Nous aurons des sénateurs ?

mis en ligne le 9 janvier 2005

Après le congrès confédéral Force Ouvrière

L'affaire est claire. Ce congrès fut un congrès de dupes. La presse a titré : « Les syndicats Force Ouvrière ont pris un tournant à gauche. » Ce n'est pas vrai ; même si le jeu savamment brouillé a pu le le faire croire. En réalité le congrès a pris la décision de voter NON au prochain référendum, mais voter au prochain référendum d'une manière ou d'une autre, c'était engager les syndicats dans les allées du système au bout duquel se profile l'intégration dans les organismes de l'État. Comment cela a-t-il pu se produire ?

Dès l'ouverture du congrès, et à travers les interventions des délégués, on sentit tout de suite que le référendum serait le point principal, sinon l'unique qui les passionnerait, et leur volonté de voter NON prit l'aspect d'un véritable raz de marée. On devait retrouver le même esprit à la commission de la résolution générale, et cela se comprend, car chacun avait l'impression que le mouvement syndical était victime d'une véritable agression des pouvoirs publics qui désiraient, en l'intégrant dans les organismes politiques, le lier au régime et à sa politique de participation. Quelques délégués qui préconisaient une politique de neutralité ne furent pas écoutés. Pour ma part, je proposais une politique d'abstention active au scrutin, mais les jeux étaient faits.

C'est alors qu'à la commission de résolution générale, je demandais qu'au NON aux questions du référendum, le congrès se prononce pour un autre NON à la participation aux structures proposées, quel que soit le résultat du scrutin. Cette position fut appuyée par tous les minoritaires. La rédaction de la motion fut confiée à un comité composé de majoritaires et de trotskistes, dont les camarades Lambert et Hébert. Ceux-ci devaient soit se mettre d'accord sur la position de la commission, soit présenter deux résolutions opposées à soumettre au congrès. Mais quelle ne fut pas notre stupeur lorsque nous fûmes le lendemain mis en présence d'un texte qui dessertissait le congrès de son pouvoir de décision quant à l'entrée éventuelle des délégués dans les structures du parlement gaulliste, pour remettre la décision à prendre au CCN, c'est-à-dire entre les mains de ceux qui, normalement, au sénat rénové comme dans les assemblées régionales, seront les représentants de l'organisation. Le congrès qui, dans sa majorité, était partisan des deux NON, se trouva désemparé par cette unanimité de la commission à laquelle aucun anarcho-syndicaliste ne participait. L'affaire était dans le sac. La résolution fut adoptée.

Nous aurons des sénateurs. Je l'ait dit à la tribune. Pour nous rassurer, les trotskistes ont fait état d'un article de la résolution qui dit : « Pour ce qui concerne l'engagement du syndicalisme dans les responsabilités nationales, le congrès estime qu'il doit s'arrêter aux frontières du pouvoir législatif et réaffirmer qu'en aucun cas, les organisations "Force ouvrière" ne sauraient participer à des organismes de type corporatif. »

Ça, une garantie que notre organisation ne s'intègre pas aux structures gaullistes, nous prend-on pour des imbéciles ? En dehors que le terme corporatif est extensible, et que chacun peut y mettre ce qu'il désire, on le voit tout les jours lorsque nous-mêmes nous l'employons sans lui donner un caractère péjoratif, une partie de la phrase est révélatrice : « FO doit s'arrêter à la frontière du pouvoir législatif », lit-on. Parbleu ! mais la place réservée tant au sénat qu'aux assemblées départementales a été définie de telle manière que l'état d'âme de nos farouches révolutionnaires sera à l'abri du tourment, car la résolution telle qu'elle est rédigée, laisse toutes possibilités au CCN de participer en cas de victoire des « oui », soit au sénat, soit aux assemblées régionales. Vous pouvez être certains qu'à moins d'événements imprévisibles au début de l'année prochaine, les « bonzes syndicaux » voteront avec entrain une participation qui leur permettra d'installer leurs fesses dans des fauteuils dorés. Mieux, si on s'en réfère à ce qui s'est passé pour les CODER, la lutte sera chaude et tous les coups permis.

Les délégués qui appartiennent à la FA, et je pense à Martin, à Lefebvre, à Suzy; à Dufour, à Prévotel, ont réagi avec violence, mais lâchés pas les trotskistes et par les PSU, leurs interventions ne furent qu'un baroud d'honneur.

Je n'ai pas compris ce qui a conduit une partie de la minorité à une telle attitude car si certaine d'entre eux avaient des mandats impératifs pour voter NON au référendum, aucun n'était tenu sous couvert d'unanimité à se joindre à la majorité pour dessaisir le congrès de ses prérogatives en faveur d'une assemblée de sénateurs qui sont un frein constant à toutes les luttes radicales.

Ne nous y trompons pas, on pouvait espérer qu'un refus de FO, de rentrer dans les organismes d'État forgés par le gaullisme, serait un coup d'arrêt à l'intégration du syndicalisme, et seul FO pouvait jouer ce rôle qui aurait fait réfléchir les autres organisations syndicales. Les délégués des syndicats étaient en état de comprendre ce problème, l'appareil syndical et c'est normal, mais des politiciens venus de divers horizons en ont décidé autrement. C'est peut-être une page du syndicalisme qui va se tourner, lorsque nos « bonzes syndicaux » se carreront avec suffisance autour du super-préfet ou du président de la République, le jour de la photo de circonstance.

De toutes manières, aujourd'hui plus que jamais, après ce congrès de dupes, le rassemblement de tous les syndicalistes révolutionnaires apolitiques et des anarcho-syndicalistes s'impose.