Révolution sociale au Kurdistan

mis en ligne le 2 octobre 2014
Comme la perspective de l’indépendance kurde devient de plus en plus imminente, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) se transforme en une force pour la démocratie radicale.
Exclus des négociations et trahis par le traité de Lausanne de 1923 par les Alliés de la Première Guerre mondiale, après leur avoir promis leur propre État, pendant le découpage de l’Empire ottoman, les Kurdes sont la plus grande minorité apatride au monde. Mais aujourd’hui, à l’exception de l’Iran, il ne reste plus que quelques obstacles à l’indépendance kurde dans le nord de l’Irak. La Turquie et Israël ont promis un soutien, tandis que les mains de la Syrie et de l’Irak sont liées par la progression rapide de l’État islamique (anciennement ISIS).
Avec le drapeau kurde flottant haut sur tous les bâtiments officiels et les Peshmergas stoppant les islamistes, avec l’aide de l’armée américaine, le sud du Kurdistan (Irak) rejoint l’ouest du Kurdistan (Syrie) en tant que deuxième région autonome de facto du nouveau Kurdistan. Ils ont déjà commencé à exporter leur propre pétrole et ont repris Kirkouk riche en pétrole, ils ont leur propre parlement laïque élu et une société pluraliste, ils ont pris leur ticket pour le concert des Nations à l’ONU, et il n’y a rien que le gouvernement irakien puisse faire – ou les États-Unis sans le soutien d’Israël – pour les arrêter.
La lutte des Kurdes, cependant, est loin d’être nationaliste. Dans les montagnes au-dessus d’Erbil, dans l’ancien cœur du Kurdistan cheminant à travers les frontières de la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, une révolution sociale est née.

La théorie du confédéralisme démocratique
Au tournant du siècle, alors que Murray Bookchin renonçait (pour raisons de santé) à essayer de revitaliser le mouvement anarchiste contemporain avec sa philosophie de l’écologie sociale, le fondateur et leader du PKK Abdullah Öcalan était arrêté au Kenya par les autorités turques et condamné à mort pour trahison. Dans les années qui suivirent, le vieil anarchiste avait gagné un disciple improbable avec ce militant endurci, dont l’organisation paramilitaire – le Parti des travailleurs du Kurdistan – est répertoriée comme organisation terroriste menant une guerre violente de libération nationale contre la Turquie.
Dans ses dernières années à l’isolement, tout en dirigeant le PKK de derrière les barreaux et alors que sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité, Öcalan a adopté une forme de socialisme libertaire si obscure que peu d’anarchistes en ont entendu parler : le municipalisme libertaire de Bookchin. Öcalan a ensuite modifié, affiné et rebaptisé la vision de Bookchin en « confédéralisme démocratique », avec la conséquence que le Groupe des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan ou KCK), expérience territoriale du PKK pour une société libre et de démocratie directe, a été en grande partie conservé dans le secret pour la grande majorité des anarchistes, et encore plus pour le grand public.
Bien que la conversion d’Öcalan ait été le point de départ, une renaissance plus large de la littérature libertaire de gauche et indépendante souffle sur les montagnes et passe de mains en mains après l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990. « [Ils] ont analysé des livres et des articles écrits par les philosophes, les féministes, (néo)anarchistes, communistes libertaires, communautaristes et écologistes sociaux. C’est ainsi que des écrivains comme Murray Bookchin [et d’autres] sont intervenus dans leur réflexion », déclare le militant kurde Ercan Ayboga.
Öcalan a entrepris, dans ses écrits de prison, un réexamen et une autocritique approfondie de la terrible violence, le dogmatisme, le culte de la personnalité et de l’autoritarisme, qu’il avait favorisé : « Il est devenu clair que notre théorie, le programme et la pratique des années 1970 ne produisaient rien à part le séparatisme futile et la violence et, pire encore, le nationalisme que nous aurions dû rejeter, nous a infesté. Même si nous nous y sommes opposés en principe et dans la rhétorique, nous l’avons néanmoins accepté comme inévitable. » Une fois que le leader incontesté Öcalan a estimé que « le dogmatisme se nourrit de vérités abstraites qui deviennent des façons habituelles de penser. Dès que vous mettez ces vérités générales en mots vous vous sentez comme un grand prêtre au service de son dieu. C’est l’erreur que j’ai faite. »
Öcalan, athée, a finalement écrit en tant que libre-penseur, détaché de la mythologie marxiste-léniniste. Il a indiqué qu’il cherchait une « alternative au capitalisme » et un « remplacement du modèle qui s’est effondré du “socialisme réellement existant” », quand il est s’est intéressé à Bookchin. Sa théorie du confédéralisme démocratique s’est développée à partir d’une combinaison d’inspirations des intellectuels communautaristes, « des mouvements comme les zapatistes », et d’autres facteurs historiques de la lutte dans le nord du Kurdistan (Turquie). Öcalan se proclame élève de Bookchin, et après une correspondance e-mail qui a échoué avec le vieux théoricien, qui était, à son grand regret, trop malade pour un échange sur son lit de mort en 2004, le PKK l’a célébré comme « un des plus grands spécialistes des sciences sociales du XXe siècle » à l’occasion de la mort de Bookchin deux ans plus tard.

La pratique du confédéralisme démocratique
Le PKK a apparemment repris, après leur chef, non seulement l’adoption de la marque spécifique de Bookchin de l’éco-anarchisme, mais l’intériorisation active de la nouvelle philosophie dans sa stratégie et sa tactique. Le mouvement a abandonné sa guerre sanglante de révolution stalinienne/maoïste et les tactiques de terreur qui l’accompagnent, et a commencé une stratégie largement non violente visant à une plus grande autonomie régionale.
Après des décennies de trahison fratricide, de cessez-le-feu sans lendemain, les arrestations arbitraires et la reprise des hostilités le 25 avril de cette année, le PKK a annoncé un retrait immédiat de ses forces de Turquie et leur déploiement dans le nord de l’Irak, mettant ainsi fin à un conflit de trente ans avec l’État turc. Le gouvernement turc s’est engagé simultanément dans un processus de réforme constitutionnelle et juridique visant à inscrire les droits humains et culturels de la minorité kurde à l’intérieur de ses frontières. Ce fut le dernier volet des négociations tant attendues entre Öcalan et le Premier ministre turc, Erdogan, dans le cadre d’un processus de paix qui a commencé en 2012. Il n’a pas eu de violence du PKK depuis un an et des appels raisonnables pour que le PKK soit retiré de la liste des organisations « terroristes » sont en cours.
Il reste, cependant, un côté sombre au PKK – des pratiques autoritaires qui vont mal à côté de sa nouvelle rhétorique libertaire. Collecte de fonds par le trafic d’héroïne, l’extorsion, le racket et la conscription coercitive générale ont été revendiqués ou attribués à ses branches à différents moments. Si cela est vrai, aucune excuse ne peut être apportée pour ce type d’opportunisme de voyou, malgré l’ironie évidente que l’État génocidaire turc lui-même est en grande partie financé par un monopole lucratif sur l’exportation légale vers l’Ouest des opiacés « médicaux » cultivés par l’État et qui a rendu possible sa conscription, la fiscalité pour un budget de contre-terrorisme à grande échelle et des forces armées surdimensionnées (la Turquie possède la deuxième armée de l’Otan après les États-Unis).
Comme c’est l’hypocrisie habituelle de la guerre contre le terrorisme, lorsque les mouvements de libération nationale imitent la brutalité de l’État, ce sont toujours les absents qui sont accusés de terroristes. Öcalan lui-même décrit cette période honteuse comme celle des « gangs au sein de notre organisation et du banditisme à visage découvert, [qui] ont organisé, des opérations désordonnées inutiles, et envoyé des jeunes gens à la mort en masse. »

Les courants anarchistes dans la lutte
Comme un signe supplémentaire qu’il abandonne ses comportements marxistes-léninistes, le PKK a récemment commencé à lancer des appels explicites à l’internationalisme anarchiste, au point d’animer un atelier lors des Rencontres internationales anarchistes, à Saint-Imier, en Suisse, en 2012, ce qui a conduit à de la confusion, au désarroi et des débats sur internet, mais qui est passé inaperçu de la presse anarchiste au sens large.
Janet Biehl, la veuve de Bookchin, est l’une des rares anarchistes occidentales à étudier le KCK sur le terrain, et a beaucoup écrit au sujet de ses expériences sur le site New Compass, elle publie également des entretiens avec des radicaux kurdes impliqués dans le fonctionnement au jour le jour de ses assemblées démocratiques et des structures fédérales, ainsi que la traduction et la publication de la première étude anarchiste sous forme de livre sur le sujet : « L’autonomie démocratique dans le nord du Kurdistan : le Mouvement des conseils, libération de genre, et écologie » (2013).
La seule autre voix anarchiste anglophone est le Forum anarchiste du Kurdistan (KAF), un groupe pacifiste de Kurdes irakiens vivant en Europe qui prétend ne pas « avoir de liens avec d’autres groupes de gauche. » Tout en soutenant une fédération du Kurdistan, le KAF déclare qu’ils « ne supporteront le PKK que quand il abandonnera totalement la lutte armée, s’engagera dans l’organisation de mouvements populaires de masse et de base dans le but de répondre aux demandes sociales de la population, dénoncera et démantèlera les modes centralisés et hiérarchiques de lutte et, à la place, se tournera vers des groupes locaux autonomes fédérés, mettra fin à toutes les relations et les tractations avec les États du Moyen-Orient et de l’Occident, dénoncera la politique du pouvoir charismatique, et les changera pour de l’anti-étatisme et de l’anti-autoritarisme, alors seulement nous serons heureux de coopérer pleinement avec eux ».

Suivre Bookchin à la lettre
Aujourd’hui (mis à part le pacifisme) on pourrait ne plus en être loin. Le PKK/KCK semble suivre l’écologie sociale de Bookchin à la lettre, avec presque tout y compris leur participation contradictoire dans l’appareil d’État par les élections, comme prescrit dans la littérature.
Comme l’écrivent Joost Jongerden et Ahmed Akkaya, « le travail de Bookchin fait la distinction entre deux idées de la politique, le modèle hellénique et le modèle romain », qui est la distinction entre la démocratie directe et la démocratie représentative. Bookchin voit la forme de néoanarchisme comme une renaissance pratique de l’ancienne révolution athénienne. Le « modèle d’Athènes existe en tant que contre-courant souterrain trouvant son expression dans la Commune de Paris de 1871, les conseils (soviets) dans le printemps de la révolution en Russie en 1917, et la révolution espagnole en 1936. »
Le communalisme de Bookchin contient une approche en cinq étapes :
1. L’acquisition de pouvoir (empowerment) par les municipalités existantes par le biais de la loi pour tenter de localiser le pouvoir de décision.
2. Démocratiser les municipalités à travers des assemblées populaires.
3. Unifier les municipalités « dans des réseaux régionaux et des confédérations plus larges… travailler pour remplacer progressivement les États-nations par des confédérations municipales », tout en assurant que « les niveaux de la confédération “supérieurs” ont des fonctions essentiellement coordinatrices et administratives. »
4. « Unifier les mouvements sociaux progressistes » en renforçant la société civile et en établissant « un point focal commun pour les initiatives et les mouvements de tous les citoyens » : les assemblées. Cette coopération n’est « pas [idéalisée] dans le sens nous nous attendrions à voir toujours un consensus harmonieux, mais – au contraire – parce que nous croyons au désaccord et à la délibération. La société se développe à travers des débats et des conflits ». En outre, les assemblées doivent être laïques, « lutt[ant] contre les influences religieuses sur la politique et le gouvernement » et c’est une « arène de la lutte de classe ».
5. Afin de réaliser leur vision d’une « société sans classes, basée sur le contrôle politique collectif des moyens de production socialement importants », la « municipalisation de l’économie » et une « allocation confédérale des ressources pour assurer l’équilibre entre les régions » sont mises en place. En termes simples, cela équivaut à une combinaison de l’autogestion et de la planification participative pour répondre aux besoins sociaux : économie classique anarchiste.
Comme le dit Eirik Eiglad, l’ancien rédacteur en chef de Bookchin et analyste KCK, il donne une importance particulière à la nécessité de combiner les idées des mouvements féministes et écologistes progressistes ainsi que celles des nouveaux mouvements urbains et les initiatives des citoyens, ainsi que des syndicats et des coopératives locales et collectifs… Nous croyons que les idées communalistes d’une démocratie d’assemblées contribueront à rendre possible de façon progressive cet échange d’idées sur une base plus permanente, et avec des conséquences politiques plus directes. Pourtant, le communalisme n’est pas seulement un moyen tactique d’unir ces mouvements radicaux. Notre appel pour une démocratie municipale est une tentative de mettre la raison et de l’éthique à l’avant-garde des débats publics.
Pour Öcalan, le confédéralisme démocratique signifie une « société démocratique, écologique, sexuellement libérée », ou simplement « la démocratie sans l’État ». Il oppose explicitement la « modernité capitaliste » à la « modernité démocratique », dans laquelle les anciens « trois éléments de base : le capitalisme, l’État-nation et l’industrialisme » sont remplacés par une « nation démocratique, l’économie communale, et de l’industrie écologique ». Cela implique « trois projets : l’un pour la république démocratique, l’une pour le confédéralisme démocratique et une autonomie démocratique ».
Le concept de « république démocratique » se réfère essentiellement à l’obtention de la citoyenneté longtemps niée et des droits civils pour les Kurdes, y compris la capacité de parler et d’enseigner librement leur propre langue. L’autonomie démocratique et le confédéralisme démocratique font référence aux « capacités autonomes des personnes, une forme plus directe, moins représentative de la structure politique ».
Pendant ce temps, Jongerden et Akkaya notent que « le modèle de municipalisme libre vise à réaliser une approche du bas vers le haut, un corps administratif participatif, du niveau local au niveau provincial ». Le « concept de citoyen libre (ozgur yarttas) [est] son point de départ », qui « comprend les libertés civiles fondamentales, comme la liberté d’expression et d’organisation ». L’unité de base de ce modèle est l’assemblée de quartier ou les « conseils », comme ils sont désignés de manière interchangeable.
Il y a une participation populaire dans les conseils, y compris des personnes non-kurdes, et tandis que des assemblées de quartier sont fortes dans les différentes provinces, « à Diyarbakir, la plus grande ville dans le Kurdistan turc, il y a des assemblées presque partout ». Ailleurs, « dans les provinces de Hakkari et Sirnak… il y a deux autorités parallèles [le KCK et l’État], dont la structure confédérale démocratique est plus puissante dans la pratique ». Le KCK en Turquie « est organisé au niveau du village (köy), du quartier urbain (mahalle), du district (ilçe), ville (kent), et la région (bölge), qui est appelée Kurdistan Nord ».
Le niveau le « plus élevé » de la fédération dans le nord du Kurdistan, le DTK (Congrès de la Société Démocratique) est un mélange de délégués nommés par leurs pairs ayant des mandats révocables, qui représentent 60 %, et des représentants de « plus de cinq cents organisations de la société civile, des syndicats et des partis politiques », qui représentent 40 %, dont environ 6 % est « réservé aux représentants des minorités religieuses, des universitaires ou d’autres personnes avec une expertise particulière ».
La proportion de 40 % qui sont en même temps délégués par démocratie directe, les groupes de la société civile non étatiques par rapport à ceux qui sont des bureaucrates non élus de partis ou des élus n’est pas claire. Le chevauchement des individus issus des mouvements indépendants kurdes et des partis politiques kurdes, ainsi que l’intériorisation de nombreux aspects de la procédure de démocratie directe par ces partis, complique encore la situation. Malgré tout, le consensus informel parmi les témoins est que la majorité de la prise de décision est directement démocratique à travers un arrangement ou un autre ; que la majorité de ces décisions sont prises à la base ; et que les décisions sont exécutées à partir du bas vers le haut selon la structure fédérale.
Parce que les assemblées et le DTK sont coordonnées par le KCK, illégal, dont le PKK fait partie, ils sont désignés comme « terroristes » par la Turquie et la soi-disant communauté internationale (UE, États-Unis et autres), par association. Le DTK sélectionne également les candidats du BDP, pro-kurde (Parti pour la Paix et la Démocratie) pour le Parlement turc, qui propose à son tour une « autonomie démocratique » pour la Turquie, dans un certain type d’une combinaison de la démocratie représentative et directe. En accord avec le modèle fédéral, il propose la création d’environ 20 régions autonomes qui seraient directement auto gouvernées (à la manière anarchiste, pas selon le modèle suisse) en ce qui concerne « l’éducation, la santé, la culture, l’agriculture, l’industrie, les services sociaux et la sécurité, les questions des femmes, la jeunesse et les sports », l’État continuant de s’occuper des « affaires étrangères, des finances et de la défense ».

La révolution sociale prend son envol
Sur le terrain, en tout cas, la révolution a déjà commencé. Dans le Kurdistan turc, il y a un mouvement éducatif indépendant d’« académies » qui organisent des forums de discussion et des séminaires dans les quartiers. Il y a la culture de rue, où Abdullah Demirbas, le maire de la municipalité de Sur à Amed, célèbre « la diversité des religions et des systèmes de croyance », déclarant que « nous avons commencé à restaurer une mosquée, une église catholique chaldéenne-araméenne, une Église arménienne orthodoxe, et une synagogue juive ». Ailleurs, Jongerden et Akkaya rapportent : « Les municipalités DTP ont initié un ‘’service de la municipalité multilingue’’, suscitant un vif débat. Les textes de la municipalité ont été érigés en kurde et en turc, et les commerçants locaux ont emboîté le pas. »
La libération des femmes est poursuivie par les femmes elles-mêmes à travers des initiatives des Conseil des femmes de la DTK, l’application de nouvelles règles comme le « quota de genre de 40 % » dans les assemblées. Si un fonctionnaire bat sa femme, son salaire est directement transféré à la victime pour assurer sa sécurité financière et elle l’utilise comme elle l’entend. « À Gewer, si le mari prend une deuxième épouse, la moitié de sa succession va à sa première épouse. »
Il existe des « villages de la paix », des communautés nouvelles ou transformées en coopératives, la mise en œuvre de leur propre programme entièrement en dehors des contraintes logistiques de la guerre kurde-turc. La première communauté a été construite dans la province de Hakkari, limitrophe de l’Irak et de l’Iran, où « plusieurs villages » ont rejoint l’expérience. Dans la province de Van, un « village écologique des femmes » est en cours de construction pour les victimes de violence domestique, se suffisant à lui-même « pour tout ou presque toute l’énergie nécessaire. »
Le KCK tient des réunions biennales dans les montagnes avec des centaines de délégués des quatre pays, avec la menace de l’État islamique dans les régions autonomes du Kurdistan sud et ouest en haut de leur ordre du jour. Les partis iraniens et syriens affiliés au KCK, le PJAK (Parti pour une vie libre au Kurdistan) et le PYD (Parti d’union démocratique) promeuvent aussi le confédéralisme démocratique. Le parti irakien KCK, les PCDK (Parti pour une solution démocratique au Kurdistan) est relativement insignifiant, avec la domination du Parti centriste démocratique du Kurdistan et de son chef Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, dont la dépénalisation est récente et qui commence à le tolérer.
Même dans les zones montagneuses au nord du Kurdistan irakien, où la majorité des guérilleros du PKK et du PJAK vivent, la littérature radicale et les assemblées se développent, avec l’intégration de nombreux Kurdes des montagnes, après des décennies de déplacement. Au cours des dernières semaines, ces militants sont descendus des montagnes au nord pour combattre aux côtés des Peshmergas irakiens contre ISIS, sauvant 20 000 Yazidi et chrétiens des montagnes du Sinjar et recevant la visite de Barzani qui affichait publiquement sa gratitude et sa solidarité, au grand embarras de la Turquie et des États-Unis. Le PYD syrien a suivi l’exemple du Kurdistan turc dans la transformation révolutionnaire de la région autonome sous son contrôle depuis le début de la guerre civile. Après les « vagues d’arrestations » sous la répression baasiste, avec « 10 000 personnes [mises] en prison, parmi lesquels les maires, les dirigeants locaux du parti, des députés, des cadres et militants… les forces kurdes du PYD ont évincé le régime Baas du nord de la Syrie, ou l’Ouest Kurdistan, [et] des conseils locaux surgi partout ». Des comités d’autodéfense ont été improvisés pour assurer « la sécurité dans le sillage de l’effondrement du régime baasiste » et « la première école d’enseignement de la langue kurde » a été établie alors que les conseils intervenaient dans la répartition équitable du pain et de l’essence.
Dans le Kurdistan turc, syrien et dans une moindre mesure dans le Kurdistan irakien, les femmes sont désormais libres de se dévoiler et fortement encouragées à participer à la vie sociale. Les anciens liens féodaux sont brisés, les gens sont libres de suivre une religion ou aucune, et les minorités ethniques et religieuses vivent ensemble paisiblement. S’ils sont capables de confiner le nouveau califat, l’autonomie du PYD au Kurdistan syrien et l’influence du KCK au Kurdistan irakien pourraient être le ferment d’une explosion encore plus profonde de la culture et des valeurs révolutionnaires. Le 30 juin 2012, le Comité national de coordination pour le changement démocratique (NCB), la coalition de gauche révolutionnaire la plus large en Syrie, dont le PYD est le groupe principal, a aussi adopté « le projet d’autonomie démocratique et le confédéralisme démocratique comme modèle possible pour Syrie ».

La défense de la révolution kurde face à l’EI
La Turquie, pendant ce temps, a menacé d’envahir les territoires kurdes si « des bases terroristes sont mises en place en Syrie », alors que des centaines de combattants du KCK (y compris du PKK) de tout le Kurdistan traversent la frontière pour défendre Rojava (à l’Ouest) des avancées de l’État islamique. Le PYD affirme que gouvernement islamiste modéré de la Turquie est déjà engagé dans une guerre par procuration contre eux en facilitant le transfert de djihadistes internationaux à travers la frontière pour combattre aux côtés des islamistes.
Au Kurdistan irakien, Massoud Barzani, dont la guérilla a combattu aux côtés de la Turquie contre le PKK dans les années 1990, en échange de l’accès aux marchés occidentaux, a appelé à un « front kurde unifiée » en Syrie grâce à une alliance avec le PYD. Barzani a négocié la « convention d’Erbil » en 2012, la formation du Conseil national kurde, avec le chef du PYD Salih Muslim qui réaffirment que « tous les partis sont sérieux et déterminés à continuer à travailler ensemble. »
Pourtant, alors que l’étude et la pratique des idées socialistes libertaires, entre la direction et les échelons du KCK est sans aucun doute un développement positif, il reste à voir comment ils vont sérieusement renoncer à leur passé autoritaire sanglant. La lutte des Kurdes pour l’autodétermination et la souveraineté culturelle est une lueur d’espoir alors que les nuages sombres de l’État islamique s’amoncellent avec les guerres interfascistes sanglantes entre l’islamisme, le baasisme et le sectarisme religieux qui lui ont donné naissance.
Une révolution pan-kurde socialement progressiste et laïque avec des éléments socialistes libertaires, réunissant les Kurdes irakiens et syriens et redynamisant les luttes turques et iraniennes, peut encore être une perspective. Dans le même temps, ceux d’entre nous qui apprécient l’idée de civilisation doivent manifester leur gratitude pour les Kurdes, qui luttent jour et nuit contre les djihadistes du fascisme islamiste sur les lignes de front en Syrie et en Irak, défendant les valeurs démocratiques radicales de leur vie.
« Les Kurdes n’ont pas d’amis, sauf les montagnes. » (Proverbe kurde.)

Rafael Taylor
Journaliste socialiste et libertaire indépendant basé à Melbourne

Traduit par le secrétariat international de la Fédération anarchiste