Rijeka (Croatie) : à bas la répression politique

mis en ligne le 4 décembre 2014
Nous publions une interview exclusive avec des camarades de Rijeka – Zorana et Eugen – qui militent dans le groupe autonome Masa (Réseau anarchiste, Rijeka), membre de la Fédération pour l’anarchisme organisé (FAO).

Internationale des Fédérations anarchistes (IFA) : Quel était le but des protestations le 3 janvier 2013 à Rijeka ?

Zorana et Eugen : Les protestations sociales visaient à empêcher la poursuite de la privatisation des biens publics, et de ce qui nous appartient de droit comme aller dans les bois, sur les îles, à la plage ou boire de l’eau potable, etc. Que tout cela reste disponible pour tout le monde, pas seulement pour les propriétaires privés et leurs clients.

IFA : Pourquoi êtes-vous poursuivis par le bureau du procureur de Rijeka et de quoi êtes-vous accusés ?

Z. et E. : Nous sommes poursuivis pour coercition sur un fonctionnaire (Zorana et Eugen) et pour avoir provoqué des blessures graves à un agent de police – un doigt cassé (Eugen). C’est la version officielle, mais on nous fait payer pour la protestation, en faisant de notre affaire un exemple évident de la criminalisation de la protestation. En outre, l’accusation est mensongère, car la coercition a été utilisée exactement dans la direction opposée (des policiers contre nous), et ce, en opposition avec tous leurs protocoles, et le doigt cassé de l’agent est la preuve de la force avec laquelle nous avons été séparés et ligotés.

IFA : Quelle sanction risquez-vous en cas de perte du procès ?

Z. et E. : Deux ans de probation pour Zorana, huit mois de prison pour Eugen.

IFA : Quelles preuves ont-ils contre vous ?

Z. et E. : Les déclarations des policiers et des témoins civils, qui sont victimes de chantage de la police après avoir assisté à l’attaque de la police et essayé de s’échapper.

IFA : Sur quoi est basée votre défense et que s’est-il réellement passé ?

Z. et E. : La défense est basée sur le fait que nous ne pouvions pas savoir qu’il s’agissait de policiers, car ils ne se sont pas légalement présentés et identifiés. Les déclarations de la police et des témoins civils, qui auraient vu la présentation de policiers avant l’attaque contre nous, peuvent être réfutées par 10 à 15 personnes. Ce qui est également important, c’est que les agents de police ont empêché les prises de vue. Les gens essayaient de prendre des images avec les téléphones et les appareils photo et ils ont refusé de donner leur numéro de matricule. Il y a deux poids deux mesures.

IFA : À quel genre de violence policière avez-vous été confrontés lors de la manifestation et immédiatement après ?

Z. et E. : Lorsque la manifestation a commencé à se disperser, la police était sur le côté supérieur de la ville afin d’attraper les gens jugés criminels, comme nous l’avons appris au poste de police quand nous y avons été conduits. L’attaque a commencé sur nous à la fin de la manifestation quand nous sommes allés dans un café à proximité pour boire un verre. Ensuite, une personne, qui ressemblait à un hooligan, a d’abord attaqué Eugen par-derrière, déchirant sa veste, ne demandant pas une carte d’identité comme il l’a prétendu plus tard. Toute l’histoire se poursuit devant le café. Eugen est allé avec des inconnus dans une direction inconnue, et la police est arrivée en uniforme et a sauté au cou d’Eugen. Zorana s’est aussi retrouvée au sol. Nous avons été piétinés, séparé, attachés avec des menottes et emmenés de force au poste de police de Rijeka. Au poste de police, la violence psychologique s’est poursuivie avec une garde à vue de six heures. Après nous avoir demandé nos cartes d’identité, ils nous ont dit que nous avions été arrêtés pour avoir troublé la paix publique. Nous avons été relâchés et nous avons été accueillis par des amis et des camarades qui ont attendu tout le temps en solidarité face à la gare. Les jours suivants, la pression a continué par la provocation, la surveillance, le harcèlement des amis et voisins, comme cela se poursuit aujourd’hui. Ce que nous devons également mentionner, c’est que le journal local dans un article sur l’incident (Novi List) a complètement supprimé les déclarations de Zorana qui a été meurtrie et psychologiquement maltraitée pendant la garde à vue (avec, entre autres, l’offre de l’inspecteur de « le sucer »).

IFA : Comment comprendre la plainte par le bureau du procureur municipal de Rijeka ?

Z. et E. : C’est dans le prolongement de la pression (après la violence physique) de la justice, devant laquelle ils essaient de nous faire passer pour des criminels et des voyous sans cervelle, complètement étrangers aux raisons de la protestation sociale.

IFA : Êtes-vous, suite aux protestations et aux poursuites, victimes d’autre type de pressions au travail ou dans la vie privée ?

Z. et E. : Bien sûr, comme nous l’avons dit, la pression a continué avec des moyens formels et informels, les provocations, la surveillance, les visites aux voisins, les pressions sur les témoins, et diverses méthodes dans le but de briser la volonté et d’imposer un sentiment de peur et d’incertitude.

IFA : Depuis tous ces problèmes, quel est l’impact sur votre vie privée ?

Z. et E. : Ah, nous gérons une grande quantité de stress et de conflits interpersonnels, qui à la fin peut être canalisée dans plus de colère envers l’injustice sociale. Mais ce qui est important, c’est que nos relations sont devenues encore plus fortes. Tout cela a abouti à une plus grande détermination dans notre travail social et la conviction que nous agissons correctement.

IFA : Que pensez-vous de la criminalisation de la protestation sociale pour l’avenir des luttes sociales à Rijeka, en Croatie, et à l’étranger ?

Z. et E. : Les prochaines manifestations devront être déterminées, face aux politiciens, aux magnats et leur police. Ce qui signifie que la nouvelle génération de jeunes gens devra avoir plus de détermination pour protéger son droit d’exister, d’exprimer ses opinions et sa liberté d’action.

IFA : Comment les gens peuvent, en Croatie, en Slovénie ou ailleurs, vous aider et que cette aide n’aille pas dans le sens de l’humanitarisme mais dans celui de la solidarité politique ?

Z. et E. : Ne pas permettre ces cas de violence policière et les dénoncer, en parler, surtout quand vous commencez à entendre que nous sommes toujours en procès. Bien entendu, les choses ne s’arrêtent jamais, parce qu’il y aura des actions de collègues, amis et familles, au niveau régional et au-delà, qui viseront à faire pression sur le gouvernement, le pouvoir judiciaire et la police jusqu’à la fin de cette chasse aux sorcières dont nous sommes victimes en tant que militants sociaux avec une longue expérience de la lutte. Vous devez toujours souligner que la violence de la police n’est pas une « bavure » – c’est leur travail. L’État a le monopole de la violence, ce qui signifie qu’il est légitime quand il « frappe » et, quand les gens se défendent ou osent se battre, c’est un crime.

IFA : Avez-vous quelque chose à dire à la fin pour tous ceux qui lisent cette interview ?

Z. et E. : Oui, ne pas baisser la tête, ils voudraient nous priver de la parole, de la santé, du bonheur et en général de nos vies. Ce sont des gens comme nous, et ils manquent de légitimité et, évidemment, de la confiance des larges masses, comme nous le voyons par le taux de participation aux dernières élections aux comités locaux (auxquelles n’ont pas participé 90 % de la population), pour ne pas mentionner ce que la majorité ressent quand elle voit « la sécurité et la confiance » (inscription sur les véhicules de police). Merci à tous ceux qui croient que nous sommes ensemble dans ce combat, sans vous il serait difficile de continuer.


Fédération pour l’anarchisme organisé
Internationale des Fédérations anarchistes