Le nucléaire iranien, un vrai problème ?

mis en ligne le 11 décembre 2013
1725IranLes grands médias occidentaux mettent en exergue trop souvent le dossier nucléaire iranien comme le problème principal qui touche ce pays. Ils n’ont pas changé d’habitude ces derniers temps, étant donné qu’un nouveau round de négociations a eu lieu, à Genève, entre la République islamique et les 5+1, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne.
D’autres négociations se sont déroulées depuis une dizaine d’années entre les mêmes États, mais les articles de l’accord du 24 novembre 2013 démontrent que le régime des mollahs iraniens a reculé cette fois-ci face aux six puissances composant le 5+1. Ce groupe est formé de la Chine, de la Russie, des États-Unis, de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne, tout en sachant que les deux premières ont souvent soutenu la République islamique dans son dossier nucléaire, ayant des intérêts économiques dans les installations nucléaires iraniennes et des différends en diplomatie internationale avec les autres.
Selon les grandes lignes de l’accord de Genève, le régime islamique iranien s’engage à ne plus enrichir l’uranium au-delà de 5 %, à neutraliser les stocks d’uranium enrichi à 20 %, à ne plus installer de centrifugeuses servant à enrichir l’uranium, à ne pas augmenter ses réserves d’uranium enrichi à 3,5 %, à arrêter l’un des plus problématiques réacteurs, situé à Arak, à 280 kilomètres de Téhéran. Les mollahs se sont aussi engagés à laisser les contrôleurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique inspecter, tous les jours par caméras, les installations nucléaires de Natanz et de Fordo.
Ali Khaménéi, le guide suprême ayant pratiquement tous les pouvoirs, a félicité le nouveau président, Hassan Rohani, pour le succès des négociations. La plupart des factions du régime lui ont emboîté le pas en envoyant des messages de remerciement à l’équipe des négociateurs dirigée par le ministre des Affaires étrangères, Djavad Zarif. Ils insinuent que les puissances du 5+1 ont enfin reconnu le droit de l’Iran à l’énergie atomique et à l’enrichissement de l’uranium.
Pour anecdote, il serait amusant de relater la position des deux groupes de l’opposition iranienne sur les accords. La première est celle d’un cadre dirigeant du Front national d’Iran, un groupe de plusieurs partis nationalistes. Selon lui, il faut applaudir l’accord qui a créé un climat de confiance pour que l’économie iranienne sorte de la crise. La seconde est celle du Parti du travail d’Iran, un des nombreux partis communistes iraniens qui se prétend le parti unique de la classe ouvrière et a pour parti frère le Parti communiste des ouvriers de France, qui est par ailleurs membre du Front de gauche. Pour ce parti marxiste – léniniste, qui n’hésite pas encore à célébrer l’anniversaire de Staline à coup de communiqués et articles dans son journal –, la République islamique a trahi la « souveraineté nationale » et a dilapidé des milliards de dollars que « le peuple d’Iran a dépensés pour la technologie atomique ». Pas besoin de commentaires supplémentaires pour l’un et l’autre !
L’accord de Genève est établi pour une durée provisoire de six mois. Il y aura donc d’autres négociations à terme. D’ici là, les sanctions ne seront pas levées, juste allégées. Les sanctions sur la vente de pétrole, les échanges financiers et les banques iraniennes resteront en vigueur. Par contre, certaines d’entre elles, sur l’or et les métaux précieux, l’industrie automobile et les exportations de produits pétrochimiques notamment, seront levées de sorte que le régime puisse avoir 1,5 milliard de dollars de revenus. Les réparations d’avions de ligne seront autorisées. La vente de pétrole restera à son niveau actuel qui est 60 % moindre qu’il y a deux ans. Ainsi, le régime touchera 4,2 milliards de dollars pour le pétrole suivant un échéancier. Quelque 400 millions de dollars des comptes bloqués du régime seront libérés afin de payer les bourses d’étudiants iraniens à l’étranger. Le maintien de sanctions sur le pétrole iranien pendant les six prochains mois privera le régime de 30 milliards de dollars. La vente de pétrole amènera dans les caisses de l’État iranien 4,2 milliards en six mois, mais les 15 milliards de dollars restants iront dans les comptes bloqués à l’étranger. L’Iran vendait 2,5 millions de barils de pétrole début 2012. Les sanctions ont fait que cette quantité est tombée à seulement 1 million de barils par jour. Cela a fait perdre 80 milliards de dollars au régime des mollahs depuis début 2012. La continuation des sanctions sur le pétrole fera perdre encore 4 milliards de dollars par mois au régime islamique. Ce dernier ne pourra toujours pas toucher à ces 100 milliards de dollars d’avoirs sur les comptes bloqués. Les sanctions sur la Banque centrale iranienne, vingt-quatre autres banques et organismes financiers, la marine marchande, les chantiers navals ainsi que les compagnies d’assurance resteront toujours en place.
Alors, pourquoi le régime des mollahs iraniens a reculé, tout en criant victoire ? Y a-t-il des antécédents ?
Le système économique iranien s’est fondu dans le capitalisme mondial depuis les réformes agraires entreprises par le dernier roi d’Iran en 1963. Bien que l’ayatollah Khomeiny, le fondateur de la République islamique, s’y est opposé pour défendre les féodaux et, surtout, les grandes propriétés terriennes tenues par le clergé chiite, mais une fois arrivé au pouvoir en 1979 et l’échec de la révolution, l’économie capitaliste iranienne a continué de plus belle. Aujourd’hui, cette économie est en crise malgré tous les avantages octroyés aux capitalistes. Faut-il rappeler qu’en Iran, comme à Cuba, l’un des États amis des mollahs, la grève est interdite ? Faut-il rappeler que le salaire minimum ouvrier est actuellement de 121 euros par mois, alors que les responsables du régime annoncent eux-mêmes que le seuil de pauvreté est de 375 euros ? Faut-il rappeler que le taux de croissance iranienne était négatif l’année dernière à plus de 5 % ? Faut-il rappeler qu’actuellement 80 % des usines et ateliers de production sont soit inactifs soit fonctionnent à 30 % de leur capacité ? Faut-il rappeler que tous les gouvernements islamiques iraniens, depuis le premier jusqu’au dernier, ont appliqué les directives des organismes internationaux du capitalisme comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international pour que plus de la moitié de la population vive en sous du seuil de pauvreté ? Etc.
Les mollahs et leur principale armée de répression, les pasdaran, détiennent presque tous les leviers économiques du pays. L’agence de presse Reuters a récemment publié un rapport démontrant que le guide suprême contrôle personnellement un conglomérat de sociétés diverses et variées pour une valeur de 95 milliards de dollars. Les agents de la propagande islamique, si prompts à démentir la réalité, n’ont pas contesté ce rapport. Seulement, le directeur des communications du même conglomérat l’a qualifié d’« incorrect ». Les gardiens de la révolution islamique ou les pasdaran gèrent des sociétés industrielles, financières et commerciales de telle sorte que l’on estime leur valeur à un tiers du PIB.
Le régime des mollahs a toujours montré son intransigeance face aux mouvements de protestation populaires en les réimprimant dans le sang. Il a attaqué les Kurdes et Turkmènes dès les premiers mois de prise de pouvoir en 1979 et 1980, tout simplement parce qu’ils voulaient s’autogérer. Il a massacré plusieurs milliers de prisonniers politiques en été 1988 pour faire régner la terreur. Il a tué des dizaines de personnes pendant les protestations post-électorales en 2009. Les statistiques d’organisations de défense des droits de l’homme démontrent que, depuis la présidence de Hassan Rohani, soit le 4 août 2013, ce mollah souriant que les grands médias étrangers qualifient de « modéré » ou d’« homme d’ouverture », pas moins de deux personnes ont été pendues par jour.
Ce même régime des mollahs a pu prendre le pouvoir avec les bénédictions des États américain, français, anglais et allemand réunis dans une conférence en Guadeloupe un mois avant l’insurrection armée populaire en Iran ayant mené au renversement du régime du chah en février 1979. Ces États ont décidé d’effacer leur pion – le chah d’Iran – et de laisser les mollahs prendre le pouvoir afin d’arrêter la radicalisation de la contestation et par crainte de voir l’Iran devenir un nouveau satellite de l’Union soviétique.
L’Union soviétique s’est effondrée, mais les mollahs sont restés avec leurs politiques expansionnistes islamistes dans la région. Par le passé, les mollahs ont tenu tête aux Américains en occupant leur ambassade à Téhéran et prenant en otage le personnel pendant quatre cent quarante-quatre jours. Mais, finalement, ils ont reculé par un accord conclu à Alger et en payant plusieurs dizaines de millions de dollars de dommages et intérêts aux personnes morales ou physiques américaines. Ils ont aussi reculé pour mettre fin à une guerre absurde qui a duré pendant huit ans entre les États iranien et irakien. Ils avaient pourtant dit que la guerre continuerait jusqu’à ce que la ville sainte irakienne de Kerbela soit libérée, car pour libérer Jérusalem en Israël, il fallait passer par Kerbela ! Mais, comme aujourd’hui, quand ils ont vu leur économie capitaliste au bord de l’effondrement, Khomeiny a donné son accord pour accepter la résolution 598 de l’ONU. Il a toutefois dit qu’en l’acceptant il buvait « une tasse de poison ». Une tasse de poison après plus d’un million de morts et des destructions massives de villes et villages entiers de part et d’autre.
L’accord provisoire de Genève conclu le 24 décembre 2013 est la troisième grande tasse de poison que le régime capitaliste religieux iranien boit pour essayer de se sauvegarder, et cela après avoir dilapidé plusieurs milliards de dollars dans la construction de bases nucléaires souvent enfouies, avec des équipements extrêmement coûteux.
Cet accord pourrait se confirmer dans six mois… ou pas. Cela n’a aucune importance vu que les vraies questions ne sont pas posées. Pourquoi la France, les États-Unis, l’Angleterre, la Chine et la Russie doivent avoir les armes nucléaires et pas les mollahs ? Pourquoi l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël doivent en posséder et pas le régime islamiste iranien ? Quand la folie de l’utilisation de telles armes s’en prend aux uns et aux autres, le résultat n’en est-il pas identique ? Hiroshima et Nagasaki n’apportent-ils pas la réponse ?
Chirac, ex-président de la République française, avait dit, juste avant de quitter l’Élysée, que ce n’est pas si grave que cela si les mollahs iraniens possédaient quelques têtes nucléaires, car si un jour ils décidaient d’en envoyer deux ou trois sur Tel-Aviv, Téhéran serait rasé avant qu’elles n’arrivent sur la capitale israélienne. Le service des communications élyséen a démenti cette partie de l’interview de Chirac. Mais il y a bien eu une part de vérité dans ces déclarations. Le vrai problème n’est pas les armes nucléaires que les mollahs pourraient se fabriquer. Le vrai problème, c’est que le dossier nucléaire iranien sert de prétexte aux puissances mondiales d’arrêter les politiques expansionnistes islamistes des mollahs. La date d’utilisation des islamistes est périmée pour les puissances mondiales, étant donné que le bloc de l’Est n’existe plus. Les talibans afghans ne sont plus des « combattants de la liberté », comme on pouvait le lire dans des journaux prétendus aussi sérieux et impartiaux que Le Monde ! Les mollahs iraniens qui soutiennent des groupes islamistes comme le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et d’autres groupes islamistes souvent chiites en Arabie saoudite, au Bahreïn, en Yémen ou le régime sanguinaire d’Assad en Syrie doivent arrêter leurs politiques expansionnistes. Le capitalisme mondial n’a aucun problème avec les mollahs dans ce cas-là.
Le vrai problème est le régime même des mollahs qui paupérise la population, prive les travailleurs de leurs droits les plus élémentaires, empêche les femmes de s’épanouir, réprime les militants politiques, exécute en nombre les prisonniers, inflige à la société les lois les plus archaïques islamiques, arrête les jeunes blogueurs pour atteinte aux fondements islamiques de l’État, supprime les allocations pour satisfaire les organismes mondiaux capitalistes, lapide les femmes et les hommes pour adultère, tue les homosexuels et fait mille et une autre choses qui ont créé autant de contradictions dans la société. Celles-là ne trouvent pas issue dans les négociations ou l’intervention des puissances mondiales. Elles exigent, pour être résolues, une vraie révolution d’en bas. Cette révolution ne sera pas victorieuse si les mouvements de femmes, de jeunes et de travailleurs ne jouent pas leur rôle pour fonder une société autogérée par des conseils de quartiers, d’usines, de jeunes et de femmes. Les ouvriers, femmes et jeunes en ont l’expérience historique. Ils ont bien formé ce genre de conseils avant que le régime du chah ne disparaisse et que le régime des mollahs ne s’accapare le pouvoir. Le vrai problème, c’est le régime de la République islamique d’Iran. Le vrai problème, ce n’est pas le nucléaire, que les ouvriers qui manifestent actuellement pour exiger le paiement des arriérés de salaire ne veulent d’ailleurs pas, que ce soit sous forme de bombe ou d’énergie.

Nader Teyf
Groupe Henry-Poulaille de la Fédération anarchiste