Charlie, t’iras pas au paradis

mis en ligne le 14 janvier 2015
1761CharlieIls ont osé. Ces sinistres cons ont osé. J’éprouve toujours un certain plaisir à écrire dans Le Monde libertaire, une manière de jubilation, une façon de faire le vide et de goûter la solitude. Mais aujourd’hui c’est un peu plus compliqué. C’est compliqué et décousu parce que trois ou quatre salopards nous ont tué Cabu qui n’aurait jamais fait de mal à une mouche, nous ont tué Wolinski qui m’agaçait toujours un peu, nous ont tué Charb qui s’appelait Charbonnier comme tout le monde, nous ont tué Oncle Bernard qui était venu à Radio libertaire il y a quelques années déjà, et puis les autres aussi. Qui n’avaient rien demandé à personne.
C’est compliqué parce qu’il ne faut surtout pas sombrer dans l’islamophobie ambiante, parce que les moments de deuil sont plus propices à l’émotion – cette salope de peste émotionnelle – qu’à la raison, c’est compliqué parce qu’au bout du compte les larmes de crocodile de tous ceux et de toutes celles qui auraient bien aimé voir crever Charlie Hebdo n’ont pas fini de couler. Évidemment qu’il y en a qui se seraient réjouis de voir disparaître ce canard, pas comme ça j’imagine, mais ils auraient été bien contents quand même. N’oublions pas que Charlie est né des cendres de Hara-Kiri, lui-même étranglé, après moult tracasseries, par le pouvoir démocratique de l’époque, bien sûr obsédé de la totale liberté d’expression.
Il s’agit encore de défendre la liberté contre l’obscurantisme, il s’agit de rassembler pour hurler notre profond dégoût, notre écœurement, notre malheur de voir ainsi partir les belles forces de l’impertinence, de l’insolence, de la joie de se moquer de la façon la plus féroce et peut-être aussi la plus intelligente. La nécessité de se serrer les coudes est une fois encore flagrante. Il est impérieux de ne pas laisser faire. Mais sur ce coup-là j’enfonce sans doute une porte ouverte.
« Il m’est impossible de mettre une idée devant l’autre depuis que j’ai appris la nouvelle, il y a une heure ou deux. J’ai l’impression d’avoir reçu un immeuble de six étages sur la tronche. À mon âge, j’avais déjà eu l’occasion de perdre quelques bons copains, Chaval, Tetsu, André François, Ronald Searle… et d’autres ! Mais quatre d’un coup, Tignous, Wolinski, Charb, Cabu… assassinés par des fous, des malades. Trop c’est trop, c’est insupportable, c’est abominable… C’est inhumain. Y’a pas de mots pour décrire mon effondrement, ma peine. » (Siné)
Alors c’est vrai, c’est nunuche et c’est comme ça, aujourd’hui ce sont le silence et le recueillement qui s’imposent. Mais du plus profond de ma conscience et jusqu’aux tréfonds de mon âme, sachez, fous furieux, attardés mentaux, que je vous conchie et que je vous méprise de toutes mes forces.
Même pas peur. On ne gomme pas un dessin de combat. Leur génie créatif assassiné c’est notre liberté que vous avez voulu abattre. Nous nous acharnerons à la faire vivre, à faire vivre notre droit au blasphème, notre liberté de conscience que l’on ne négociera jamais, nos principes inviolables de la laïcité. Tout ce qui fait que nous sommes debout contre la barbarie, contre les religions et toutes ces sinistres légions enturbannées, ensoutanées dont on mesure une fois de plus les sinistres conséquences. Allez, vas-y Marine. La ville est ouverte. Mais fais quand même attention à chaque carrefour !
Eh bien oui, ils sont morts au combat, au champ d’honneur, mon pauvre Cabu, oui nous avons froid, oui nous montrerons à nos enfants toutes leurs irrévérences salutaires, tout ce qu’ils ont fait de beau, de bon et de sain. Et nous exprimerons, à tout le moins, notre extrême méfiance face à ces églises qui sonnent le glas (curieux comme toutes les Églises appréciaient secrètement Charlie), face à ce jour de « deuil national » et face à ce « rassemblement républicain » auquel prétend se joindre le FN. Non, Charlie ne sera jamais le « Journal officiel » et nous l’aiderons à vivre, pour notre plus grande santé mentale !
Allez, salut !

Jean-Dominique Gautel



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


la pulga

le 5 février 2015
Je fais également partie de ceux qui ont été trés touchés par cet attentat. Je n'aimais pas tout dans Charlie, mais dans le journal lui-même, tu pouvais lire tout et son contraire sur la même page !! Les journalistes de Charlie n'étaient souvent pas d'accord entre eux, j'ai pu le constater. Et ils pouvaient aussi se montrer cons et lâches, notamment lors de l'affaire Siné. J'en ai beaucoup voulu à Charb, ce dessinateur improbable qui m'a provoqué les plus grands fous-rires de mes 20 dernières années, avec les croquis de toutes ces sales gueules se vautrant dans une stupidité et une veulerie carrément jouissives. Charb aurait du soutenir Siné au lieu de suivre comme un Toutou son Maitre Val ( un affreux personnage, celui-là). D'ailleurs, lors de l'affaire, Charb estimait que l'article de Siné pouvait passer devant la justice, car il ne lui paraissait pas de caractère antisémite. Charb a manqué de courage, dans cette affaire. Mais je n'oublie pas les supers moments que ce gars m'a fait passer, avec ces dessins autant qu'avec ces articles. J'étais également trés client d'Honoré et Oncle Bernard, un peu moins de Cabu, et beaucoup moins de Wolinski, je sais pas trop pourquoi. A la limite, je me dis qu'il aurait mieux fallu que le journal crève carrément avant ce 7 Janvier. Au moins aurait-on conservé ces quelques plumes et crayons de génie..