Incendie du CRA de Vincennes : un procès pour l'exemple

mis en ligne le 17 novembre 2011
1651CRAJugées en mars 2010, six des dix personnes condamnées, jusqu'à trois ans d'emprisonnement, pour l'incendie du centre de rétention administratif (CRA) de Vincennes avaient fait appel. Leur procès a eu lieu en octobre dernier. Le jugement devrait être rendu à la mi-janvier.
Pour Jean-François Cormaille-de-Valbray, un centre de rétention c'est un peu comme un hôtel : « Ce n'était pas un quatre étoiles, mais cela paraissait propre » ; c'est « un lieu tenu », où les retenus jouissent d'« une certaine liberté » (se déplacer, téléphoner, recevoir des visites). Aussi, bien qu'il admet que « la rétention est très stressante », il ne comprend pas que des êtres humains s'y révoltent : « Quelle mouche les a piqués ce jour-là ? »
« Ce jour-là », le 22 juin 2008, les « piqués » du centre de rétention de Vincennes ont marché en hommage à l'un d'entre eux mort la veille, « comme un chien » (faute de soins médicaux). Jean-François estime que les keufs-matons du CRA « ont fait leur travail, et ce travail a été bien fait » ; en effet : aux questions sur cette mort, ils ont répondu à coups de lacrymo dans la gueule. Mais, cette fois, les retenus ont eu le dessus et leur prison a entièrement brûlé.
Jean-François, lui aussi, fait son boulot : avocat général, il est chargé de faire condamner ; et on sent bien qu'il a à cœur de travailler aussi bien que sa collègue juge qui avait condamné tous les accusés après avoir si bien convaincu leurs avocats qu'ils n'étaient là que pour la forme qu'ils avaient décidé de quitter le procès au bout de quatre jours.
Mais il n'a aucune preuve. Les seuls éléments concrets sont des extraits de vidéosurveillance du CRA qui ne prouvent qu'une chose : que les accusés étaient bien enfermés au CRA de Vincennes le jour où il a cramé, au milieu de dizaines d'autres retenus essayant de se défendre contre les violences policières, et dont n'importe lequel aurait pu se retrouver à la place des accusés. Alors il charge la barque avec tout ce qu'il peut et il en rajoute en inventant une « complicité intellectuelle » et en les décrivant comme les membres d'une « bande constituée », de toute façon coupables d'être sans-papiers : « On ne rentre pas sans passeport dans un pays qui pourrait vous accueillir par ailleurs si les choses étaient faites régulièrement ». « C'est la loi ! » ; et peu importe si, pour faire les choses régulièrement, cette même loi exige d'accumuler pendant des années des preuves qu'on réside et travaille dans ce pays illégalement.
Peu importe aussi que les accusés aient déjà tant payés cette « culpabilité » : traque et surexploitation sont le quotidien des sans-papiers, enfermement, humiliations et violences sont le quotidien des CRA, les grèves de la faim, auto-mutilations et tentatives de suicide y sont courantes. Les accusés, avant même d'être jugés, ont déjà passé jusqu'à un an en prison ; l'un d'entre eux, passé à tabac par un codétenu, restera handicapé à vie.
Et peu importe qu'ils aient ou non mis le feu. Les révoltes aussi sont nombreuses en CRA, et c'est bien la révolte qui est ici en procès. Dans une société qui impose la soumission, relever la tête est suspect, se manifester condamnable et se rebeller criminel. Pour le juge, une image de vidéosurveillance où un accusé est aux premiers rangs face aux flics, le poing levé, ou simplement à côté d'un autre accusé, est un élément à charge. Et quand un flic envoie son poing dans la figure d'un retenu, c'est forcément en réponse à un coup reçu – qui malencontreusement n'a pas été filmé. Car, pour le juge – dont le pouvoir tient à la présence d'une bande armée (flics et gendarmes) jusque dans la salle d'audience –, les flics sont a priori tout autant innocents que les accusés sont coupables ; et l'avocat général considère leurs déclarations, bien que contradictoires, comme « des faits, rien que des faits ».
Parmi les dix que leurs gardiens ont désigné à la Justice, un au moins va prendre le max : M. D. tient tête aux gendarmes qui lui imposent de retirer son bonnet pour se présenter devant celui qui va le condamner, il intervient quand on ne lui a pas donné la parole, et il s'emporte. « Je pose des questions calmement et j'attends également des réponses calmes », exige le juge. Mais quand son avocate évoque l'enlèvement de ses enfants par les services sociaux, M. D. se fait entendre encore : « On m'a pris mes enfants ! » Tout cela est insupportable pour le juge, qui suspend l'audience. Dehors, pendant que son procès continue sans lui, M. D. explique que ça fait 22 ans qu'il est en France, et qu'il connaît bien les services sociaux et juridiques : condamné à quatre mois ferme pour quatre grammes d'herbe, à quatre mois ferme encore pour être entré dans un logement HLM vide pour se loger avec sa famille, et encore de longs mois de prison parce qu'accusé d'incendie sans preuve, lui qui, de par l'ancienneté de sa présence en France et sa paternité, n'aurait jamais dû, selon la loi, se retrouver en CRA. Il sait donc parfaitement que la justice et la liberté ne se trouvent pas dans les institutions républicaines et surtout pas dans les tribunaux ; n'ayant rien à attendre d'un juge mais subissant son verdict, il refuse, malgré les menaces, d'ajouter l'humiliation à sa peine. Il a donc tout notre soutien, ainsi que tous ceux dont la révolte a concrétisé l'un des slogans favoris des anarchistes : « Détruisons toutes les prisons ! »

Nicolas, groupe d'Ivry de la Fédération anarchiste