Expulsion du camp rom de Saint-Ouen : place nette pour les promoteurs 

mis en ligne le 4 décembre 2013
1724RomsMercredi 27 novembre, à l’heure du laitier, une opération policière a visé le campement rom de Saint-Ouen. Quartier bloqué, rues barrées, fourgons de flics par dizaines : le dispositif habituel. En l’espace de deux heures, l’espace était vidé de ses 500 habitants (300 autres, avertis de l’imminence de l’expulsion, avaient, la veille, quitté les lieux), et les pelleteuses pouvaient enfin s’attaquer aux baraques, détruisant méthodiquement toute trace de ce que les médias s’empressèrent de nommer « le plus grand bidonville de France ». Qui fut à l’origine de cette nouvelle expulsion, qui jeta à la rue, au début de l’hiver, enfants, parents et grands-parents ? Le premier magistrat de la ville, la maire Jacqueline Rouillon, étiquetée… Front de gauche.
C’est que les élections approchent, qu’elles ne sont pas gagnées. Il convient, dès lors, de caresser l’électeur dans le sens du poil, fût-il celui de la bête immonde et du racisme crasse. C’est, surtout, que les Roms avaient eu l’indélicatesse de s’installer au milieu des Docks, ghetto boboïde en voie de construction. Ce quartier à venir (près de 30 % de la superficie de la ville) constitue un enjeu de taille pour les Kaufman & Broad et autres Nexity. Bien entendu, y sera bâtie une poignée de logements sociaux, histoire de donner le change, mais l’essentiel de l’opération est portée par ces promoteurs privés, lesquels, non sans raison, offrant aux portes de Paris pléthore de logements neufs, comptent bien en tirer de substantiels subsides. Encore faut-il, auparavant, nettoyer la ville des scories nuisant à leur business. Ainsi, Manuel Valls, interlocuteur régulier de Madame le maire, s’est-il empressé de placer en ZSP (zone de sécurité prioritaire) certains quartiers de la ville, de façon à contraindre le commerce de la drogue à émigrer plus loin, au-delà des frontières proches du futur quartier. Ainsi, 800 habitants roms renvoyés à la rue pèsent bien peu au regard de l’urgence qu’il y a à bâtir résidences privées et équipements publics destinés aux futurs propriétaires.
L’historique du rapport entre cette municipalité à tendance communiste sécuritaire et la communauté des Roms ne date pas d’hier. 2005 : naissance du premier festival Jazz à puces, clairement dédié au jazz et à la musique manouche. À Saint-Ouen, on n’aime pas les Roms, mais on apprécie leur musique. 2008 : deux campements sont évacués, à l’époque déjà installés dans le quartier des Docks, sur des espaces convoités par la mairie en vue de revente aux promoteurs. La même année, on inaugure un « village d’insertion » accueillant une vingtaine de familles triées sur le volet, clos de palissades en tôle et gardées par des maîtres-chiens. Au final, ce village sera un échec complet, le schéma imposé de l’intégration à marche forcée se révélant catastrophique auprès d’une population qui, nonobstant les jérémiades du ministre de l’Intérieur, se revendique différente, héritière d’une culture, d’une histoire et d’une langue lui étant propres, et ne comptant pas les renier. Juin 2013 : la mairie de Saint-Ouen décide la fermeture du fumeux « village d’insertion ». Les huit familles qui s’entêtaient à l’occuper encore se voient privées d’électricité. Après une première tentative d’expulsion via la police municipale (qui ordonne aux familles de quitter les lieux illico, au risque d’y être contraints le lendemain « par la force »), on découvre que Séquano, aménageur public urbain, pousse les feux afin de récupérer le terrain… C’est ensuite, il y a quelques jours, l’évacuation du grand campement, évacuation justifiée par d’abracadabrantesques motifs, dont celui de menacer l’approvisionnement en chauffage d’une partie de la ville et même de Paris ! Or, si le campement s’était établi aux abords d’une voie ferrée conduisant à la centrale de chauffage, aucun train ne circule sur ces voies, l’approvisionnement en charbon se faisant par camions. L’argument tombant de lui-même, furent alors évoquées des conditions d’hygiène allant se dégradant. Vieille méthode qui a fait ses preuves : priver 800 personnes de bennes à ordures, de sanitaires, d’accès à l’eau potable est le plus sûr moyen de pouvoir dénoncer ensuite lesdites conditions. Au prétexte desquelles on prononcera l’expulsion.
Au final, la schizophrénie d’une mairie vantant la mixité sociale mais se débarrassant de toute population ne correspondant pas aux critères arrêtés par elle en dit assez sur son projet, sur sa vision du « vivre ensemble ». Vivre ensemble, oui mais avec qui ? Madame le maire décide pour nous de qui seront, ou non, nos futurs voisins. Est-elle à ce point autiste qu’il faille répéter une nouvelle fois que communauté rom, population locale, population nouvelle peuvent parfaitement cohabiter pour peu qu’on s’en donne les moyens ? À l’heure où s’écrivent ces lignes, il semble que les anciens habitants du campement des Docks soient en train de s’installer porte de Paris, à Saint-Denis, sur l’emplacement bien connu de ceux qui en furent expulsés, il y a quelques mois. Lors de l’évacuation du campement de Saint-Ouen, la plupart n’ont opposé aucune résistance : la force de l’habitude et de l’aller-retour, la lassitude, assurément.

Fred
Groupe Saint-Ouen de la Fédération anarchiste