Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

mis en ligne le 16 février 2012
1660ScalpÀ Bordeaux, mais aussi dans plusieurs villes de France, des partisans du Bloc identitaire (un groupuscule d’extrême droite) cherchent à s’installer à demeure ; ils ont annoncé vouloir ouvrir dans notre ville un local qui servirait de bar, de bibliothèque et de salle de réunion.
Et cela ne convient pas du tout à un certain nombre d’associations et de groupes antifascistes qui veulent s’opposer à cet arrivage qui permettrait, d’après eux, plus facilement, la diffusion d’une idéologie haineuse porteuse d’agressions racistes, sexistes et homophobes.
Depuis quelque temps, sur un plan plus européen, nous assistons, dans différents pays (particulièrement en Hongrie et en Autriche), à une nouvelle ascension plus ou moins lente de l’extrême droite, montée en force qui s’explique par la crise économique, par la misère qui grandit et qui conduit à des replis nationalistes et à des attitudes de plus en plus liberticides.

Métastase du cancer
Quant aux « identitaires », ils sont déjà bien implantés dans d’autres villes que la nôtre ; certaines régions étant plus accueillantes que d’autres.
À Lyon, par exemple, depuis 2010, une dizaine d’agressions violentes avec des battes de base-ball, des cutters et des flash-balls ont été commises contre des militants politiques et syndicaux, dont certains garderont des séquelles à vie des coups reçus ; des « chasses aux immigrés » ont été organisées avec agressions physiques et vols de leurs titres de séjour ; des commerces ont été détruits ; un concert néonazi a été organisé dans leur local, des manifestations ont eu lieu, accompagnées de slogans racistes, de « Sieg Heil » et autres saluts fascistes.
À Lille, le même genre de faits a été commis par des individus se réclamant des mêmes idées politiques.
À Périgueux, à La Réole, des actes identiques (agressions, manifestations racistes) ont déjà été perpétrés.
Il faut dire, à haute voix, que ces jeunes fascistes ne font que mettre en pratique des propos que certains hommes politiques (notamment de droite), des ministres et même un président de la République, ont proférés impunément ces derniers temps, cautionnant et encourageant ainsi des comportements racistes, xénophobes, sexistes.
En montrant du doigt ce groupuscule, on semble lui faire une publicité exagérée, mais on ne fait que mettre l’accent sur des pratiques qui relaient des discours tenus à un plus haut niveau de la sphère politique, dans les journaux, à la télévision et les médias en général.

L’action antifasciste
Une manifestation contre cette extrême droite a donc été organisée le samedi 21 janvier 2012 à Bordeaux avec pour slogans : « Ni dans la rue ni au pouvoir, ni Front national ni Bloc identitaire, ne laissons pas l’extrême droite s’installer. » Manifestation qui a réuni entre 300 et 500 personnes.
Ainsi est donc mise en pratique la déclaration de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », opposée à celle de Voltaire qui, de son côté, affirmait : « Je hais vos idées mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer. »
Concernant cette campagne antifasciste, et si on écoute ses slogans, vers quoi se dirige-t-on à plus ou moins long terme ? Vers un rapport de force, vers un affrontement physique avec des risques de violence ; la détermination d’intimider ce groupuscule d’extrême droite est claire, surtout la volonté de lui barrer le chemin et, en quelque sorte, de le mater. On va retrouver là, pour les activistes, des rituels de combat faciles à mettre en branle et qui offrent sans attendre une possibilité d’action pour des jeunes et des moins jeunes prêts à la castagne quand il s’agit de garder la main sur un bout de territoire.
Pour autant, il est pour le moins évident que ce ne sont pas ces agissements qui vont faire réfléchir les gens attirés par l’extrême droite. Quant au reste de la population, elle mettra dans le même sac les activistes violents de droite et ceux de gauche.
On notera par ailleurs qu’une telle mobilisation antifasciste n’a pas eu lieu lors de l’annonce des mesures antisociales et liberticides prises par le gouvernement actuel et son ministre Guéant. Les dernières lois et décrets ne sont-ils pas tout autant, sinon plus, dangereux que ce groupe de nazillons ?
Ce qui ne nous encourage pas particulièrement − la justice des tribunaux étant ce qu’elle est − à nous mettre sous la protection de la loi et de la légalité, position que n’adoptent pas volontairement les libertaires. Qu’une municipalité girondine ait pu ainsi autoriser l’ouverture d’un local à ce genre d’individus nous amène à dénoncer, en particulier, cette tolérance à l’égard de pratiques menaçant les valeurs humaines.

Deuxième round
Après la manifestation de ce samedi 21 janvier, le Bloc identitaire a repoussé l’inauguration de son local au 28 ; une autre manifestation a donc eu lieu ce samedi-là : beaucoup de jeunes étaient venus avec force fumigènes et feux de Bengale, des drapeaux rouges et des drapeaux verts, des drapeaux rouge et noir et d’autres encore.
En fin de manifestation, des jeunes antifascistes qui cherchent la baston se sont aventurés, sans plus, près du lieu où est censé s’installer le Bloc identitaire. Et, dans la soirée, tout est redevenu calme.
Maintenant, que va-t-il se passer ? La pression sera telle que ce Bloc devra sans doute aller chercher ailleurs des locaux pour ses activités ou alors se claquemurer soigneusement dans son bâtiment. Mais, par la suite, faudra-t-il peut-être compter également sur des représailles très concrètes, entre autres envers l’athénée libertaire qui a déjà reçu des visites nocturnes. Et celui-ci ne sera sûrement pas seul à subir des assauts.
Ce qui paraît clair, c’est qu’une grosse minorité antifasciste va se heurter à une minorité fasciste sûre d’elle et que des violences de rue diverses et des péripéties variées sont à prévoir.
Or le petit millier de manifestants antifascistes qui est descendu dans la rue représente des groupements et des associations qui ne résident pas nécessairement dans le quartier en question. Un élément de poids semble avoir été oublié, c’est le voisinage de ce local, qui n’a pas été spécialement informé ni interrogé, c’est la population, c’est une société civile tous âges confondus qui ne participera pas aux bagarres dans les quartiers et qui en aura plutôt la crainte. L’adresse de ce lieu, jusqu’à maintenant tenue discrète, semble avoir été choisie sur le trajet des supporters sportifs qui vont vers le stade, en particulier sur le parcours d’un groupe d’« ultras » réputés pour leur antifascisme.

Le fascisme se combat sur le terrain
Or ce sont les gens du quartier qu’il faudrait toucher et convaincre. Car seule une pression massive de cette population appuyée par une stratégie plus collective serait efficace pour chasser ce Bloc.
Mais des risques secondaires nous guettent, à un autre niveau, conséquences plutôt négligées : c’est de se renfermer dans un activisme antifasciste qui ne se pose plus d’autres questions que l’éradication violente d’un mouvement certes agressif. Il y a là danger pour nous de perdre une identité libertaire plus large en adoptant les propres méthodes de lutte de l’ennemi et en ressemblant de plus en plus à celui que l’on combat.
Sans doute ces fascistes sont-ils nos ennemis, mais ce ne sont pas les seuls. Actuellement, nos ennemis principaux sont au pouvoir et ne verraient pas d’un mauvais œil que nous occupions la rubrique des faits divers, distrayant ainsi l’attention de celui que nous nommons le peuple et le détournant ainsi de perspectives ouvertes plus sociales.
En quelque sorte, il nous serait délibérément désigné un objet à combattre autre que notre cible principale qui est le pouvoir en place. Et, dans le même temps, nous pourrions très bien être instrumentalisés pour cela. Ce qui se fit en d’autres temps et en d’autres lieux.
Ce combat antifasciste proprement dit est le nôtre, et nous pensons n’avoir pas à recevoir de leçons de trotskistes reconvertis, d’ex-communistes, de communistes de maintenant, de sociaux-démocrates en tout genre, etc., tous en attente de prendre prochainement le pouvoir par les élections. Malgré le temps qui aplatit les faits de l’Histoire, un certain passé qu’ils occultent avec soin reste dans nos mémoires.
Pour autant, si ce combat est le nôtre, ce combat devrait aussi être « autre », pas systématiquement « contre », mais conçu pour dire nos valeurs en les pratiquant et, surtout, pour être vécu au sein de la population, avec la société civile tout entière et non avec les seuls partis qui ne pensent qu’à remplir les urnes.
Plus pratiquement, il s’agirait de créer, au grand jour, une cellule de veille s’inscrivant dans la durée ; rassemblant groupes, associations, syndicats, personnes diverses, et même des partis, elle aurait pour mission de surveiller le moindre faux pas (négationnisme, appel à la haine raciale, actions de harcèlement violent, etc.) de ce groupuscule et pour vocation de se servir de tous les moyens de dénonciation publique en direction de la société civile et pourrait ainsi avoir à mettre en œuvre des stratégies de résistance adaptées aux situations.

Agir autrement
Il s’agit de proposer un autre rapport mental au monde, d’avancer des projets concrets et positifs et de ne pas perdre son énergie dans des rixes de rue aux résultats souvent contre-productifs.
Si les membres du cercle libertaire ne répugnent pas à des engagements physiques individuels − ils peuvent en témoigner −, le cercle n’a pas pour vocation essentielle à s’engager en tant que cercle, en tant que groupe, dans des combats particuliers : cette possibilité est cependant laissée au choix de chacun. Le cercle libertaire est d’abord un lieu d’échange, de réflexion et de pollinisation de nos idées.

Cercle libertaire Jean-Barrué