette structure observent les pratiques courantes dans les prisons évidemment, mais aussi dans les hôpitaux psychiatriques, les centres éducatifs fermés pour mineurs, les geôles des tribunaux, les locaux de garde à vue, les centres de rétention et les zones d’attente pour les sans-papiers. Leur constat est « sans appel » : les droits élémentaires sont de moins en moins respectés dans les prisons françaises.
Après l’annonce de la dissolution de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) – voir dans Le Monde libertaire n°1636 –, il s’en est fallu de peu pour que la fonction de contrôleur général des prisons, créée en 2008 pour illusionner le peuple après la vague des suicides, ne soit elle aussi refondue par Sarkozy dans la grande marionnette « fourre-tout » du nouveau poste de défenseur des droits, qu’il va mettre sur pied pour couper le peu d’indépendance qu’avaient encore certaines instances de médiation étatique. Sa direction, après que Jack Lang eut été pressenti, reviendrait au plus « politiquement correct », Dominique Baudis.

Le secret médical et l’intimité… mis au secret !

Le rapport nous apprend d’abord qu’aujourd’hui, le secret médical est loin d’être partout respecté. Un exemple : la distribution des médicaments est parfois faite par les surveillants pénitentiaires (et non par les personnels de soins comme cela devrait être) au vu et au su de tous. Par conséquent, les détenus malades se retrouvent stigmatisés et exposés à des menaces et à des représailles. Une situation encore plus critique pour les toxicomanes et les porteurs du VIH. On note une autre aberration : dans un certain nombre d’établissements, les dossiers médicaux ne sont pas contenus dans des armoires fermées à clef… une confidentialité plutôt relative dans ce cas !
Autre violation du droit de l’individu : de nombreux courriers de détenus sont parvenus au contrôle général indiquant que le motif de leur incarcération avait été divulgué par des personnels de surveillance, sous diverses formes, à leurs codétenus. Là encore, de telles révélations ne sont pas sans induire en retour des brimades que certains détenus disent subir. Pour ce qui concerne à présent le respect de la confidentialité de la correspondance, la France a été rappelée à l’ordre plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme : il s’agit en effet d’un droit fondamental des personnes, y compris lorsqu’elles sont privées de liberté. Si les surveillants de prison ont la possibilité de vérifier le contenu des courriers (à l’exception de ceux adressés aux autorités et au contrôleur général), ils sont tenus au secret professionnel. Or, en pratique, rapportent les contrôleurs, « des détenus se plaignent que leur courrier ne serait pas systématiquement transmis à leur destinataire et que certains surveillants liraient leur courrier à haute voix ».
Dans les établissements pénitentiaires, l’emplacement des téléphones, leur agencement, sans coque ni cabine entourant le combiné, ne permettent pas de garantir la confidentialité des échanges. En pratique, ces problèmes se traduisent par des trafics de téléphone dont peuvent être victimes les plus vulnérables. D’où cette proposition, née d’un constat dans certains établissements de santé : la situation se passe mieux dans les établissements où l’usage du portable est toléré et encadré. Rappelons qu’en prison, aujourd’hui, l’utilisation des portables est strictement interdite.

« Cachez cette prison que je ne saurais voir » !
Les conditions de visite aux prisonniers pour les proches relèvent souvent du « parcours du combattant ». Se rendre aux parloirs réclame aux familles « une grande disponibilité de temps (entre une demi-journée et une journée), entraîne un coût financier important (lié au mode de transport et aux frais de restauration, voire d’hébergement) et génère fatigue et tension nerveuse, notamment du fait de l’angoisse d’arriver en retard et de voir la visite annulée ».
Pire : les contrôleurs ont observé à plusieurs reprises que certaines collectivités locales s’opposent à toute signalisation de l’établissement pénitentiaire, soit pour des « raisons touristiques », soit pour ne pas « stigmatiser » la commune. Certains établissements, bien que de construction récente, ne sont pas desservis par un réseau de transports en commun. À ces difficultés, s’ajoute le fait que les personnes détenues ne sont pas incarcérées à proximité de leur domicile ou de celui de leurs proches. En la matière, la règle en cours est l’affectation dans la maison d’arrêt du ressort géographique de la juridiction ayant décidé le placement en détention, indépendamment de la domiciliation du justiciable…
De plus, les contrôleurs ont constaté de nombreux dysfonctionnements dans les modalités de prises de rendez-vous aux parloirs, qui se font notamment via des bornes informatiques souvent en panne faute de maintenance. Autre problème : l’intimité est plus ou moins bien préservée : « Les visites se déroulent dans une vaste salle commune, particulièrement bruyante, qui n’offre aucune intimité et met les familles, les détenus et les personnels dans des situations indignes eu égard aux rapports sexuels qui ont lieu. » Le rapport recommande à cet égard d’envisager la création de quartiers spécifiques pour les couples incarcérés et de créer dans chaque établissement des unités de vie familiale (UVF) et/ou des parloirs familiaux et des salles « enfants-parents ».
Mais, au sein de cet État de plus en plus sécuritaire et de plus en plus liberticide – tandis que 109 détenus se sont suicidés en prison en 2010 et 115 en 2009, selon les chiffres publiés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) –, on ne se fait pas beaucoup d’illusions sur l’avenir de cette recommandation, pas plus d’ailleurs que sur celles qui concluent un rapport souvent en dessous des réalités. Des réalités comme celles que l’on peut entendre, par exemple, au cours de l’émission hebdomadaire « Ras les murs », diffusée sur Radio libertaire 89.4. Elle soutient les luttes des prisonniers et milite pour l’amélioration des conditions de détention et entend rompre le silence criminel qui entoure la prison et informer de la réalité, tant carcérale que judiciaire, en donnant la parole aux prisonniers et aux prisonnières, qui écrivent régulièrement aux animateurs, de toutes les prisons de France.