Isbel Díaz, une voix de la société civile cubaine

mis en ligne le 21 novembre 2013
1722IsbelDiazIsbel Díaz a été interpellé par la police cubaine le 5 octobre dernier. Ce militant de la nouvelle gauche cubaine répond aujourd’hui à trois questions sur la société civile cubaine et les réformes de Raúl Castro.
Díaz, diplômé en biologie à l’université de La Havane, publiait déjà un bulletin écologiste quand il a rejoint l’Observatoire critique. Il fait du journalisme pour le site Web Havana Times et contribue à la mise à jour du blogue de son organisation. Ses poèmes ont été publiés par des maisons d’édition à Cuba.
Depuis 2009, l’Observatoire critique, un réseau indépendant de projets citoyens, promeut la démocratie et l’anticapitalisme au sein de la société cubaine. Cette organisation soutient des initiatives communautaires, notamment celles menées par la jeunesse. Elle fonctionne sur la base des doctrines libertaires, quoique l’idéal anarchiste ne soit pas partagé par tous ses adhérents.

Boris Leonardo Caro : Si le gouvernement cubain a demandé aux citoyens de débattre le nouveau Code du travail, pourquoi la police a essayé d’empêcher le débat organisé par l’Observatoire critique ?

Isbel Díaz : Premièrement, l’appel du gouvernement n’a compris que les syndicats affiliés à la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC). La convocation a écarté donc la participation des étudiants, des coopératives et des associations de femmes, de personnes handicapées et d’artistes. La discussion sur cette loi a été tenue hors de l’espace communautaire. Nous avons décidé de combler ce vide. En outre, l’entrée aux endroits où les intellectuels cubains considèrent ces sujets demeure restreinte à une élite de personnes cultivées, ayant accès à internet et au courriel. C’est pourquoi ces débats ont une influence négligeable sur la société. Pourtant, ces polémiques intellectuelles font croire ailleurs que la société cubaine est ouverte à la discussion des idées.
En fait, même dans les syndicats autorisés à tenir la discussion sur le Code du travail, la bureaucratie a réprimé les opinions, jetant un regard critique sur la nouvelle législation.
La police politique cubaine entrave le développement de notre organisation et des autres groupes. Les autorités essaient de dénaturer nos objectifs, de détruire nos alliances, de désinformer et de menacer des militants et des citoyens.
La société civile cubaine est très vulnérable à la répression exercée par des corps paramilitaires qui agissent au-dessus de la Constitution, piétinant des lois cubaines et internationales. C’est pourquoi la police a importuné la réunion que nous avions organisée dans un parc de La Havane pour discuter le nouveau Code du travail. Ils lisent impunément nos courriels et écoutent nos conversations téléphoniques.

Boris Leonardo Caro : Comment la société civile cubaine contribue-t-elle aux réformes de Raúl Castro ?

Isbel Díaz : Le concept de société civile est manipulé par le gouvernement cubain, qui contrôle des organisations, dont les comités de défense de la révolution (CDR), la Fédération des femmes cubaines (FMC) et l’association Hermanos-Saíz (pour les jeunes intellectuels). Ces organisations et quelques églises sympathisantes de l’État sont sommées d’exprimer leur accord avec les réformes.
À Cuba, il n’y a pas d’institutions indépendantes pouvant défendre les droits des citoyens face aux politiques du gouvernement et aux conséquences du marché. Le Répertoire national des associations, qui a listé plusieurs organismes non gouvernementaux auparavant, n’accepte plus de demandes depuis des années.
D’ailleurs, les mouvements sociaux et les organisations alternatives sont surveillés et boycottés par les autorités, ce qui entrave leur influence publique.
En tout cas, cette société civile si précaire n’a pas d’emprise sur les réformes de Raúl Castro. Le nouveau modèle a été façonné par les élites de technocrates attachés à une vision autoritaire. Ils promeuvent désespérément des initiatives menant au capitalisme comme la seule solution à la crise nationale.

Boris Leonardo Caro : À ton avis, les réformes en cours vont-elles perfectionner le socialisme cubain ?

Isbel Díaz : Malgré la rhétorique du président cubain, les réformes impliquent clairement un abandon de l’utopie socialiste. Le stalinisme hérité de l’Union soviétique n’a jamais permis le développement du socialisme à Cuba, mais on n’avait pas renoncé à le construire.
Même s’il y a très peu d’informations sur les projets de développement entrepris par le gouvernement, on peut assurer qu’ils conduisent à la restauration du capitalisme.
Voici quelques exemples : les cultures transgéniques brésiliennes à Sancti Spiritus [province cubaine] ; l’usufruit de terrains de golf pour quatre-vingt-dix-neuf ans offert aux étrangers à Matanzas [province cubaine] ; la reconstruction du port de Mariel et les usines rattachées ; les crédits incroyables octroyés par la Chine et le Venezuela ; la vente de services médicaux au Venezuela et au Brésil ; l’ouverture au professionnalisme dans les sports ; l’écrasement des droits des travailleurs, etc.
Un collègue de l’Observatoire critique a sagement remarqué : « Personne ne sait comment bâtir le socialisme, pourtant on ne construit pas le capitalisme pour y arriver. »
Il semble que nous suivrons les modèles de la Chine et du Vietnam où un capitalisme rapace se développe au détriment des droits de la personne.