Rafles, étoile jaune et autres tourments

mis en ligne le 3 octobre 2010
Cette bande dessinée n’est autre que l’histoire de Maurice Rajsfus durant les années 1940-1944. Mais, après les nombreux témoignages sous forme de récit (Opération étoile jaune, Jeudi noir, La Rafle du Vel d’Hiv') et le DVD Demain, la révolution, sorti il y a quelques mois, cette fois-ci, Mario et Michel d’Agostini prêtent leur talent d’illustrateur pour mettre en images dans une très BD dessinée les quatre années que Maurice passa « parmi les sous-hommes ».
Le livre commence avec une vue représentant un défilé d’Allemands dans les beaux quartiers. La seconde représente un policier français qui attire la méfiance de la population, consciente qu’au service de l’occupant, ces Français passent leur temps à pourchasser les résistants et les Juifs étrangers. Depuis le 8 juin 1942, le petit Maurice a de quoi avoir peur car il est obligé de porter une étoile jaune (de dix centimètres de diamètre) sur la poitrine. Et cette méfiance n’est pas vaine, puisqu’alors qu’il est âgé de 14 ans, le 16 juillet 1942 à 5 heures du matin, la police vient arrêter la famille Rajsfus à Vincennes, tandis qu’à Paris commence la rafle du Vel’d’hiv'. Les enfants de 14 à 16 ans sont relâchés et la mère du petit Maurice et de sa grande sœur Jenny (qui a plus de 16 ans, mais ne les paraît pas) insiste pour qu’ils s’enfuient.
Maurice perd la trace de sa sœur et finit par retourner seul chez lui, dans l’appartement de Vincennes resté vacant. Il y trouve la concierge de l’immeuble qui s’apprête à se livrer au pillage et s’enfuit quand elle l’aperçoit. Rapidement, les parents de Maurice sont déportés en Pologne ; lui et sa sœur n’auront plus jamais de leurs nouvelles. Livrés à l’abandon, rares sont ceux qui s’intéressent à leur sort et leurs maigres ressources. Heureusement, dans sa détresse, Maurice a la chance de devenir apprenti diamantaire chez un brave homme qui l’a pris en amitié, un acte de résistance en ces années où peu de gens prendront le risque d’employer un garçon portant l’étoile jaune. Et Maurice va passer deux années épouvantables à cacher le jour son étoile jaune pour éviter les rafles de plus en plus fréquentes, tandis que ses nuits sont peuplées de cauchemars, interrompus par les sirènes d’alarme.
Un jour, Maurice trouve un paquet en allant faire une course pour son patron et a la bonne idée de le lui rapporter. Le bien est rendu à son propriétaire, un courtier, qui, de fait, s’intéresse à Maurice et l’envoie, pendant un temps trop court, à la campagne. Mais Maurice retrouve bientôt la pénible réalité de sa vie à Paris : la faim et le froid, avec la peur en supplément et ceci jusqu’à la mi-juin 1944, tandis qu’une mauvaise rumeur laisse prévoir de nouvelles rafles de Juifs, même si les Américains ont débarqué. En effet, les policiers français sont toujours aussi disponibles pour les sales besognes. Le courtier en bijoux lui propose de le cacher près de Pontoise. Enfin, le 27 août 1944, les Américains arrivent dans le village et Maurice peut regagner Paris à vélo, évitant le mitraillage des routes par les Américains poursuivant les Allemands en pleine débandade. Le soir même, Maurice retrouve sa sœur cachée chez une de ses amies à Vincennes et le petit logement familial si vide de leurs parents qui ne reviendront jamais des camps nazis.
La BD met en image des détails sur la survie de ce gamin de 14 à 18 ans que ni les livres de Maurice, ni le film ne nous avaient encore livrés. Quatre années durant lesquelles Maurice doit se cacher alors que les autorités françaises, aux ordres du maréchal Pétain, vont promulguer des lois raciales. Quatre années durant lesquelles plusieurs dizaines de milliers de Juifs étrangers, vivant en zone occupée, vont devenir des parias « indéterminés », après avoir été « apatrides ». Ce qui signifiait clairement qu’ils ne faisaient plus partie de la communauté humaine. Quatre années durant lesquels le petit Maurice, Français par le droit du sol, a vu brutalement ses parents transformés en Untermenschen, c’est-à-dire, selon le terme des nazis, des « sous-hommes ». Une histoire qui, en ces jours où ce sont les Roms qui sont pourchassés en France, n’est pas prête d’être effacée, pas plus qu’oubliée.