« O.A.SS. »

mis en ligne le 30 novembre 1995
Drapeaux, inscriptions partout, menaces, collecte de fonds, les charges de plastic explosent jour et nuit ; répondant à un député, le garde des Sceaux a reconnu que, du 1er janvier au 13 novembre 1961, il y avait eu, tant à Paris qu'en province, 351 attentants. Le « plastiquage » politique est devenu un acte quotidien, le chantage et le rackett deviennent monnaie courante. En pleine Assemblée nationale, 80 députés affichent leur sympathie pour l'OAS ; les conseillers de la Seine en font autant ; les bruits relatifs à un nouveau putsch se multiplient : jamais, affirme Mendès-France, le danger de guerre civile n'a été aussi grand.

Que fait de Gaulle ?

En réalité, il doit son pouvoir aux auteurs de ces actes, qui furent aussi ceux du 13 mai.

Un seul exemple : Raoul Girardet était arrêté après l'attentat contre de Gaulle ; le 27 septembre, le journal fasciste Nation française écrivait à Debré : « Vous avez bien connu Girardet : vous avez même tenté de l'introduire parmi les collaborateurs de votre gouvernement, comme directeur de cabinet d'un de vos ministres… » Quelques jours après, Raoul Girardet était libéré…

Le fond du problème réside donc dans la nature même du régime gaulliste.

Un régime plébiscitaire qui, se heurtant à des difficultés de plus en plus grandes, affirme de plus en plus la dictature de fait et ouvre ainsi la voie au fascisme, incapable de négocier loyalement sur l'Algérie, il prolonge la guerre et entretient ainsi le principal foyer de racisme et de fascisme. Les atteintes au droit de grève des cheminots, les conflits avec les entreprises nationalisées, le licenciement des délégués ouvriers que vient d'opérer Peugeot sont les signes d'une action concertée. De Gaulle laisse son ministre du travail et la patronat français frapper la classe ouvrière, comme il laisse de très hauts fonctionnaires, comme l'inspecteur général des finances Watteau, gouverneur de la Banque d'Algérie, et l'ingénieur en chef au corps des Mines Blancard, conseiller aux entreprises qui ont des intérêts en Algérie de verser les contributions exigées par l'OAS. Ces hommes responsables ne sont pas des aventuriers. Ils savent ce qu'ils font.

C'est que de Gaulle, cet idolâtre de l'État, s'est imaginé qu'il suffit pour s'emparer d'un État moderne de renverser un gouvernement constitutionnel. Révélant son ignorance absolue des plus élémentaires principes de l'art de défendre un pouvoir moderne, de Gaulle - resté SEUL - continue d'opposer une tactique défensive à une technique moderne du coup d'État.

Par cette technique, qu'il applique systématiquement depuis trois ans, la fascisme s'est pratiquement emparé de l'appareil de l'État bien avant l'entrée de Salan à l'Élysée.

Le problème donc primordial que le fascisme doit résoudre en ce moment n'est pas la lutte contre le gouvernement gaulliste, mais la lutte contre l'avant-garde prolétarienne, contre les forces révolutionnaires seules capables de lui barrer la route.

Effectivement, le prolétariat est la grande inconnue.

Va-t-il réagir ? Quand ? Comment ? La télé, le frigo, la « Dauphine », vont-ils être plus forts que la conscience de classe, que la volonté d'émancipation ? Les « sociologues bienveillants et impartiaux » l'affirment déjà - comme ils affirmaient en 1953 que les ouvriers embourgeoisés par les congés payés ne se mettraient jamais en grève au mois d'aout… Ces affirmations ne servent qu'à émousser peu à peu la réaction des masses, et préparer progressivement le terrain psychologique du fascisme.

Mais les « organisations ouvrières » voudront-elles jouer le rôle que l'on s'efforce de leur assigner dans la défense de l'État bourgeois ? Et que peuvent faire les partis politiques « démocratiques » contre le fascisme dont la méthode de combat n'est pas « politique » ? Les « partis de masses » communiste et socialiste SFIO ou PSU, que le parlementarisme a réduits au rôle de partis constitutionnels, ne peuvent servir qu'à légitimer une répression éventuelle du gouvernement. Que peut-on attendre de « l'unité de tous les républicains, quelles que soient leurs divergences par ailleurs » à laquelle appelle Thorez et le PC ? Débrayage d'une heure, pétitions, cortèges et manifestations, toute cette gymnastique pseudo-révolutionnaire ne peut que fatiguer les masses, les dévier des véritables tactiques révolutionnaires.

Une fois de plus on veut nous enfermer dans un faux dilemme : facisme ou bien défense des « institutions républicaines ».

Il faut qu'il soit bien entendu que, pas plus cette fois qu'une autre et même moins que jamais, nous ne nous laisserons intimider dans notre pensée et dans notre action.

Notre pensée est claire :
L'idéal anarchiste ne se confondant guère avec l'idéal « républicain » ni les intérêts du prolétariat avec ceux de la bourgeoisie - grande ou petite - il ne peut nullement être question pour nous de se défendre contre le fascisme : avec toute l'avant-garde de ce pays, avec tout ce qu'il compte d'authentiquement révolutionnaire, il nous faut attaquer le fascisme.

Pourquoi le dissimuler : l'écartement définitif du danger fasciste ne peut être réalisé que par le renversement violent de tout ordre social traditionnel. Dans cette lutte, la défensive c'est la mort : elle a eu ses victimes aussi bien à Dachau qu'à Lipari, elle les a alignées le long de l'Èbre, de même qu'elle a ensanglanté, combien de fois déjà les pavés de Paris. Car :
« Il eut fallu marcher aussitôt sur Versailles. Par scrupule de conscience on laissa passer le moment favorable. On ne voulut pas commencer la guerre civile, comme si ce méchant avorton de Thiers ne l'avait pas déjà commencée en tentant de désarmer Paris ! » (Karl Marx : La Guerre civile en France.)

Mais Maurice Thorez ne lit pas Karl Marx…

Et les dirigeants de la CGT se foutent du monde quand ils « envisagent » une « journée nationale » contre le fascisme.

S'ils relisaient les classiques de la lutte ouvrière : Marx, Lénine, Blanqui, Malatesta, Bakounine (nous ne prêchons pas seulement pour nos saints), c'est à la grève générale qu'ils appelleraient les travailleurs, grève générale illimitée, avec occupation des usines, pour frapper rapidement, durement, les centres vitaux de l'organisation technique de l'État où le fascisme s'installe déjà.

Oui, il faut marcher sur Versailles !

Walter