Plomb durci, le retour

mis en ligne le 28 novembre 2012
1689FrancoisRobertC’est qu’ils doivent sacrément baver, ces porcs d’industriels de l’armement, depuis qu’Israël et le Hamas se sont lancés dans une partie de touché-coulé terrestre. En moins d’une semaine, c’est un millier de missiles israéliens et plusieurs centaines de roquettes palestiniennes qui ont traversé le ciel du Moyen-Orient. Nous ne nous risquerons pas ici à l’exercice idiot consistant à savoir qui du Hamas ou de l’État d’Israël a attaqué le premier, tant le conflit est vieux et ses rouages complexes, surtout vu d’ici. Mais disons que la bombe que s’est prise sur la caboche Ahmad al-Jaabari – un type du Hamas (et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agissait du responsable de l’appareil militaire) – le 14 novembre dernier a « ouvert les portes de l’enfer » sur ce coin déjà bien miséreux du Moyen-Orient. Depuis, d’un côté comme de l’autre, on s’envoie quotidiennement son lot de charges explosives, les uns hurlant à l’agression, les autres usurpant une résistance pourtant légitime. En Occident, l’Américain Barack Obama et le Britannique David Cameron ont applaudi des deux mains les frappes meurtrières d’Israël, dissipant en un revers de main tous les doutes qui pesaient sur d’éventuelles tensions entre Israël et le pays de l’Oncle Sam (qui tient à son pied-à-terre au Moyen-Orient). Dans les pays arabes, en revanche, les frappes israéliennes ont fait l’objet de vives critiques et consternations, et certains ont même fait le déplacement – protégés comme il se doit, évidemment…

De quelques ambitions politico-économiques
Mais pourquoi, tout d’un coup, ce nouveau bordel sanguinaire ? Les raisons sont, bien sûr, multiples. Du côté israélien, on redoute sans doute l’assemblée générale de l’ONU prévue pour le 29 novembre prochain au cours de laquelle le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, demandera que la Palestine soit reconnue comme État observateur. Dès lors, Israël, en ravivant ainsi les velléités terroristes du Hamas, entend peut-être décrédibiliser l’Autorité palestinienne et nourrir l’amalgame entre Palestine et terrorisme pour, au final, montrer qu’aucune paix n’est possible ou envisageable. En outre, l’État israélien est coutumier de ce genre d’opérations militaires contre les Palestiniens : en 2002 en Cisjordanie, en 2006 au Liban et en 2008-2009 dans la bande de Gaza (la fameuse opération « Plomb durci » qui fit plus de 1 400 morts, la plupart des civils). À quelques mois des élections législatives (fin janvier 2013), le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, espère sans doute conquérir quelques voix pour son gouvernement à travers cette démonstration de force militaire. Enfin, l’actuel climat de forte instabilité qui règne dans la région depuis la guerre civile syrienne a peut-être convaincu l’État israélien de la nécessité de réaffirmer sa puissance et sa place avec cette nouvelle opération d’envergure.
Du côté palestinien, outre la persévérance de la légitime résistance d’un peuple contre son occupant, on a affaire à une poignée de fanatiques qui assoit son pouvoir grâce à cette crise sans fin. Se nourrissant de la colère et de la rage provoquées au sein de la population palestinienne par les agressions israéliennes, le Hamas – pour le nommer – travaille ainsi à l’établissement de son hégémonie en Palestine. Bien qu’il contrôle déjà la bande de Gaza, il aspire, à terme, à « devenir la principale organisation palestinienne » (L’Humanité, 17 novembre 2012). Il envisagerait même de créer un parti politique similaire à celui des Frères musulmans en Égypte. Pour l’heure, il exige l’arrêt immédiat des assassinats ciblés et la levée du blocus qui pèse sur la bande de Gaza. Et, pour l’obtenir, il place ses principaux espoirs dans… le lance-roquette.

Y a-t-il une solution à tout ce merdier ?
Initié par le président de la Ve République arabe d’Égypte, Mohamed Morsi, un cessez-le-feu est entré en vigueur le 21 novembre à 20 heures, une semaine après le début des hostilités. À l’heure où Le Monde libertaire est bouclé, impossible de dire si cette trêve sera respectée et il n’est pas impossible que les attaques aient, depuis, repris. Quoi qu’il en soit, le peuple palestinien se retrouve une nouvelle fois pris en otage par le Hamas et décimé par les autorités israéliennes. Et vice versa – certes, dans une moindre mesure – pour celui d’Israël. Les fanatiques des deux camps jouent aux terroristes pour des ambitions politico-économiques, et ni l’un ni l’autre n’aspire, au fond, à la fin de cette crise qui leur est si profitable. La véritable sortie de ce conflit, la fin de l’occupation et la liberté pour les Palestiniens de s’autodéterminer ne pourront être le fruit que d’une solution marginalisant les partis, les États (y compris de Palestine) et les nationalismes haineux dont les gouvernements se font les hérauts. Une solution dans laquelle Palestiniens et Israéliens se rassembleraient autour d’intérêts transnationaux porteurs de transformation sociale : les intérêts de classe. On peut toujours rêver, diront certains ? « Il faut savoir se prêter au rêve lorsque le rêve se prête à nous », disait Albert Camus.

Win Chester