Boko Haram, Goodluck Jonathan et autres business

mis en ligne le 22 mai 2014
Il fallait donc que deux cents jeunes filles soient enlevées par des hommes armés pour que la bonne conscience occidentale se réveille. Si ces jeunes filles avaient été musulmanes, le résultat aurait-il été le même ? Peu probable. Car tout cela se passe au Nigeria, qui bénéficie d’une place particulière dans notre monde globalisé.

Mon pétrole au Nigeria
Entrons tout de suite dans le vif du sujet. Les prochaines élections présidentielles dans ce pays auront lieu le 14 février 2015. Pour se faire réélire, l’actuel président, Goodluck Jonathan, a besoin d’argent. Il suffit pour cela de détourner la vente du pétrole dans la poche de ses proches. C’est ce qu’il va faire au début du mois d’avril. C’est l’agence Reuters qui mange le morceau le 22 de ce même mois. Le pouvoir nigérian a attribué les droits de vendre le pétrole produit dans ce pays à des compagnies locales. Le montant de ce commerce est évalué à environ 40 milliards de dollars par an. On peut se poser la question de savoir comment vont réagir les géants pétroliers : Shell, Exon ou Total, qui vont voir cet argent leur filer entre les doigts. Dans ce contexte, cette affaire d’enlèvement d’écolières, le 14 avril, arrive au bon moment. Cela détourne l’attention et explique l’attentisme du président, qui ne réagira que le 8 mai en annonçant la fin du terrorisme au Nigeria !

Le terrorisme et la terreur
L’insécurité est endémique au Nigeria. La piraterie dans le golfe de Guinée est permanente. Ce n’est pas très surprenant car les majors pétrolières ont fait tout ce qu’il fallait pour empêcher les pêcheurs locaux de travailler. Ceux-ci, comme en Somalie, se sont reconvertis dans des activités plus risquées mais plus lucrative. Il semble que nombre de marins les aient rejoints. Il est nécessaire de citer l’excellent travail de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. « La moitié de la population de l’Afrique de l’Ouest vit au Nigeria, et le pays fournit plus de 50 % du PIB de la région. Les produits pétroliers sont à l’origine de 95 % des recettes en devises étrangères du pays et de 80 % de ses recettes budgétaires. L’industrie pétrolière, qui constitue le premier secteur d’activité de la région, est menacée depuis vingt ans par la criminalité transnationale organisée. Malgré des recettes pétrolières s’établissant à 52 milliards de dollars US en 2011, le Nigeria demeure un des pays les plus pauvres de la planète et se classe en 156e position, sur 187 pays, du point de vue du développement humain. Les revenus du pays seraient beaucoup plus élevés si l’industrie pétrolière ne subissait en permanence les attaques de groupes criminels. » Que cet office ne fasse pas le lien entre la pauvreté et la richesse est assez étonnant. Pour ceux qui seraient intéressés, je ne peux que leur conseiller d’aller lire sur le site Web de cet office ce passionnant rapport. Mais rien n’est-il fait pour lutter contre cette situation ? Si, bien sûr ! Un tas d’argent est dépensé. Dans Libération du 13 mai 2014, un spécialiste avance un chiffre. Selon lui, 23 % du budget (29 milliards de dollars) de l’État nigérian serait affecté à la lutte antiterroriste. Il ajoute, avec regrets semble-t-il, que la police et l’armée sont mal équipées, voire parfois pas du tout. Les généraux en charge se goinfrant dans la capitale. Pourquoi voulez-vous que cela change ?

Et Boko Haram ?
C’est le produit de la grande pauvreté, si ce n’est de la misère, qui règne dans le nord du pays où ce groupe sévit. Une insécurité permanente produite par des forces de l’ordre sous-payées qui se servent sur la bête. À cela se rajoute la division entre les chrétiens et les musulmans. Le Nord est fortement musulman, alors que le Sud est essentiellement chrétien. L’élection contestée de Goodluck Jonathan, chrétien du Sud, a fait grandir les rancœurs contre cette partie du pays bien plus riche. Pour couronner le tout, les États du nord du pays ont imposé la Charia, la loi islamique. À cela il faut encore ajouter la difficulté de se marier pour les jeunes hommes, le montant attendu de la dot étant trop élevé. Le magazine Jeune Afrique rapporte ceci : « Ismail Ibrahim, enseignant célibataire âgé de 25 ans, n’a pas les moyens de se marier en raison de la dot. À Kano, son montant varie traditionnellement de 10 000 à 20 000 nairas (63 à 126 dollars). » Tous les ingrédients sont là. Pauvreté, religion exacerbée, des armes en nombre et des femmes potentiellement rassemblées dans une école, tout est là pour faire un grand coup médiatique. Cela a marché.
Ce ne sont pas seulement deux centaines de jeunes filles qui sont prises en otages, c’est tout un peuple qui l’est. 42 % de la production pétrolière nigériane va aux États-Unis… Cela vaut bien le coup de fermer les yeux !