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Cinéma
par Julien Caldironi le 17 décembre 2023

Le capitaine Volkonogov s’est échappé.

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La cavale d’un tchékiste
1938, à l’apogée de la Grande Terreur stalinienne, le NKVD purge ses rangs. Le capitaine Volkonogov fait partie de ce nouveau quota envoyé au peloton d’exécution. Un sixième sens le fait s’esquiver au moment clé. C’est sans compter sur deux entités à ses basques : la première, c’est le commandant Golovnia, qui le traque sans répit (il risque également sa tête s’il ne ramène pas celle de Volkonogov dans les 24 heures). La seconde, c’est sa conscience : suite à une vision, et alors qu’il se sait condamné à brève échéance, Volkonogov commence à flipper de se voir voué à la damnation. Surtout quand la vision en question consiste en un ancien collègue éventré qui lui prédit sa chute en enfer s’il n’arrive pas à se faire pardonner par au moins une de ses victimes.
S’en suit alors une traque à travers Leningrad, où le capitaine Volkonogov essaie, plus que sa peau, de sauver son âme.

Une thématique rattrapée par l’actualité
Ce film de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov devait initialement sortir en Russie, mais c’était sans compter l’invasion de l’Ukraine. Manipulant des thématiques qui embarrassent Poutine sur les bords, le long métrage n’a pas obtenu de visa d’exploitation et son couple de réalisateurs vit désormais en exil.

Terreur stalinienne et joggings rouges
Le capitaine Volkonogov s’est échappé est une rétro-uchronie, dans le sens que plus qu’une reconstitution historique véritable, il cherche à emmener le spectateur vers une émotion, une cohorte de ressentis en prenant des libertés avec l’Histoire avec un grand H pour mieux le trimballer dans cette époque difficile à appréhender, dans un contexte de totalitarisme à son pinacle. Jugez-en du peu, la Grande Terreur stalinienne dure 16 mois, d’août 1937 à novembre 1938. Elle est orchestrée à la suite d’un ordre secret de Staline, par Iejov, celui qui sera surnommé (mais de loin et discrètement) le « nabot sanguinaire ». Débauché, alcoolique, servile à l’excès, Iejov entend faire respecter des quotas de déportés et d’exécutés envoyés aux différentes régions de l’empire rouge. S’en suivront un million et demi d’arrestations, 750 000 exécutions, des déportations innombrables. Un Soviétique sur 100 a été alpagué, un sur 200 mis à mort dans cette énorme machine à fabriquer des coupables, des espions, des traîtres, des déviationnistes de droite en gestation… Pour nous faire vivre ces temps troubles — et au plus près de cette industrie meurtrière — les réalisateurs et leur équipe optent donc pour un pas de côté pour sublimer les ambiances mortifères, les décors qui rendent paranoïaques, les foules grises et tristes. Jusque dans les costumes, ce travail déploie son impact. Les tchékistes arborent des joggings écarlates de prime abord surprenants, mais intégrant quelques spécificités des années 30 et surtout leur permettant de se détacher du reste des personnages mornes et terrifiés. Les décors sont splendides, la reconstitution solide à défaut d’être exacte. On accompagne cet antihéros, d’abord sbire d’un état dictatorial gagné peu à peu cependant par une conscience tardive (le jeu de l’acteur, Youri Borissov, est impressionnant) dans des friches industrielles, des ruines, des lieux sinistres et toute une série de sites qui achèvent de rendre cette histoire intemporelle. Au fur et à mesure, le film a cette force d’embrasser non plus seulement les affres des années 1930 staliniennes, mais plus largement l’ensemble des totalitarismes.

Sans temps mort, mais avec plein de morts
Le film déroule son intrigue tendue dans un rythme de thriller, avec des étapes d’action parfaitement maitrisées et dynamiques en diable. Chapitrée par les rencontres successives que Volkonogov fait avec la famille de ses suppliciés, sa quête du pardon le mène à travers des usines, des morgues, des appartements communautaires et le fait se fracasser contre autant de vies brisées par une entreprise criminelle démesurée orchestrée par un pouvoir étatique paranoïaque. Au bout du chemin, la mort, forcément. Pour autant, Volkonogov a-t-il obtenu son sésame pour le paradis ? À chacun de se forger son avis. Les cohortes de citoyens arrêtés libérés à cause de sa fuite évitent, eux, en tout cas, l’enfer d’un séjour prolongé à la Loubianka. C’est déjà ça.

Julien Caldironi
Individuel 49

Le capitaine Volkonogov s’est échappé — Kinovista Seven 7 — 2023
En dvd et bluray


PAR : Julien Caldironi
Individuel 49
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