Mon ami Jean

mis en ligne le 6 mai 2010
Rendu inquiet par les derniers soubresauts de l’actualité, j’ai demandé à mon épouse, lorsqu’elle doit emprunter notre véhicule pour se rendre à ses réunions du NPA, de ne plus revêtir son niqab sur le trajet. Puisqu’il semble que la contestation d’un simple procès-verbal de contravention peut désormais diligenter une enquête de police sur le conjoint du contrevenant, je ne voudrais pas que ma vie de militant anarchiste tapi dans l’ombre – avec les multiples infractions à la loi qui vont de pair – soit étalée à la une des médias pour satisfaire les bas instincts d’un public lyncheur, et entretenir par là même un exécrable climat de peur et d’insécurité.
Respectueux, toutefois, de l’engagement politique de ma compagne, de ses convictions religieuses et de l’attachement à ses racines, je préfère qu’elle le revête uniquement en compagnie de ses camarades révolutionnaires, au moment où ils entonnent en chœur « ni dieu, ni césar, ni tribun » ou « du passé faisons table rase ».
Mon ami Jean, pourfendeur opiniâtre de la pensée binaire, comme le furent avant lui la plupart des compagnons qui nous aidèrent à réfléchir, me dit qu’il serait encore une fois ridicule de devoir choisir entre peste et choléra. Que les dérives policières ou xénophobes plus qu’évidentes d’un État enlisé dans une merde confessionnelle qu’il a lui-même grandement entretenue ne sauraient toutefois nous faire oublier ou abandonner un devoir d’anticléricalisme plus que jamais nécessaire. Que dénoncer ces réflexes autoritaires – en trouvant dans le même temps mille excuses ridicules aux manifestations croissantes de l’obscurantisme musulman – peut parfois procurer la douce sensation de se croire résistant sous l’Occupation en prétendant combattre un « État fasciste », quand on se transforme plus sûrement en porteur de valises, au mieux involontaire, de l’islamisme radical militant. Qu’il n’y a pas de « religion des pauvres », moins abrutissante ou plus compréhensible qu’une autre parce que d’origine immigrée. Qu’il est inutile de s’en référer à de grands principes s’il s’agit de les mettre au panier à la première occasion. Que c’est précisément dans les moments difficiles que ce recours se justifie pleinement.
Il est comme ça, Jean. Anti-étatiste et anticlérical. C’est bête, hein ? Il a même trouvé une formule toute simple pour résumer cela : « Ni dieu ni maître ». Il pense que les anarchistes devraient se l’approprier…