Le rat noir d’Athènes mi-janvier 2021
Rubrique à parution aléatoire, Le rat noir de la bibliothèque vous propose les livres que le ML aura lus et aimés. Que la lecture de ces recensions vous donne l’envie de lire les livres proposés.
Albert Cohen : la tétralogie de Solal
Lors de son départ pour Athènes en juillet dernier, le rat noir, (s’en souvient-on ?), avait emporté dans son maigre baluchon, la tétralogie de l’épopée des Solal. Le rat voulait s’initier à la littérature grecque moderne par le biais de l’œuvre d’Albert Cohen, magicien qui a parsemé son œuvre du bleu de la mer Méditerranée et du jaune du soleil de Corfou, son île natale. Le rat avait promis de vous en parler. Ci-fait.
Albert Cohen est né en 1895 dans l’île grecque de Corfou dans laquelle il passe les cinq premières années de sa vie. En but à l’antisémitisme -qui sévit alors en Grèce comme ailleurs en Europe- ainsi qu’aux déboires financiers du père, la famille Cohen émigre à Marseille, où lot commun à tous les immigrés, les attend la précarité. Albert ne retournera qu’une seule fois chez son grand-père à Corfou. Séjour qui le marquera pour la vie et deviendra un leitmotiv essentiel de son œuvre. Mais c’est à Marseille qu’âgé de dix ans, Albert découvre un beau jour la haine des juifs. Une grande gifle qui va changer pour toujours sa vision naïve et idyllique du monde. Aussi, jeune homme s’engage-t-il dans le mouvement sioniste et pacifiste qu’il quitte rapidement après quelques désillusions. Il se réengage politiquement tandis qu’il émigre à Londres durant la Seconde guerre mondiale et s’occupe de l’accueil des réfugiés juifs. Pourtant, si Albert Cohen oscille dans ses romans entre une tendresse profonde pour son peuple persécuté, il n’en néglige pas moins une satire qui lui sera parfois reprochée, soulignant ses défauts jusqu’à les caricaturer. Retour aux années 20. Cohen s’intègre socialement et obtient un poste au Bureau international du Travail de Genève où il découvre l’envers du décor du petit monde des fonctionnaires internationaux, êtres arrivistes et auto-satisfaits qu’il ne se lassera de dépeindre dans plusieurs de ses romans. A partir de 1931, Albert Cohen démissionne de son poste pour se consacrer entièrement à l’écriture, mais ce dernier est tout, sauf un homme pressé. Il mettra près d’un demi-siècle pour achever sa saga des Solal, avec des périodes de silence pouvant atteindre plus de seize années. Solal, le premier volume de sa tétralogie parait en 1930, suivi de Mangeclous en 1938. Mais c’est Le livre de ma mère, paru en 1945, une ode à l’amour-source maternel, qui va lui apporter la célébrité. Et ce n’est qu’en 1968, après une longue parenthèse que parait le troisième volet des Solal, Belle du seigneur et dix mois plus tard, le dernier volume : Les Valeureux.
Solal est né d’une commande. Après avoir lu Projection ou Après minuit à Genève paru dans la Nouvelle Revue Française, Jacques Rivière propose à Albert Cohen, fondateur de la Revue juive, un contrat pour un roman. Mais un évènement va retarder son projet. En effet, après avoir reçu un succès d’estime avec son unique pièce en un acte Ezéchiel à l’Odéon, il récolte un véritable four lorsqu’elle est présentée quelques années plus tard à la Comédie française, fustigée autant par le public antisémite qui lui reproche son trop d’empathie pour la « race juive » que par le public juif qui, lui, l’accuse d’avoir écrit une pièce antisémite ! Echaudé, il lui faudra environ une dizaine d’année pour proposer sa version définitive de Solal à la NRF. Il expliquera avoir imaginé son premier roman à fur et à mesure qu’il le dictait à Yvonne Imer qui devint une des femmes de sa vie. Est-ce pour la séduire en la faisait rire qu’il inséra dans cette histoire aux accents romantiques et philosophiques, des passages d’un savoureux comique ? Ainsi, dès le premier chapitre voit-on apparaitre les cinq cousins juifs de l’île de Céphalonie aux caractères si marqués. Si Albert Cohen s’inspira de ses souvenirs vécus lors de son voyage chez son grand-père à Corfou, il avouera s’être également fortement appuyé sur les histoires que lui racontait sa chère mère à l’époque de Marseille. Nous découvrons ensuite Solal, le héros du roman qui très jeune, nourrit d’autres ambitions que de suivre les traces de sa famille juive dans le ghetto de Céphalonie. Aussi, ce beau garçon à peine âgé de dix-sept ans, imagine une stratégie pour séduire Adrienne de Valdonne, la jolie femme du consul de France qu’il finit par enlever. Nous le suivons ensuite dans ses tumultueuses aventures amoureuses à Marseille puis à Paris où celles-ci vont lui permettre de grimper rapidement le long de l’échelle sociale jusqu’à décrocher un poste de ministre. Peut-être est-ce parce que tout lui réussit trop vite que Solal tombe dans une profonde déprime et n’aura plus de cesse que de se racheter auprès de son peuple qu’il a trahit et en premier lieu, son père. Et comment se racheter sinon en accueillant en Suisse une partie de la population juive de Céphalonie dont notamment les fameux cinq cousins, plus fantasques les uns que les autres ? Saltiel, le vieillard naïf et parfaitement bon ; Mangeclous, donquichottesque hâbleur aussi menteur que généreux et plus gourmand qu’un Pantagruel ; Mathias, le capitaine des avares ; Michael, le janissaire trousseur de jupons et enfin, Salomon, le doux rêveur au cœur pur. Troubadours semeurs de soleil, de bonne humeur communicative et d’humour juif séfarade au sein d’une société trop bien corsetée. Solal est difficile à résumer. C’est un livre à déguster dont les continuels retournements et intrigues font penser à une savoureuse Baklava orientale fourrée aux noix et dégoulinante de miel, mais avec cette particularité d’alterner les scènes tragico-mélancoliques où l’on voit un Solal se débattre contre ses doutes et névroses, à la fois agaçant, attendrissant ou décevant. On se laisse entrainer dans les délires des cinq cousins jusqu’à faire vaciller en nous ce qu’il y a de plus rationnel…
La dernière page de Solal tournée, quel plaisir de retrouver les cinq cousins dans Mangeclous, le deuxième volume de la tétralogie Solal. Albert Cohen en commence la rédaction en 1931, tandis qu’il quitte son poste de fonctionnaire international et touche des avances sur droit d’auteur de Gallimard. Comme à son habitude, il ne se presse pas et ne se met vraiment au travail que sous contrainte en 1935, pour n’y ajouter le mot final qu’en 1938. A l’origine, il imaginait la suite de Solal comme un vaste et ambitieux seul roman. Finalement, il ne sera édité que sous la forme de morceaux dont le premier donc, Mangeclous. Albert Cohen avouera cette fois-ci l’avoir écrit pour faire rire sa fille à laquelle il en lisait des passages chaque soir. Mangeclous est en effet un roman qui fait rire. Le plus singulier de l’affaire étant qu’il parut alors que les persécutions nazies contre les juifs envahissaient l’Europe. On aimerait bien savoir ce qu’en eut pensé un Goebbels, chef-censeur de Berlin, s’il l’eut sous les yeux… Tout comme Solal, l’action de Mangeclous débute dans le ghetto juif de l’île de Céphalonie où Saltiel, l’oncle bien aimé de Solal reçoit un gros chèque à partager entre les cinq cousins, ainsi qu’une invitation à venir le retrouver à Genève. Pour notre plus grande jubilation, nous allons les accompagner dans leurs diverses étapes, à commencer par Marseille. Ils y font la connaissance d’un dénommé Scipion, personnage atypique tout droit sorti de l’univers de Marcel Pagnol (un grand ami d’Albert Cohen). Ils l’entrainent avec eux à Genève où ils tombent sur Jérémie (un des deux personnages de sa pièce Ezéchiel, ci-dessus évoquée), un juif rêveur venu s’échouer sur les rives du lac de Genève pour fuir les nazis. Un des moments les plus jubilatoires du roman est l’intrusion de ces illuminés dans les couloirs de la Société des Nations au sein de laquelle Solal occupe le poste à responsabilité de sous-secrétaire général. Déçus par ce milieu qu’ils ont du mal à circonvenir, ils iront se consoler dans les montagnes suisses où bien des surprises les attendent. Mageclous est une ode à l’amitié, à la fraternité truffée de scènes plus délirantes les unes que les autres. Humour juif séfarade garanti. Ce second roman de Cohen recevra même quelques voix au Prix Goncourt de 1938.
En 1988, Moshé Mizrahi en fera un film à succès où les cinq cousins seront interprétés non moins par Bernard Blier, Pierre Richard, Jean-Luc Bideau, Jacques Dufilo et Jacques Villeret, Scipion par Jean Carmet ; Jérémie par Charles Aznavour et enfin Solal par Samuel Labarthe.
Belle du Seigneur, le troisième volet de la tétralogie Solal, commencé dans les années 30 est interrompu par la Seconde guerre mondiale. Albert Cohen le reprendra après-guerre mais ne l’achèvera qu’en 1968. Il lui fera au passage, obtenir le Prix de l’Académie française. Le roman est une espèce de suite donnée au personnage de Solal miraculeusement ressuscité… Cette fois-ci, il va tout mettre en œuvre pour séduire la belle Ariane à l’aide d’un subterfuge digne du conte de La Belle et la Bête. Leur amour est explosif. Pour garder sa maîtresse, Solal qui n’est autre que le chef de service de son mari à la Société des Nations de Genève va, pour l’éloigner le faire bénéficier d’une promotion. Une fois encore, Cohen se régale à décrire les fonctionnaires ambitieux, fainéants et lèche-culs des organismes internationaux et leurs rouages qu’il eut tout le temps d’observer. La bande des cinq de Céphalonie font une rapide irruption (mais cette partie eue été trop conséquente et incongrue dans l’intrigue, elle en fut extraite pour devenir plus tard Les Valeureux). L’action de Belle du Seigneur se poursuit donc dans une espèce de surenchère à la passion amoureuse qui aboutira à force d’artifices et de mises en scènes alambiqués, à une jalousie génératrice de violence, à une espèce d’impasse où les deux héros, socialement bannis se dissoudront dans l’isolement et la folie. La fin sera-t-elle un artefact digne d’un Roméo et d’une Juliette ?...
Enfin, Les Valeureux, dernier épisode de la tétralogie Solal, parait en 1969. Comme nous l’avons signalé, cette partie devait intégrer Belle du Seigneur mais devint un volume à part chez Gallimard. Une fois encore, le roman débute dans le ghetto de l’île de Céphalonie pour se poursuivre à Rome, Paris et s’achever à Londres où Mangeclous, l’homme aux douze métiers et treize misères aboutit au sommet de son art en écrivant une lettre aussi délirante que délicieuse à la Reine d’Angleterre. Auparavant, Mangeclous revêt le vêtement d’un recteur improvisé de l’Université de Céphalonie où il professe des cours sur l’amour fondé sur la critique d’Anna Karénine ! Dans leurs aventures romaines et parisiennes, les cinq cousins, toujours aussi pauvres, illuminés et généreux que menteurs, lâches, gourmands et rusés nous réservent une bonne brassée de bonne humeur. On a l’impression que dans Les Valeureux, Albert Cohen a pour dessin non de dénoncer la carricature antisémite d’avant-guerre mais au contraire de l’exagérer jusqu’à la rendre désuète et faire ainsi la nique aux chrétiens arcs boutés sur leurs prérogatives du pouvoir, de la fortune et du savoir pour les leur confisquer. Nouveaux éclats de rires dans ce dernier tome qui n’exclut pas pour autant de nous interroger sur le pourquoi de ce rire...
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1 |
le 23 janvier 2021 18:10:18 par Jeanne Caussé |
Patrick, merci pour ce retour sur Albert Cohen qui mérite que l’on revienne une fois encore vers lui, et tu le fais si bien.
Je l’ai lu, relu, quelque peu enfoui, et cette évocation me donne vivement envie de le retrouver, que ce soit avec Solal, ses Valeureux ou avec sa mère.
2 |
le 25 janvier 2021 10:04:40 par Anne-Laure Brisac |
Merci pour ce beau parcours. Cela donne envie de se replonger dans ces histoires, entre Marseille et Corfou, rires et tendresse. Ces beaux personnages... Et la peinture si fine et affolante de l’amour-prison dans Belle du seigneur, πω πω πω...!