Débordements à Gaza : petit retour sur les cinquante jours qui ont ensanglanté la Palestine

mis en ligne le 25 septembre 2014
L’État qui a lancé cette opération l’a dénommée « Bordure protectrice » ; le cynisme israélien est toujours aussi flamboyant !
Au final, entre le 8 juillet et le 27 août 2014, l’agression israélienne aura fait d’énormes dégâts, des crimes et des massacres envers les populations palestiniennes :
– Cinquante et un jours de bombardements intensifs sur Gaza.
– Plus de 5 000 raids aériens.
– 2 168 Palestiniens tués, dont 519 enfants, 297 femmes, 506 combattants palestiniens, ainsi que 13 internationaux.
– 10 895 Palestiniens blessés dont 3 306 enfants, 2 114 femmes.
– 475 000 réfugiés déplacés, soit plus de 25 % de la population.
– Près de 55 000 habitations, des écoles (dont des écoles de l’UNRWA), des hôpitaux, des mosquées et des ambulances, ont été détruits ou endommagés.
– 373 000 enfants auront besoin de soutien psychologique.
– Une centrale électrique détruite.
– 1,5 million d’habitants sans accès à l’eau potable.
– L’annonce « d’une catastrophe sanitaire de grande ampleur », selon les termes de l’ONU. Et, selon des estimations provisoires palestiniennes, la guerre a causé plus de 6 milliards de dollars de dégâts dans la bande de Gaza.
On mettra rapidement en regard (si l’on peut dire) les soixante-douze Israéliens tués, dont six civils, sur la même période, ainsi que vingt-cinq Palestiniens accusés de collaboration exécutés sommairement par le Hamas, dont deux femmes.
Revenons sur le contexte et les raisons invoquées pour cette opération. Côté israélien, on invoque l’enlèvement de trois jeunes colons israéliens près d’Hébron en Cisjordanie le 13 juin 2014, et c’est l’enchaînement. Une organisation, l’État islamique branche Palestine-Cisjordanie, dont on n’entendra plus jamais parler, revendique l’enlèvement.
Dès le 14 juin, un bouclage d’Hébron et des alentours est imposé avec un millier de soldats israéliens. Plusieurs centaines de Palestiniens sont arrêtés, dont de nombreux militants du Hamas de Cisjordanie, qui est accusé par le gouvernement israélien d’être responsable de l’enlèvement. Plus de dix Palestiniens sont tués par l’armée en Cisjordanie – à leur sujet, l’Autorité palestinienne dénoncera des « meurtres de sang-froid ». Le 19 juin, l’armée israélienne lance des raids aériens dans la bande de Gaza.
Le 24 juin, le chef du Hamas affirme ne rien savoir sur les trois jeunes colons enlevés. Le lendemain, c’est une douzaine de raids aériens israéliens sur la bande de Gaza, de nouvelles arrestations, de nouveaux tués palestiniens. Au 1er juillet, l’armée israélienne a arrêté 420 Palestiniens en Cisjordanie, dont 305 membres du Hamas, et fouillé 2 200 bâtiments. Cinq Palestiniens ont été tués. En réaction, le Hamas envoie des roquettes sur Israël, plus de 200 au 20 juin, sans faire de victimes.
Le 2 juillet, le corps de Mohammad Abou Khdeir, 16 ans, kidnappé dans le quartier de Chouafat à Jérusalem-Est, est découvert. L’adolescent a été torturé et brûlé vif. Le 5 juillet, les Palestiniens d’Israël manifestent.
Le 7 juillet, des drones attaquent la bande de Gaza, faisant cinq morts, dont deux civils. Durant la nuit, l’armée israélienne lance des dizaines de raids dans la bande de Gaza. Plusieurs enfants sont tués.
Le président palestinien demande l’arrêt immédiat de cette nouvelle offensive et demande l’intervention de la communauté internationale pour arrêter l’escalade de la violence. Le ministre de la Défense, Moshé Yaalon, indique poursuivre son offensive, et ce pour que le Hamas paye un prix très élevé.
Avec la mobilisation de 18 000 réservistes supplémentaires, l’armée israélienne porte ses effectifs mobilisables à 65 000 soldats. Du côté palestinien, l’ensemble des groupes de résistance armée s’engage dans l’offensive avec les brigades Izz al-Din al-Qassam, branche armée du Hamas, la Force de sécurité du Hamas, milice policière du Hamas, les brigades d’Abou Ali Moustapha, branche armée du Front populaire de libération de la Palestine dans les territoires occupés, les brigades Al-Qods, aile armée du Jihad islamique palestinien, et enfin les brigades Al-Nasser Salah al-Deen, aile militaire du Comité de résistance populaire. Ensemble, ils regroupent environ plus de 27 000 combattants.

Une vision différente des événements
Bien sûr, il existe une autre chronologie de ces événements, qu’on peut faire remonter à mars 2014. L’année précédente, le nombre des colonies a doublé. Cela n’est pas acceptable et, dans ces conditions, les négociations de paix ne peuvent continuer. Le président de l’Autorité palestinienne menace de se tourner vers les institutions internationales si les propositions des États-Unis pour un accord-cadre ne répondent pas aux questions fondamentales que sont le gel de la colonisation israélienne et la libération des prisonniers politiques palestiniens. En réponse, le ministère de la Défense israélien a approuvé les projets de construction de 2 269 nouveaux logements dans six colonies de Cisjordanie occupée. Entre juillet 2013, début des dernières négociations, et le 16 mars 2014, ce sont 10 509 constructions de logements dans les colonies, toutes illégales, et l’assassinat de 56 Palestiniens par les forces d’occupation israéliennes.
Une des clauses des négociations est la libération de plusieurs contingents de prisonniers palestiniens. Le 28 mars, le gouvernement israélien revient sur son engagement de libérer un quatrième contingent de prisonniers palestiniens. En réaction, la direction palestinienne décide de relancer ses démarches pour adhérer aux différentes agences de l’ONU et aux traités internationaux dont la Quatrième Convention de Genève sur la protection des civils.
Le 8 avril, John Kerry, le secrétaire d’État américain, accuse Israël d’avoir entravé le processus de paix.
Le 10 avril, Israël gèle les transferts des taxes collectées pour le compte de l’Autorité nationale palestinienne, qui s’élèvent en moyenne à environ 80 millions d’euros par mois et représentent plus des deux tiers de ses recettes budgétaires propres.
Le 11 avril, la Palestine devient partie aux quatre Conventions de Genève et au premier protocole additionnel.
Paris déclare « regretter » la décision de geler les transferts des taxes et l’Union européenne demande à Israël de « revenir » sur ses mesures de rétorsions contre les Palestiniens.
Le 23 avril, les Palestiniens ont relancé leurs efforts de réconciliation nationale. Un gouvernement d’union nationale doit se mettre en place. Cet accord interpalestinien est salué par l’Union européenne, et la France se dit prête à travailler avec le nouveau gouvernement palestinien s’il soutient le processus de paix. Les Nations unies soutiennent l’unité palestinienne sur la base de la reconnaissance d’Israël et de la non-violence. Mais Israël suspend toute négociation.
Le 22 mai, l’Union européenne interdit l’importation de volailles et d’œufs des colonies en Cisjordanie occupée, dont Jérusalem-Est.
L’administration Barak Obama a annoncé vouloir « travailler » avec le gouvernement d’union palestinien mis en place. Netanyahu se dit « trahi et trompé ».
Le 5 juin, c’est un nouveau appel d’offres pour la construction de 3 000 nouveaux logements en Cisjordanie occupée. Pour Saëb Erekat, ancien négociateur palestinien, « il est temps qu’Israël rende des comptes devant les organisations internationales de ses crimes de guerre, au premier rang desquels la colonisation ». Paris et l’Union européenne condamnent ce nouveau appel d’offres israélien. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, exhorte Israël à suspendre la colonisation et à respecter la loi internationale.
Le 8 juin 2014, Israël et l’Union européenne signent un accord de coopération scientifique qui permet à Israël de participer au programme scientifique de l’Union européenne « Horizon » 2020.
Le 10 juin, le Parlement israélien élit le président d’Israël, Reuven Rivlin. Il est opposé à la solution de deux états israélien et palestinien et se déclare partisan acharné de la colonisation. Trois jours plus tard, trois jeunes colons israéliens sont portés disparus… On le voit, cette chronologie donne une toute autre lecture !

Des intérêts divergents
Les enjeux sont évidemment bien différents de part et d’autre.
Pour Israël, il s’agit de changer les positions internationales permises par l’accord pour un gouvernement d’union nationale palestinien, afin de pouvoir continuer la colonisation, mais aussi de trouver des occasions de tester sa technologie et de nouvelles armes. Cependant, au niveau intérieur, s’il y a eu un soutien de la population juive jusqu’à 95 % pendant les bombardements, la cote de Netanyahu est en baisse. Reste à trouver une opposition capable d’enrayer la dérive vers l’ultra-droite des politiques israéliens et d’une part de la population.
Pour les Palestiniens, il s’agit d’obtenir des négociations qui permettent la levée du blocus de Gaza, l’arrêt de la colonisation et la libération des prisonniers palestiniens. Pour le Hamas, et le Jihad islamique dans une moindre mesure, il s’agit de rentrer dans le jeu des négociations ; pour l’Autorité palestinienne, il s’agit de retrouver une entrée dans la bande de Gaza.
Le bilan humain aura été désastreux et ce n’est pas fini. Le bilan politique est mitigé, car s’il y a bien eu une levée partielle du blocus de Gaza, rien ne dit combien de temps cette levée durera et dans quelle mesure de nouvelles négociations auront lieu comme prévues. Par contre, pour Jérusalem-Est, pour la Cisjordanie et pour les prisonniers palestiniens détenus arbitrairement, aucune amélioration n’a été obtenue.
Les médias français ont constamment parlé de la guerre d’Israël contre le Hamas. Ce qualificatif est évidemment erroné, mais il est à l’image des capacités militaires et du nombre des victimes, il est asymétrique. Ne serait-ce que par les victimes.
Mais l’objectif reste toujours de détruire, non le Hamas, mais le rêve d’un futur État palestinien. En mettant en avant la confrontation militaire, Israël écarte ceux qui n’y prennent pas part comme l’Autorité palestinienne, en créant les conditions d’une reprise de conflictualité entre Autorité palestinienne et Hamas.
Ce serait à l’Autorité palestinienne que serait confié le contrôle des frontières de Gaza, donc l’application du blocus, même négocié. Gageons qu’il y a là une source de conflits inter-Palestiniens, à terme. Sauf si un hypothétique processus démocratique se met en place, redistribuant les responsabilités dans les territoires palestiniens.
De toute façon, on l’a vu jusqu’à présent, pour Israël, il n’y a jamais d’interlocuteur valable pour les négociations de paix. Le Hamas est jugé terroriste car dans sa charte (qui date de 1988) est écrit qu’il ne reconnaît pas l’État d’Israël. Ce texte se situe au même niveau que la charte du Likoud, de 1999, qui appelle à la colonisation de tout Israël, Judée, Samarie et Gaza. Pour autant, l’un comme l’autre négocient, comme ce fut le cas en août en Égypte. De plus, le Hamas, en se présentant aux élections palestiniennes, le 25 janvier 2006, l’a fait dans le cadre de l’Autorité palestinienne, donc des accords d’Oslo, jusqu’à cette date dénoncés car négociés avec Israël. L’Autorité palestinienne ou l’OLP sont eux aussi rejetés car ils menacent de recourir aux instances internationales pour faire respecter les accords internationaux. Au mieux, ils sont baladés dans des négociations sans fins, et les conditions ne sont jamais respectées par Israël.
Nous verrons fin septembre, comment reprendrons les négociations du cessez-le-feu, suites du 26 août 2014.